Alors que la récente loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, tant attendue, a été votée par le Parlement et publiée au Journal Officiel (JO) le 18 août 2015, se pose encore la question de la place qui est accordée aux énergies fossiles. La loi prévoit en effet une réduction de la consommation énergétique finale et un développement des énergies renouvelables porté à 32 % pour 2030, afin que soient divisés par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 (article 1er, III). Outre les mesures prévues pour favoriser le développement de véhicules propres et celles concernant la construction de bâtiments à haute performance énergétique, le texte tend à réduire également la production en énergie nucléaire, sans pour autant l’éliminer complètement.

C’est à ce sujet que plusieurs contestations ont pu être émises, puisque, semblerait-il, la France aurait été en mesure de prévoir un arrêt complet du nucléaire d’ici le milieu du siècle. L’agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie (ADEME) a réalisé en avril dernier une étude intitulée « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2015 », dans laquelle elle conclut que la France pourrait tirer entièrement partie de sa ressource en électricité provenant des énergies renouvelables d’ici 2050, ceci pour un coût presque identique au projet actuel. Elle considère ainsi que la sortie definitive du nucléaire par la France est possibilité à envisager. La portée de cette révélation est également renforcée par la question de la fermeture de la centrale de Fessenheim, symbolique très forte chez les antinucléaires et les écologistes. Néanmoins, il est prévu qu’un réacteur de troisième generation soit mis en service à Flammanville courant 2018.

La loi sur la transition énergétique prévoit toutefois une réduction importante du nucléaire pour les dix prochaines années : 50 % contre 75 % actuellement, ce qui est déjà une avancée majeure. La sûreté nucléaire et l’information des citoyens sur le nucléaire, prévue notamment dans la loi structurante du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, sont également renforcées par ce texte. A côté de cela, il est prévu que la part de développement des énergies renouvelables soit multipliée par deux d’ici 2030, afin de renforcer l’indépendance énergétique de la France.

Mais cette promotion des énergies renouvelables est-elle suffisante ? Qu’en est-il de la part toujours accordée aux énergies fossiles et l’impact de ces dernières sur l’environnement ?

Environnement et économie sont des notions très liées. En effet, dès 1971 dans sa jurisprudence « Ville Nouvelle Est », le Conseil d’Etat a mis en balance les intérêts environnementaux avec les intérêts économiques. Ceci se retrouve dans cette loi de 2015, traduit par ces mots intégrés dans l’article L. 100-4 du code de l’énergie : « cette dynamique (de réduire la consommation énergétique finale) soutient le développement d’une économie efficace en énergie (…) et préserve la compétitivité et le développement du secteur industriel ».

Mais, à l’aube de la Conférence de Paris sur le climat (ou COP21), se pose encore et toujours la question de la part accordée par les Etats aux énergies fossiles, fortement émettrices de gaz à effet de serre. L’un des enjeux visés est économique et concerne notamment les emplois. Alors que le chômage touche fortement une grande partie des pays de la planète, des réticences se font entendre concernant la réduction du développement de ces énergies, qui entraînerait la suppression d’un nombre considérable d’emplois. Pour illustrer cela, il y a l’exemple du véto du président Obama concernant le projet d’oléoduc Keystone XL dont les conséquences sont, selon les partisans du projet, de priver la création de quarante mille emplois dans ce secteur, même il s’avère toutefois qu’une très faible partie de ces postes seraient permanents dans les faits. Cependant, le développement des énergies renouvelables est également source de travail. Ne serait-ce qu’en France, la production de l’énergie solaire et de l’éolien est en hausse en 2014 par rapport à 2013, s’élevant désormais à 1,2 % contre 0,9 % antérieurement pour le solaire et 3,5 % contre 3,1 % pour l’éolien. A cela s’ajoute un rapport publié récemment par Greenpeace indiquant que plusieurs millions d’emplois seraient à prévoir dans le développement de ce type d’énergies.

Le rapport, intitulé « Energy (R)Evolution 2015 - 100% renewable energy for all » et publié le 21 septembre 2015, pour la promotion des énergies renouvelables pour tous, prévoit que renoncer de manière définitive aux énergies fossiles, au profit du développement des énergies renouvelables, entraînerait la création de plusieurs millions d’emplois dans le monde d’ici 2050. De nombreuses créations de postes seraient ainsi à prévoir dans le secteur des énergies renouvelables : 9,5 millions pour l’énergie solaire et 7,8 millions pour l’éolien d’ici 2030, selon Greenpeace. Il est nécessaire de considérer par ailleurs que 80 % des énergies produites dans le monde sont issues des énergies fossiles, pour la plupart très polluantes, ce qui a également pour conséquence de les raréfier.

Selon ce rapport de Greenpeace, l’abandon total des énergies fossiles serait synonyme d’une forte création d’emplois. Il permettrait par ailleurs aux Etats de faire des économies. En effet, le coût moyen accordé par les Etats à l’exploitation des énergies fossiles s’élève à 500 milliards de dollars par an (442 milliards d’euros). Le rapport prévoit alors que l’abandon de l’exploitation du charbon, du pétrole, du nucléaire et du gaz au profit du solaire et de l’éolien aurait un coût financier très compétitif, puisque le coût accordé aux énergies renouvelables dépassera très certainement en 2020 celui accordé aux énergies fossiles, permettant à des pays comme la Chine ou comme l’Inde d’investir de manière rentable dans le développement technologique pour ce secteur.

Toutes ces considérations illustrent que le fait de mettre en balance les intérêts économiques et environnementaux, de forcément les opposer, n’a plus forcément lieu d’être en ce qui concerne la production d’énergie. Si les divers rapports et études émis récemment s’avèrent fondés, alors agir en faveur de l’environnement permettrait d’agir aussi en faveur de l’économie. Ces deux notions souvent opposées pourraient désormais se compléter. La réduction et l’abandon des énergies fossiles représentent un enjeu fondamental pour a lutte contre le réchauffement climatique et la disparition de certaines espèces en danger. Si le dernier sommet sur le climat de Copenhague en 2009 a déçu par l’absence de portée contraignante de l’accord qui a été conclu, il faut espérer que ce ne sera pas le cas pour la COP21 qui se déroulera en décembre prochain. Le droit international de l’environnement est un droit mou (soft-law), qui prévoit aucune sanction, ce qui a pour conséquence de le rendre inefficace. Il faut espérer qu’à l’issue de cette conférence il devienne plus contraignant et que les Etats prennent conscience, notamment de la part des plus polluants, que ne plus exploiter les énergies fossiles peut avoir des répercussions économiques positives.

La loi pour la transition énergétique de 2015 prévoyant de nombreuses réductions en matière de combustibles fossiles (30 %), de gaz à effet de serre (40 % en 2030 et 75 % en 2050) et accordant une part importante dans le développement des énergies renouvelables d’ici 2030 (32 %) est donc une avancée majeure, au niveau national. La part accordée aux énergies fossiles reste encore cependant très élevée quand on imagine qu’elle pourrait être abandonnée en ayant des répercussions économiques favorables. Il faudra attendre l’accord de Paris pour savoir s’il y aura une réduction effective de l’exploitation de ces énergies fossiles avec des contraintes imposées aux Etats ne respectant pas les délais imposés. Pour une fois que les enjeux environnementaux rejoignent les enjeux économiques, il serait intéressant que cela profite à l’élaboration d’un droit international de l’environnement enfin efficace et contraignant.