Il convient de préciser qu'en vertu de l'article 103 de l'ordonnance n°2015-899 transposant la directive "marchés publics" 2014/24/UE, l'entrée en vigueur de l'ordonnance sera fixée par voie réglementaire au plus tard le 1er avril 2016. Néanmoins, il semble opportun d'analyser les modifications substantielles résultant de cette ordonnance en droit des achats publics durables notamment.

§1. L’abrogation du code des Marchés publics par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015

Le code des marchés publics français, de nature réglementaire, a évolué en faveur de la prise en compte de considérations sociales et environnementales essentiellement en application du droit européen. Néanmoins, ce code a récemment été complètement abrogé par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 transposant la directive 2014/24/UE en droit français. La possibilité de légiférer par ordonnance pour encadrer les marchés publics peut paraître étonnant étant donné que l’encadrement des marchés publics relève, en vertu de l’article 34 de la Constitution, du pouvoir législatif.
La Constitution française de 1958 fait la distinction entre les domaines qui relèvent, en principe, exclusivement du pouvoir législatif, et les autres, qui relèvent du pouvoir réglementaire. L’article 34 de la Constitution énumère les domaines dans lesquels la loi, soit fixe les règles, soit détermine les principes fondamentaux, le détail étant renvoyé à des décrets d’application. Ainsi, sur le fondement de cet article, le droit des marchés publics étaient jusque lors soumis au pouvoir législatif. Néanmoins, dans le but de simplifier le droit des marchés publics, au regard de l’évolution du droit communautaire, l’article 42 de la loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives, autorise le Gouvernement à transposer les directives « marchés publics » par voie d’ordonnance. Cette possibilité pour le pouvoir réglementaire d’intervenir dans la définition du cadre légal applicable aux marchés publics était jusque lors légitimée par un décret-loi du 12 novembre 1938 donnant compétence au pouvoir réglementaire pour étendre à ces marchés les règles applicables aux marchés publics de l’Etat. Cette volonté de légiférer par ordonnance traduit un objectif de simplification du droit des marchés publics : l’idée est de rassembler, au niveau législatif et en un seul texte, les règles communes applicables aux contrats qui sont des « marchés publics » au sens des directives européennes au sein d’un corpus juridique unique. Cette unification mettra fin à la distinction entre les « acheteurs soumis au CMP » et les « acheteurs soumis à l’ordonnance de 2005 ».

§2. Les dispositions de l’ordonnance n° 2015-899 transposant la directive 2014/24/UE relative aux marchés publics relatives aux achats publics durables

La directive 2014/24/UE a été transposé en droit français par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015. Ainsi, par voie réglementaire, le code des marchés publics ainsi que les ordonnances no 2005-649 du 6 juin 2005 et no 2004-559 du 17 juin 2004, ont été abrogés. Composée de 102 articles, l’ordonnance no 2015-899 réunit au sein d’un seul et même texte de référence l’ensemble des dispositions relatives aux marchés publics et aux contrats de partenariat. Le texte de l’ordonnance colle parfaitement au contenu de la directive 2014/24/UE en reprenant substantiellement la rédaction des articles de cette dernière. Seront traités ici les dispositions relatives aux achats publics durables seulement.
Concernant le stade de la définition du besoin , l’article 5 du code des marchés publics consacrait l’obligation pour les pouvoirs adjudicateurs de prendre en compte des objectifs de développement durable dans la détermination des besoins. Cet article a été remplacé par une section intitulée « définition préalable des besoins » comportant deux articles.
L’article 30 d’une part selon lequel :

« La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».
Cet article reprend en partie les termes de l’ancien article 5, aucun élément particulier n’y est apporté.
En revanche, on ne peut pas en dire autant de l’article 31, selon lequel :
« I. - Les prestations à réaliser sont définies par référence à des spécifications techniques.
II. - Lorsqu'ils achètent un véhicule à moteur au sens du 1° de l'article L. 110-1 du code de la route, les acheteurs tiennent compte des incidences énergétiques et environnementales de ce véhicule sur toute sa durée de vie dans les conditions et sous réserve des exceptions prévues par voie réglementaire »

Désormais, les pouvoirs adjudicateurs doivent, conformément au droit européen et à l’article 31 de l’ordonnance précité, obligatoirement prendre en compte les incidences énergétiques et environnementales des véhicules qu’ils achètent sur toute la durée de vie de celui –ci et selon les conditions et réserves qui figureront dans un décret d’application à venir.

Concernant le droit de préférence accordé à certaines structures, l’article 53-IV du code de marchés publics consacre la possibilité d’un droit de préférence, à égalité de prix ou équivalence d’offre, pour certaines sociétés comme les coopératives artistiques, artisanales ou agricoles a été complètement abrogé et non remplacé.

Concernant les marchés réservés, l’article 15 du CMP prévoyait que certains marchés publics pouvaient être réservés à « des entreprises adaptées ou à des établissements et services d’aide par le travail, ou encore à des structures équivalentes », lorsque « la majorité des travailleurs concernés sont des personnes handicapés qui, en raison de la nature ou de la gravité de leurs déficiences, ne peuvent exercer une activité professionnelle dans des conditions normales ».
Désormais, dans l’ordonnance précitée, une section est consacrée aux marchés publics réservés comportant deux articles. L’article 36 relatif à la réservation de marchés publics aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés, reprend en partie l’ancien article 15 à la différence que dans l’ancien article 15, les entreprises éligibles dans le cadre d’un marché réservé devaient comporter au minimum 50ù de salariés handicapés, alors que le nouvel article est plus vague : le terme « proportion minimale » est utilisé. Néanmoins, il est précisé que ladite « proportion minimale » sera fixée par voie réglementaire. Il faut remarquer que ce qui la directive 2014/24/UE évoquait le chiffre de 30% de salariés handicapés ou défavorisés et que la plateforme RSE de France Stratégie, organisme de réflexion, d’expertise et de concertation placé auprès du Premier ministre, recommandait de préserver le seuil de 50% plutôt que de transposer le seuil de 30% de la directive . L’article 37 de l’ordonnance reprend l’article 77 de la directive 2014/24/UE instaurant une nouveauté en droit des achats publics durables : cet article élargie le champ d’application des marchés réservés. Selon l’article 37 de l’ordonnance :

« Des marchés publics ou des lots d'un marché public autres que ceux de défense ou de sécurité, qui portent exclusivement sur des services de santé, sociaux ou culturels dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française, peuvent être réservés par un pouvoir adjudicateur, y compris lorsqu'il agit en tant qu'entité adjudicatrice, aux entreprises de l'économie sociale et solidaire définies à l'article 1er de la loi du 31 juillet 2014 susvisée et à des structures équivalentes, lorsqu'elles ont pour objectif d'assumer une mission de service public liée à la prestation de services mentionnés sur cette liste ».

A propos des conditions d’exécution, l’article 14 du code des marchés publics ouvrait la possibilité de prendre en compte des considérations environnementales et sociales dans la définition des conditions d’exécution d’un marché. L’article précisait que « ces conditions d'exécution ne peuvent pas avoir d'effet discriminatoire à l'égard des candidats potentiels’ ». L’article 38 de l’ordonnance, reprend cette même faculté mais apporte des éléments supplémentaires. Selon l’article 38 :

« I- Les conditions d'exécution d'un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social ou à l'emploi, à condition qu'elles soient liées à l'objet du marché public.
Sont réputées liées à l'objet du marché public les conditions d'exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n'importe quel stade de leur cycle de vie, y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commercialisation de ces travaux, fournitures ou services ou un processus spécifique lié à un autre stade de leur cycle de vie, même lorsque ces facteurs ne ressortent pas des qualités intrinsèques de ces travaux, fournitures ou services.
Pour l'application du présent I, le cycle de vie est l'ensemble des étapes successives ou interdépendantes, y compris la recherche et le développement à réaliser, la production, la commercialisation et ses conditions, le transport, l'utilisation et la maintenance, tout au long de la vie du produit ou de l'ouvrage ou de la fourniture d'un service, depuis l'acquisition des matières premières ou la production des ressources jusqu'à l'élimination, la remise en état et la fin du service ou de l'utilisation.

II. - Les acheteurs peuvent imposer, notamment dans les marchés publics de défense ou de sécurité, que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d'un marché public, pour maintenir ou pour moderniser les produits acquis soient localisés sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne afin, notamment, de prendre en compte des considérations environnementales ou sociales ou d'assurer la sécurité des informations et des approvisionnements ».

Ainsi, le nouvel article relatif aux conditions d’exécution du marché marque une avancée majeure : il précise dans quels cas les conditions d’exécution sont réputées liés à l’objet du marché. Les conditions d'exécution peuvent concerner n’importe quelle étape du cycle de vie du produit ou du service, le cycle de vie étant clairement défini au deuxième alinéa du I. En outre, l’article 38 étend la possibilité d’inclure des considérations d’ordre social ou environnemental dans les marchés publics de défense ou de sécurité.

Concernant les critères d’attribution, l’article 53-II du code des Marchés publics prévoyait la possibilité de prendre en compte les performances en matière de protection de l’environnement, d’insertion des publics en difficultés, mais aussi du coût global d’utilisation. Les dispositions relatives aux critères d’attribution figurent désormais à l’article 52 de la nouvelle ordonnance selon lequel :

« I. - Le marché public est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché public ou à ses conditions d'exécution.
Le lien avec l'objet du marché public ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément à l'article 38.
II. - Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. »

Selon cet article, l’intégration de considérations sociales ou environnementales peut se faire dans les mêmes conditions que celles de l’article 38 relatif aux conditions d’exécution.

Concernant les spécifications techniques, l’article 6 du CMP rendait possible la prise en compte de l’environnement dans les spécifications techniques et notamment en référence aux écolabels et l’article 45 autorisait le pouvoir adjudicateur à demander aux candidats à des marchés de travaux, et de services dont l’exécution implique la mise en œuvre de mesures de gestion environnemental, des certificats de qualités basés sur EMAS ou sur des normes européennes ou internationales de management environnemental. Aucune de ces dispositions n’a été reprise dans l’ordonnance du 23 juillet 2015.