La première directive (directive 2004-17) concerne « tous » les marchés publics et la seconde (directive 2004-18) ne concerne que les marchés publics du secteur de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. Les mentions liées aux achats publics durables sont issues de la directive 2004-18. La directive 2004/18 comporte 51 considérant et 84 articles parmi lesquels 5 considérant et 6 articles font référence à l’intégration des considérations de développement durable dans la commande publique. Dans la nouvelle directive (directive 2014-24), 138 considérant et 95 articles sont consacrés. Le législateur a entendu donner une importante place à l’intégration des considérations sociales et environnementales dans les procédures de passation de marché notamment dans le cadre de la stratégie européenne « Europe 2020 » exposée dans la communication de la Commission du 3 mars 2010 intitulée « Europe 2020, une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive »(1). Afin d’effectuer une analyse approfondie des apports de la nouvelle directive, il convient de revenir dans un premier temps sur les dispositions de l’ancienne directive qui ont été modifiées (§1) et dans un second temps sur les dispositions novatrices (§2).


§1. Les modifications apportées aux dispositions de la directive 2004/18/CE

La nouvelle directive reprend, dans l’ensemble, les mêmes dispositions que l’ancienne directive concernant l’intégration des considérations environnementales et sociales dans la définition des critères d’attribution et des critères d’exécution du marché. Néanmoins, elle apporte des précisions concernant les marchés réservés et les écolabels.

L’élargissement du champ d’application des marchés réservés

La promotion du développement durable passant par la protection de l’environnement et l’insertion de considérations sociales, le législateur a consacré une exception au principe communautaire, quasi-intouchable, de libre-concurrence : afin de garantir l’égalité des chances pour tous, le pouvoir adjudicateur se voit octroyer le droit de réserver certains marchés aux ateliers protégés qui, dans les conditions normales de concurrence, se verraient écarter. On peut, dans ce cas, parler de discrimination positive en faveur du progrès social (2). Selon l’article 19 de la directive 2004-18, des marchés publics peuvent être réservés aux ateliers protégés qui comptent une majorité de travailleurs handicapés dans ses effectifs, à condition que le pouvoir adjudicateur fasse mention de la volonté de réserver le marché à ces ateliers dans l’avis d’appel d’offre. Une définition brève et succincte d’un « travailleur handicapé » est donnée : il s’agit d’une personne qui, en raison de la nature ou de la gravité de sa déficience, ne peut exercer une activité professionnelle dans des conditions normales (3).
Dans la nouvelle directive, le législateur souligne le rôle considérable des ateliers protégés. Néanmoins, il prévoie que toutes les « entreprises sociales ayant pour objectif principal de soutenir l’intégration ou la réintégration sociale et professionnelle des personnes handicapées ou défavorisées telles que les chômeurs, les membres de minorités défavorisées ou de groupes socialement marginalisés pour d’autres raisons se voient également attribuer les mêmes avantages ». Le champ d’application se voit donc élargi. En outre, l’article 20 de la directive 2014/24/UE reprend essentiellement les mêmes termes que l’article 19 de la directive 2004/18/CE mais y ajoute une précision d’ordre quantitative : dans l’ancienne directive, il était exigé que les ateliers protégés compte une « majorité de travailleurs handicapés » dans ses effectifs (3). La nouvelle directive est plus souple : « 30% du personnel de ces ateliers, opérateurs économiques ou programmes [doivent être] des travailleurs handicapés ou défavorisés ». Ainsi, les ateliers protégés ne doivent employer au minimum 30% de salariés handicapés ou défavorisés alors que selon les dispositions de l’ancienne directive, l’ateliers protégé devaient employer plus de 50% de salariés handicapés seulement. En revanche, dans les nouvelles dispositions, on ne retrouve plus la définition du « travailleur handicapé ». Dans le même sens, l’article 77 permet au pouvoir adjudicateur de réserver des marchés portant exclusivement sur les services de santé, sociaux ou culturels et, le cas échéant, définit les conditions auxquels doivent répondre les candidats (4).

L’autorisation d’exiger l’obtention d’un écolabel européen dans l’appel d’offre

Dans la directive 2004/18/CE, le législateur avait précisé que les pouvoirs adjudicateurs pouvaient définir les besoins environnementaux dans les spécifications techniques d’un marché et pouvaient prescrire des caractéristiques environnementales telle qu’un mode de transport privilégié, ou une méthode de production déterminée mais il leur était interdit d’exiger la certification d’une norme particulière. En ce sens, selon les dispositions de l’ancienne directive, le pouvoir adjudicateur devait se référer à une norme (européenne, à défaut, nationale) afin d’être le plus claire sur ses attentes mais devait impérativement préciser, dans la rédaction de la clause, qu’une norme équivalente serait tout aussi valorisée (5). Si le pouvoir adjudicateur se référait à une norme et que le candidat proposait une norme équivalente, ce dernier pouvait être amené à prouver l’équivalence en obtenant un dossier technique du fabricant ou un rapport d’essai d’un organisme reconnu (6) .
La nouvelle directive reprend en partie ces dispositions mais insiste davantage sur la promotion de l’insertion de spécifications techniques qui permettent d’atteindre les objectifs de durabilité (7) . En outre, de nombreuses précisions ont été apportées à l’article 23 de l’ancienne directive de telle sorte que le contenu de cet article se retrouve dans trois articles de la nouvelle directive : l’article 42 sur les spécifications techniques, l’article 43 sur les labels et l’article 44 sur les rapports d’essai, certification et moyen de preuve. L’article 43 de la directive 2014/18/CE reprend en partie le contenu de l’article 23 de la directive 2004/18/CE abrogée. En revanche, quelques modifications y ont été apportées notamment en ce qui concerne l’exigence d’un écolabel. Désormais, il est autorisé aux pouvoirs adjudicateurs d’exiger expressément l’obtention d’un label européen. Selon l’article 43 de la directive 2014/24/UE, «lorsque les pouvoirs adjudicateurs souhaitent acquérir des travaux, des fournitures ou des services présentant certaines caractéristiques d’ordre environnemental, social ou autre, ils peuvent, dans les spécifications techniques, les critères d’attribution ou les conditions d’exécution du marché, exiger un label particulier en tant que moyen permettant de prouver que les travaux, services ou fournitures correspondent aux caractéristiques requises ». Néanmoins, cette exigence sera régulière si est seulement si elle respecte cinq conditions : l’exigence en matière de label ne doit concerner que des critères qui sont liés à l’objet du marché, l’exigence doit être fondée sur des critères vérifiables de façon objective et non discriminatoire, le label doit être établi par une procédure ouverte et transparente, le label doit être accessible à toutes les parties intéressées, l’exigence en matière de label est fixé par un tiers sur lequel l’opérateur économique qui en demande l’obtention ne peut exercer d’influence décisive. Cette nouvelle disposition va à l’encontre de la décision qui avait été rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 10 mai 2012 (8) , qui énonçait qu’un acheteur public ne pouvait se référer à des labels déterminés mais devaient recourir à des spécifications techniques pour décrire l’objet du marché.


§2. Les nouveautés apportées par la directive 2014/24/UE

Afin d’atteindre les objectifs fixés dans la stratégie « Europe 2020 », le législateur européen a consacré plusieurs nouveautés en faveur de la promotion de l’achat public durable. A cet égard, le législateur a précisé que les pouvoirs adjudicateurs devraient désormais veiller à ce que les candidats, mais aussi ses sous-traitants, respectent les « obligations en matière de droit de l’environnement, social et du travail qui s’appliquent au lieu où les travaux sont exécutés ou les services fournis » (9). Le législateur européen a également consacré la création du partenariat d’innovation favorisant les candidats proposant des solutions novatrices en faveur de la protection de l’environnement et du progrès social et répondant aux besoins de l’acheteur public.

Le contrôle du respect des dispositions du droit de l’environnement, du droit social et du droit du travail

Auparavant, le pouvoir adjudicateur était tenu de vérifier que les candidats ont répondu à leurs obligations en matière sociale et fiscale. Désormais, cette étape de « vérification » est élargie : le pouvoir adjudicateur devra contrôler le respect des dispositions du droit de l’environnement, social et du travail « aux stades pertinents de la procédure de passation de marché » c’est-à-dire lors du choix des candidats, lors de l’application des critères d’attribution et des critères d’exécution du marché. Selon le §2 de l’article 18, « les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que, dans l’exécution des marchés publics, les opérateurs économiques se conforment aux obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail établies par le droit de l’Union, le droit national, les conventions collectives ou par les dispositions internationales en matière de droit environnemental, social et du travail énumérées à l’annexe X ». Parmi les textes énumérés à l’annexe X, on y retrouve huit conventions de l’OIT, en faveur du progrès social, et quatre conventions qui attraient à la protection de l’environnement.
L’ancienne directive consacrait deux articles relatives à la sous traitance : l’article 25 selon lequel le pouvoir adjudicateur pouvait ou devait, selon la législation nationale de l’Etat membre, demander au soumissionnaire d’indiquer dans son offre la part de marché qu’il a l’intention de sous-traiter à des tiers ainsi que les sous-traitants proposés, et l’article 60 traite du cas de la sous-traitance dans le cadre d’une concession, qui ne sera pas traité ici. Dans la nouvelle directive, le cas de la sous-traitance est traité dans l’article 71 de la directive 2014/24/UE. L’article comporte 8 paragraphes. En matière d’achat public durable, la question se pose de l’application du respect des obligations légales et du respect des conventions de l’OIT, sur toute la chaine des sous-traitants. A cet égard, il est précisé dans l’alinéa 1 de l’article 71 que « le respect des obligations visées à l’article 18, paragraphe 2, par les sous-traitants est assuré grâce à des mesures appropriées adoptées par les autorités nationales compétentes agissant dans le cadre de leurs responsabilités et de leurs compétences ». Ainsi, le pouvoir adjudicateur sera en mesure d’exiger des sous –traitants du cocontractant principal qu’ils respectent les normes en vigueur énumérées à l’annexe X de la directive. Aussi, le même article ajoute que « les pouvoirs adjudicateurs peuvent étendre ou être contraints par des Etats membres à étendre les obligations prévues au premier alinéa […] aux sous-traitants des sous-traitants du contractant principal ou se trouvant à des échelons inférieurs de la chaîne de sous-traitance ». Il s’agit de mettre en place un système de contamination bénéfique qui permettrait d’assurer le respect des obligations résultants des conventions internationales relatives au progrès social ou à la protection de l’environnement par tous les opérateurs économiques directement ou indirectement concernés par un marché public.

La création du partenariat d’innovation

« La recherche et l’innovation, y compris l’éco-innovation et l’innovation sociale, comptent parmi les principaux moteurs de la croissance future et ont été placées au cœur de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive »(10) . Ainsi, selon le législateur européen, l’innovation constitue un des principaux moteurs de la croissance au plan européen dans le cadre de la stratégie Europe 2020. L’innovation est définit comme étant « la mise en œuvre d'un produit, d'un service ou d'un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, y compris mais pas exclusivement des procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise ». Tous les domaines sont ainsi visés. Par la procédure du partenariat d’innovation, les procédés de construction décarbonés, la mise en œuvre de démonstrateurs pour des villes intelligentes ou encore des procédures organisationnelles nouvelles en faveur du développement durable seront autant de projet dont la mise en pratique sera facilitée par la nouvelle procédure du partenariat d’innovation. Un partenariat d’innovation est « une procédure spécifique de passation de marché utilisée lorsque le besoin de développer un produit, un service ou des travaux innovants et d’acquérir ultérieurement des fournitures, services ou travaux qui en résultent, ne peut être satisfait par des solutions déjà disponibles sur le marché » (11) . Ces partenariats d’innovation seront en concurrence avec les achats publics avant commercialisation (APAC) qui ont été présentés dans une communication de la Commission du 14 décembre 2007 (12) . Le dispositif de l’APAC repose sur un développement par phases : d’abord, l’acheteur public lance un appel à projet pour la réalisation d’une étude de faisabilité, ensuite il retient plusieurs opérateurs et les rémunère pour la réalisation des services de recherche et de développement, et , en fonction des résultats atteints, il peut commander à certaines entreprises un prototype, enfin, il commande la réalisation d’une série expérimentale pour permettre la vérification de la capacité de production en série. Pour acquérir les produits ou les services issus du procédé innovant, l’acheteur public doit, au terme de la phase expérimentale, engager une nouvelle consultation publique. Dans la procédure du partenariat d’innovation il en va différemment : le partenariat prévoit concrètement deux catégories de phases : une ou plusieurs phases successives sont relatives au processus de recherche et d'innovation, avec un ou plusieurs titulaires ; puis une ou plusieurs phases ultérieures optionnelles portent sur l'acquisition des produits, travaux ou services issus des phases préalables. Une entreprise qui aura investi dans une solution innovante pourra ainsi la vendre dans le cadre du marché associé, à la condition toutefois que l'acheteur public ait levé l'option et si le « résultat correspond aux niveaux de performance et aux coûts maximums convenus ». Ainsi, cette nouvelle procédure consacre davantage de garantie pour le soumissionnaire qui propose une solution innovante en matière de protection de l’environnement ou en faveur du progrès social.



(1) COM (2010) 2020 final – Non publié au Journal officiel
(2) Considérant 28, directive 2004/18/CE
(3) Article 19, directive 2004/18/CE
(4) Article 77, directive 2014/24/UE
(5) Considérant 29, directive 2004/18/CE
(6) L'alinéa 8 de l’article 23 précise ce qu’est un « organisme reconnu » : il s’agit des laboratoires d’essai, de calibrage, les organismes d’inspection et de certification conformes aux normes européennes applicables.
(7) Considérant 74, directive 2014/24/UE
(8) CJUE, 3ème chambre, 10 mai 2012, affaire C-368/10
(9) Considérant 37, directive 2014/24/UE
(10) Considérant 47, directive 2014/24/UE
(11)Considérant 49, directive 2014/24/UE
(12) COM/2007/0799 final *l: Achats publics avant commercialisation: promouvoir l'innovation pour assurer des services publics durables et de qualité en Europe