
La responsabilité du détenteur de déchets au regard des dispositions des articles L. 541-2 et L. 541-3 du code de l’environnement
Par Aliou NDIAYE
Juriste stagiaire
Tribunal administratif de Versailles
Posté le: 23/09/2015 18:52
Aux termes de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, « Toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air et les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et d’une façon générale à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination conformément aux dispositions prévues par la présente loi, dans des conditions propres à éviter lesdits effets ».
Et l’article L. 541-3 du code de l’environnement : « Au cas où les déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux dispositions de la présente loi et des règlements pris pour leur application, l’autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d’office l’élimination desdits déchets aux frais du responsable ».
I) La présomption simple de la responsabilité du détenteur des déchets
Les juges administratifs posent deux conditions en matière de responsabilité des litiges relatifs aux déchets. Tout d’abord, le propriétaire du terrain reste le propriétaire en cas de responsable initial inconnu (A), ensuite lorsque celui-ci a fait preuve d’une négligence (B).
A) Le propriétaire initial est inconnu
Par une décision du 26 juillet 2011 n°328651, « arrêt Wattelez », le Conseil d’Etat était saisie d’une demande de l’arrêté de la CAA de Bordeaux qui avait reconnu la société Wattelez détentrice des déchets entreposés sur un terrain et l’a condamné au titre des dispositions de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, en leur qualité de détenteur de déchets.
Le Conseil d’Etat saisi du recours en cassation, annule l’arrêté au motif que le responsable initial reste inconnu ; par conséquent, le propriétaire du terrain reste le détenteur des déchets au regard des dispositions de l’article L. 541-2 du code précité avant. En l’espèce, il ressort des faits de la décision que la société Wattelez exploitait sur un terrain qui lui appartenait, une usine de régénération de caoutchouc. La société vend son fonds de commerce, et notamment, son stock de marchandises et de matières premières à la société Eureca en 1989. Toutefois, cette société, ayant été mise en liquidation, plus tard, cette dernière a cessé son activité et laissé sur le terrain plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés.
Postérieurement à cette décision, le Conseil d’état dans une décision (CE, 24 octobre 2014, Société Unibail Rodamco, n°361231) a confirmé la décision de l’arrêt Wattelez. En effet, le Conseil d’état a rappelé que la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel se trouvent des déchets ne peut être recherchée qu’en l’absence de producteur ou de détenteur connu de ces déchets et a précisé les conditions dans lesquelles le propriétaire peut être qualifié de détenteur.
B) La négligence du propriétaire du terrain
L’arrêt Wattelez a donné lieu à un ultime arrêt en date du 25 septembre 2013 qui a retenu une négligence du propriétaire. En l’espèce, ledit propriétaire n’avait pris aucune mesure pour limiter les risques de pollution du cours d’eau et d’incendie liés aux déchets abandonnés sur son terrain ou pour faciliter l’organisation de leur élimination, mais les avait, au contraire enfouis sur place dans le sol sans autorisation préalable ( CE 25 septembre 2013, Soc. Wattelez req. N°358923).
Outre l’hypothèse de négligence à l’égard de l’abandon de déchets sur son terrain, le propriétaire peut également être qualifié de détenteur, si à la date à laquelle, il est devenu propriétaire du terrain, il ne pouvait ignorer l’existence de ces déchets et que la personne y ayant une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations. Cette solution a été retenue dans la décision du Conseil d’Etat du 24 octobre 2014 qui montre, d’une certaine manière la négligence du propriétaire.
« sont responsables des déchets, au sens des dispositions de la loi du 15 juillet 1975, les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets ; qu’en leur absence, le propriétaire du terrain sur lequel ils ont été déposés peut être regardé comme leur détenteur, au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, et être de ce fait assujetti à l’obligation de les éliminer, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ou s’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations ; » (CE, 24 octobre 2014, Société Unibail Rodamco, n° 361231).
II) Le tempérament jurisprudentiel
Le tempérament a d’abord été retenu par la juridiction civile qui retient le caractère subsidiaire de la responsabilité du détenteur (A) en retenant l’absence de comportement fautif du propriétaire comme conditions pour retenir sa responsabilité (B).
A) le caractère subsidiaire de la responsabilité du détenteur
Par deux arrêts rendus le 1er mars 2013, le Conseil d’Etat précise que la responsabilité du propriétaire au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et ne peut être recherchée que s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets reste inconnu ou a disparu.
Dans son considérant 7, le Conseil d’Etat précise ainsi les termes de sa décision : « Considérant, en second lieu, que le responsable des déchets, au sens de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, tel qu’interprété à la lumière des dispositions rappelées ci-dessus de la directive du 5 avril 2006, s’entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; que si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets, qui peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu, ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets ; ».
L Cour de cassation établit la même présomption de responsabilité du propriétaire du terrain tout en précisant les causes de renversement de cette présomption : « Mais attendu qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L.541-1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairées par les dispositions de la directive CEE n°75 442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance ; qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenus que si Mmes Z…et X…étaient propriétaires du terrain sur lequel les déchets avaient été abandonnés par l’exploitant, elles ne pouvaient pas se voir reprocher un comportement fautif, la cour d’appel, en a exactement déduit qu’elles n’étaient pas débitrices de l’obligation d’élimination de ces déchets et tenues de régler à l’ADEME le coût des travaux ; »
B) l’absence de comportement fautif du propriétaire
Le comportement fautif du propriétaire du terrain est la seconde condition posée par la jurisprudence pour retenir la responsabilité du propriétaire. En l’absence de responsable connu d’un abandon de déchets, l’administration ne pourra faire peser systématiquement sur le propriétaire du terrain le coût de l’évacuation des déchets, qu’en cas de comportement fautif du propriétaire. La charge de la preuve pèse sur le propriétaire qui devra démontrer qu’il n’a pas commis de faute.
La Cour de cassation a ainsi précisé la notion de « détenteur de déchets » par le biais de l’absence de faute du propriétaire du terrain dans une décision du 11 juillet 2012. En l’espèce, deux propriétaires ont loué des terrains à une société pour qu’elle exploite une installation classée pour la protection de l’environnement. Celle-ci a été mise en liquidation judiciaire, le bail a été résilié et les déchets ont été abandonnés sur le site. L’ADEME a assigné les deux propriétaires les deux propriétaires pour être remboursée de la facture 246.917 euros.
La Cour de cassation saisie, précise la notion de « détenteur de déchets ». Les deux propriétaires sont certes détenteurs des déchets, l’exploitant ayant disparu, mais ils ne peuvent se voir reprocher un comportement fautif étant donné que les déchets ont été abandonnés par l’exploitant. Par conséquent, ils ne sont pas tenus de payer le coût de l’élimination de ces déchets.
« Mais attendu qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541 1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n̊ 75 442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance ; qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenu que si Mmes Z... et X... étaient propriétaires du terrain sur lequel des déchets avaient été abandonnés par l’exploitant, elles ne pouvaient pas se voir reprocher un comportement fautif, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elles n’étaient pas débitrices de l’obligation d’élimination de ces déchets et tenues de régler à l’ADEME le coût des travaux ; ». (Arrêt n° 860 du 11 juillet 2012 (11-10.478) - Cour de cassation - Troisième chambre civile - ECLI : FR : CCASS : 2012 : C300860.
Bibliographie :
www.legifrance.gouv.fr
www.courdecassation.fr
www.conseil-etat.fr