Avec bientôt 100 % de ses détritus recyclés, San Francisco est en train de prouver au monde que la lutte contre le gaspillage et les émissions de CO2 est non seulement possible mais très rentable. Comment une ville américaine de cette envergure, est-elle parvenue à faire de ce qui est considéré comme une contrainte par la majorité des métropoles, un atout économique au sein duquel chaque citoyen prend part?

Atteignant la hauteur d’un immeuble de 3 étages et longue de 30 mètres, la masse immense de déchets réalimentée en permanence par 200 camions à poubelles de San Francisco, se voit toutes les trente secondes arracher une tonne de rebuts qui seront déversés dans l'entonnoir de l'usine de traitement des ordures.
Il est possible de ne pas avoir la fibre écologiste, toujours est-il qu’une visite à l'aube dans du Pier 96, un hangar maritime de 20 000 mètres carrés qui constitue le plus grand centre de recyclage du monde, ne peut que conduire à nous interroger sur l’avenir et la gestion de nos déchets.
Robert Reed, directeur de la communication de Recology, coopérative chargée de la collecte des ordures de la ville, explique en désignant une montagne d’emballage que celle-ci ne correspond en réalité qu’à deux jours d'achat en ligne des San-Franciscains.
A coté, trône un amas encore plus conséquent de boîtes de bières et de soda, qui traduit également, l'ampleur du défi qu'a choisi de relever cette ville de 850 000 habitants lorsqu'elle s'est fixée il y a 13 ans pour objectif, de recycler l’ensemble de ses déchets d’ici à 2020.

Déjà 80% du contenu des poubelles de la ville pionnière des causes écologiques américaines, est retraité, ce qui constitue en soi un exploit. Cependant, l’ambition annoncée du "zero waste" (zéro déchet au dépotoir), se heurte chaque matin à la réalité avec l’arrivée de plus de un millier de tonnes de détritus. L’enjeux est de taille, puisque si la ville de San Francisco parvenait à atteindre son objectif, la possibilité d'un recyclage total de nos déchets, clef d'une réduction sensible des émissions de gaz à effet de serre, deviendrai elle aussi possible, pour la majeure partie des grandes métropoles du monde.

Au Pier 96, Robert Reed explique que tout ce qui est organique, "tout ce qui a eu une vie à un moment donné, ce qui pourrit, et se dégrade naturellement” a déjà été transporté par camions entiers la nuit, puis déversé près de Vacaville, à 40 kilomètres au nord de San Francisco, afin de produire 650 tonnes d'un compost d’excellente qualité, vendu aux fermes de la région. Le reste, le solide et le réutilisable, sera trié au Pier 96.
Le bon sens dont semble habité les San-Franciscains n’est naturellement pas survenu de façon innée, le recyclage étant devenu obligatoire il y a 6 ans. En effet, deux dates marquent le progrès de la ville en la matière : le vote historique du conseil municipal, en 2002, et l’année 2009, où a débuté le recyclage obligatoire dans la ville, via le triptyque des trois poubelles, noire pour les détritus non traitables, bleue pour le recyclable et verte pour le compost.
Le trie des déchets est véritablement devenu une préoccupation centrale du quotidien de chaque habitant, si bien qu’une légende urbaine colportée par les 1000 employés de Recology, raconte à propos du cadavre d’une femme, découvert 6 ans auparavant dans un local à ordures d'un immeuble, que l’assassin avait pris le soin de placer le corps au sein de la poubelle verte, réservée à l'organique. "Il avait dû assister à l'une de nos réunions d'information", suggère avec une pointe d’acerbité le porte-parole de Recology. En effet, plus de 4 millions de dollars destinés aux campagnes d'affichages et aux séances de sensibilisation, sont dépensés chaque année par la mairie, par l'entremise de la coopérative, le public demandant juste « à être guidé dans sa vie quotidienne de consommateur responsable ».

Le plus étonnant, est que l’immense décharge publique du Pier 96, ai engendrée de la richesse. L’activité de recyclage a ainsi créé 178 emplois, rémunérés entre 40 000 et 80 000 dollars par an, tous adressés aux populations proches des quartiers défavorisés. Debbie Raphael, directrice de l'environnement de la ville, évoque ouvertement le sujet des intérêts économiques susceptibles de découler d’une telle politique : "Croyez-vous qu'une décharge publique ou un de ces incinérateurs dont raffolent les Européens engendrent de la richesse économique? ».
La réponse est positive, « le recyclage créant de la valeur et des emplois, là où d'autres ne produisent que des champs d'immondices stériles. » Les mesures les plus rigoureuses pour certains, et spectaculaires pour d’autres, prises par la municipalité demeurent largement approuvées dans les sondages.

On peut notamment citer la dernière interdiction en date, concernant la vente et de la distribution de petites bouteilles d'eau en plastique dans les espaces publics de la ville. Cette dernière fut adoptée à l'unanimité par le conseil municipal en mars 2014 et entra en vigueur dés octobre de la même année (à l’exception d'événements majeurs sur la voie publique, tel que la Gay Pride). A la place, seront installées de nombreuses fontaines d'eau et des gobelets compostables pourront être distribués pendant des événements.
« Les bouteilles d'eau en plastique coûtent cher à produire et ont un coût environnemental considérable. Il lui faut mille ans pour qu'elles se dégradent », a justifié le conseiller municipal David Chiu, à l'origine d'une mesure qui mentionne le risque pour la santé, des composés chimiques comme les phtalates pouvant s'infiltrer dans l'eau et « perturber les hormones et ainsi accroître le risque d'infertilité, de cancer et de fausses couches ». « Si nous pouvons les interdire dans l'espace public, que les gens comprennent que c'est totalement faisable, alors nous pourrons aller plus loin », a ajouté M. Chiu. Autrement dit, envisager une interdiction totale.
Furent bannis également, de San-Francisco, les emballages en polystyrène imputrescibles et les sacs en plastique.

Pour parvenir à ce but jamais atteint par une aussi grande ville dans le monde, San Francisco fait preuve de volontarisme politique et multiplie les initiatives législatives, au point que d’après un habitant, "Le recyclage est une fierté. Un signe d'appartenance à la ville."
Toutefois, il aura fallu plus d'une décennie pour parvenir à un tel résultat. Jared Blumenfeld, ancien directeur de l'environnement de San Francisco, aujourd'hui patron de l'Environnemental Protection Agency, l'agence fédérale pour tout l'Ouest américain, explique comment cette dynamique s’est enclenchée "grâce à un mélange de diplomatie et d'indéniable courage politique". Les plus gros utilisateurs des décharges publiques étaient les entreprises de construction, et c’est aux termes de 18 mois de négociations qu’elles acceptèrent de recycler 75% de leurs matériaux, avant d'en faire, dès 2006, la condition d'obtention d'un label écolo indispensable pour être autorisé à travailler à San Francisco. Une suspension de six mois fut prévue pour les contrevenants et en parallèle, la ville s'engagea à n'utiliser que des matériaux recyclés pour des travaux publics comme l'asphalte, les trottoirs ou encore les gouttières.

Le grand public a également fait preuve de très bonne volonté atteignant sans contrainte réglementaire, un seuil de 75% de recyclage de ses déchets en 2009. Blumenfeld reconnaît que "pour aller plus loin, il fallait rendre le zero waste obligatoire". Hormis les très rares amendes, allant de 100 à 1000 dollars pour les contrevenants, pour le moment, la stratégie de la mairie est orientée sur les tarifs des poubelles. En effet, la poubelle noire réservée aux déchets non recyclables, est louée à un cout conséquent, cela poussant les particuliers à prendre le plus petit modèle, et par là, à mieux vérifier son contenu, dont régulièrement, la moitié pourrait encore être exploitée ou transformée en compost.
On peut également prendre pour exemple, le fait que les comptables du grand hôtel Hilton de San Francisco ont dés les années 2000, convaincu la direction de tenter l'expérience pilote de compostage de la totalité des restes des 7500 repas servis quotidiennement dans l'établissement. Les résultats ont été des plus concluant, car en en assurant le tri, la structure a fait baisser le coût du ramassage de ses ordures de 250 000 dollars. Les nombreux établissements de restaurations de la ville (4500) ont suivit cette voie en 2005, avant que la mairie n’impose sa fameuse poubelle verte à tous les habitants de San Francisco.

Cette mesure est des plus visible dans l'immense étendue de compostage de Vacaville, où chaque nuit sont déchargés les restes de repas de la ville. La précieuse matière en pourrissant, crée de l’azote et va être mélangée à des débris végétaux riches en carbone, puis filtrée dans des tamis géants, broyée, entassée en tas de 3 mètres de hauteur, et enfin, soumise durant 21 jours à une température de 50 °C du fait de sa seule activité bactérienne.
Le produit final partira vers les terres de Californie du Nord, enrichir celles-ci. Dave Vella, manager des prestigieux vignobles de Chateau Montelena, situés dans la Napa Valley, en est un fervent utilisateur et répand près de 1000 mètres cubes par an sur ses 100 hectares de vignes. "J'ai vu trop de sols bousillés par les engrais chimiques", justifie l’homme descendant de vignerons italiens en malaxant son tas de poudre brune. Au nord de San Francisco, à Petaluma, Bob Cannard qui possède 500 hectares de légumes et de vignes rappelle la simplicité de cette démarche : « Envoyez-nous vos ordures et on vous renvoie de la bouffe. Le compost maintient l'humidité de la terre, un vrai plus au moment où la sécheresse en Californie oblige, pour la première fois, à rationner l'eau dans la région ».

Peu importe les résultats atteints en 2020, force est de constater que les efforts entrepris par San Francisco auront été admirables, la ville incitant d'autres grandes villes américaines à prendre son chemin. Après Seattle, dans l'Etat de Washington, la ville de Minneapolis, dans le Minnesota, qui ne recycle dans l’immédiat que 37 % de ses déchets, s'apprête également à franchir le pas en se fixant un objectif des 100 %.




Sources :

- http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/etats-unis-san-francisco-la-ville-zero-dechet_1672251.html

- http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/05/29/le-systeme-zero-dechet-de-san-francisco-en-7-questions_4424222_3244.html

- http://www.planete-verte.fr/actualites/77-san-francisco-objectif-zero-dechet.html