I. Le contexte

Le rapport Canfin-Grandjean indique intervenir dans un contexte double : d'une part, l'approche de la Cop21 qui se tiendra à Paris fin 2015 et d'autre part, une économie mondiale marqué par ce que les auteurs nomment le "triangle des paradoxes", à savoir une politique monétaire expansionniste, une tension sur les modèles économiques des investisseurs de long terme et un besoin de financement en infrastructures non satisfait.
Le rapport a été commandé par le Président de la république dans un courrier du 25 février 2015 par lequel il explique que la tension sur les finances publiques dans de nombreux pays "rend très difficile une augmentation de la pression fiscale" et il demande alors un rapport pour le développement d'outils financiers innovants. Le rôle des pouvoirs publics est double selon eux : d’une part, il s’agit de " fournir des financements ou des garanties " et d’autre part, " mettre en place les règles pour que les investissements privés s’orientent massivement vers une économie décarbonée ". Les coauteurs ont construit leur rapport en recourant à de nombreux tiers, ils ont auditionné 76 experts.

Le rapport part du constat de l'existence d'un risque financier lié au changement climatique et en même temps considère que la lutte contre le changement climatique est une opportunité économique et financière. Selon les analystes, le rapport n'explore en réalité aucune nouvelle piste, il s'agit d'une synthèse de l'existant et de l'avis des auteurs sur les techniques de financement les plus adéquates et les manières de les mettre en place efficacement. Les coauteurs identifient quatre leviers de financement pour développer une économie décarbonée : un signal prix carbone, des infrastructures bas carbone résilientes, la mobilisation des banques de développement pour faire davantage de projets bas carbone et la réglementation financière et la mobilisation des acteurs financiers privés.

A titre liminaire, il convient de rappeler, comme le mentionnent les auteurs, que les investissements verts ne sont pas constitués uniquement par le financement du développement des énergies renouvelables (énergies solaires, éoliens, biomasse etc.). Les principaux besoins en investissements verts relèvent en réalité de la modernisation des infrastructures pour qu’elles soient plus efficientes : il s’agit des transports urbains durables, des réseaux d’électricité, de la gestion des ressources en eau ou du traitement des déchets etc.
Si la proportion de financements d’infrastructures " vertes " est difficile à établir avec précision, les auteurs la situent entre 7 et 13% du total des investissements mondiaux dans les infrastructures. Ce qui est trop faible pour parvenir à maintenir le réchauffement climatique sous 2°C.


II. Les dix propositions pour financer la mise en place d'une économie décarbonée

1. Instaurer un suivi de la feuille de route du financement d'une économie décarbonée pour assurer sa pérennité au-delà de la Cop 21
Les différentes étapes pour atteindre les objectifs de financements doivent faire l’objet d’une feuille de route et les auteurs suggèrent que le FMI et la Banque mondiale soient chargés de sa mise en œuvre " en coordination avec les instances pertinentes au sein de la Convention climat notamment ".

2. Mettre en place un signal prix carbone
Pour les auteurs, les subventions aux énergies fossiles sont des prix négatifs carbone. En effet, selon le FMI, les subventions à ces énergies ont un coût de 10 millions de dollars par minute dans le monde. Les auteurs considèrent qu'il faudrait arrêter ces subventions. Il est intéressant de noter qu'un récent rapport de l'OCDE fait la même critique à ces subventions.
Il existe une pression forte des investisseurs privés d'obtenir un prix carbone, mais les discussions internationales n'aboutissent pas. Ici, les auteurs proposent la mise en place volontaire d'un "corridor carbone" ou " cible carbone " qui est un prix minimum de 15/20 dollars la tonne de CO2 avant 2020 et 60/80 dollars la tonne de CO2 en 2030/2035.

3. Intégrer le climat dans les modèles macroéconomiques
Les auteurs souhaitent que l’objectif de réduction des émissions de CO2 à 2°C soit intégré dans tous les modèles et prévisions économiques par les institutions internationales et les gouvernements.

4. Réaliser des stratégies nationales de financement de la décarbonation de l'économie
Ils proposent que tous les Etats adoptent une stratégie de financement de la décarbonation et soulignent que les Etats développés doivent le faire en premier lieu, comme la France avec l’adoption de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.

5. Demander à chaque banque de développement de définir une feuille de route d'investissements compatibles avec le maintien sous les 2°C
Une banque de développement est une institution visant à financer des projets de développement durable, environnemental ou social dans un pays. Pour les auteurs ces banques doivent intégrer l’objectif de décarbonation dans leur feuille de route et présenter celle-ci aux institutions bancaires internationales.

6. Utiliser de manière plus intensive au sein des banques de développement les outils à fort effet de levier
Les auteurs envisagent des possibilités pour permettre aux banques de développement d’augmenter leurs financements climat et d’en réduire les coûts.

7. Ancrer dans le programme de travail du G20 en 2016 les recommandations à venir du Conseil de stabilité financière

8. Faire définir par la Banque des règlements internationaux des méthodes permettant d'élaborer des stress-tests climat pour les banques et les compagnies d'assurance
Les auteurs souhaitent que des scénarios catastrophes, en l’occurrence le scénario d’une augmentation de la température mondial de 4°C, soient envisagés pour déterminer quels seraient les comportements des différents actifs détenus par les banques.

9. Mettre en place un système de suivi public des engagements des acteurs financiers à intégrer le risque climat, à mesurer les émissions de gaz à effet de serre induites par leurs financements, à financer davantage l'économie
Ces derniers mois de nombreux établissements et institutions financiers ont pris divers engagements pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique (voir par exemple les engagements pris lors du Climate Finance Day à Paris). Les auteurs souhaitent que ces différents engagements fassent l’objet d’un recensement rationnel, dans le cadre d’un rapport annuel par exemple, pour mieux mesurer les avancées des acteurs financiers et les rendre plus visibles. En effet, la visibilité est un encouragement pour ceux qui ne se sont pas encore engagés. Ils invitent donc à rassembler les engagements sur une plateforme, la plateforme Nazca mise en place par la Convention Climat.

10. Adopter la méthode développée par l'OCDE en juin 2015 pour analyser l'alignement des politiques publiques au regard des engagements climat
Les auteurs souhaitent que la France soit première dans l’adoption de la méthode de calcul de l’OCDE.


III. Les financements

La problématique particulière des Etats en développement

Les Etats en développement sont plus vulnérables aux conséquences du changement climatique, notamment par leur manque d’infrastructures résilientes. La difficulté du financement pour ces pays est d’abord liée au fait qu’ils ne sont pas massivement intégrés dans les marchés de capitaux privés internationaux. Ainsi, la réallocation des capitaux privés vers ces pays est complexifiée mais, pour les auteurs, plusieurs pays en développement ont des marchés émergents de capitaux et des banques centrales actives sur ces questions. Le financement des infrastructures du Sud par les pays du Nord rencontrent néanmoins de nombreux obstacles.

Quels financements ?

Le rapport propose, ou plus précisément recense, plusieurs types de financements innovants qu’il conviendrait de développer dans le cadre précis d’une transition et notamment :
- la taxe sur les transactions financières : cette taxe européenne est en cours de négociation entre 11 pays ; elle pourrait être utilisée pour financer le Fonds Climat ;
- le marché européen d’échange de quotas de CO2 (EU ETS) : les capitaux provenant de ce marché pourraient être utilisés, au choix des Etats souverains, pour les financements internationaux dans une proportion plus grande qu’actuellement par rapport à l’utilisation à des fins domestiques ;
- la contribution des transporteurs internationaux : il s’agit des secteurs aérien et maritime. Le secteur aérien contribuerait pour 2 à 3% des émissions de gaz à effet de serre mondiales tandis que le secteur maritime contribuerait à hauteur d’environ 3% et pourrait attendre 5% en 2050. Il est envisagé que ces secteurs soient mis à contribution selon trois possibilités : taxation des carburants, renforcement des normes d’efficacité environnementale et compensation carbone pour financer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre. La compensation carbone semble la plus adaptée pour le moment ;
- l’augmentation des effets de levier des financements publics ; et
- le développement massif du marché des obligations vertes (green bonds) : les auteurs souhaitent que ce marché se développe et souhaitent donc que le marché soit sécurisé et standardisé. Il faut créer des critères, des normes pour garantir l’intégrité des projets dits " verts " et sanctionner les intervenants en cas de non-respect des engagements " verts ". Cette standardisation est indispensable au développement de ce marché puisqu’il faut rassurer les investisseurs.


Source principale : le rapport de la commission Pascal Canfin – Alain Grandjean de Juin 2015, " Mobiliser les financements pour le climat "