« Si le vin manque, il manque tout ».

Tel est le fameux proverbe latin qui, encore aujourd’hui, illustre la place importante qu’occupe cette boisson dans le monde culturellement et économiquement, notamment dans l’Hexagone.

En effet, la France, historiquement grande productrice et exportatrice de vin, est redevenue en 2014 le premier pays producteur de vin au monde, devant l’Italie et l’Espagne, respectivement deuxième et troisième, malgré une consommation mondiale en légère baisse. L’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) a publié le 23 octobre 2014 des chiffres indiquant qu’il y aurait eu plus de 46 millions d’hectolitres de vins dans les cuves françaises sur l’année passée. Le bénéfice lié aux exportations s’élevait par ailleurs à 7,6 milliards d’euros en 2012. Cette boisson alcoolisée joue donc un rôle important dans l’économie du pays. Elle est d’ailleurs la plus consommée en France et engendre plusieurs centaines de milliers d’emplois (558 000 en 2012), que ce soit au niveau des viticulteurs, des tonneliers, ou encore des sommeliers, en passant par les approvisionneurs de bouteilles nécessaires à la vente de cet alcool.

C’est ainsi au sujet de bouteilles de verre qu’une société approvisionnant des vignerons a été condamnée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, par un arrêt rendu en sa Première chambre civile par la Cour de cassation, le 1er juillet 2015. Il y avait en l’espèce un risque d’atteinte à la santé et à la sécurité des consommateurs de vin due à la qualité dégradée de ce verre. Il convient alors de s’intéresser de manière plus approfondie à cette décision, mais avant cela, puisqu’il en est question dans l’arrêt, il semble nécessaire de rappeler brièvement les grands principes du droit civil de la responsabilité du fait des produits défectueux.


• La responsabilité du fait des produits défectueux


En matière de sécurité en droit de la responsabilité, deux régimes peuvent être envisagés : celui du droit commun et celui du droit spécial. Le premier concerne l’obligation de sécurité, consacrée par la jurisprudence et présente dans tous les contrats (uniquement les contrats), écris ou non, le plus souvent de manière implicite. Le second concerne le régime des produits défectueux, prévu expressément par la loi, mais se s’appliquant que pour certains types de cas, aussi bien en matière de responsabilité contractuelle, que de responsabilité délictuelle.
Ce régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux, prévu aux articles 1386-1 et suivants du Code civil, est issu de la directive communautaire du 25 juillet 1985, transposée en droit français par une loi du 19 mai 1998. L’une de ses particularités est qu’il ne concerne que le producteur, le vendeur en est exclu, sauf dans le cas particulier où le producteur resterait totalement inconnu de la victime et que le vendeur serait dans l’incapacité de lui révéler son identité, mais cela ne sera pas abordé ici.

Les conditions d’application de ce régime sont strictes : il faut obligatoirement qu’il y ait un producteur (uniquement un professionnel), ainsi qu’un produit, que ce dernier soit défectueux et qu’il ait été mis en circulation sur le marché depuis moins de dix ans. Cette condition du délai est substantielle à l’application de ce régime : si une chose cause un dommage dix ans après sa mise en circulation, la responsabilité des produits défectueux ne peut s’appliquer. En outre, un produit est dit défectueux s’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (article 1386-4 du Code civil). Cela concerne donc tous les cas d‘atteintes par la chose et non d’atteintes à la chose (garantie des vices cachés). Exemple : un médicament qui, au lieu de soigner, rendrait malade. Les dommages causés par un produit défectueux peuvent être corporels, comme ils peuvent être matériels.


• La décision de la Cour de cassation


Dans la présente affaire, il y avait un dommage matériel, mais aussi risque de dommage corporel. En effet, la société O-I Manufacturing France, spécialisée dans la fabrication de bouteilles en verre, avait remarqué, sur une partie des bouteilles qu’elle approvisionnait à la société Le Club des vignerons pour sa vente de vin, l’existence de défauts pouvant causer l’apparition de débris de verre dans la boisson, risquant ainsi de blesser les consommateurs. Le risque était minime, mais existait néanmoins. C’est à ce titre qu’elle a demandé à son cocontractant l’immobilisation des lots de fabrication concernés par l’anomalie. Cependant, le Club des vignerons, s’estimant lésé, a décidé de l’assigner en réparation de son préjudice économique.

Si la société demanderesse obtint gain de cause en première instance, la cour d’appel de Lyon rejette cependant la demande en réparation de ce préjudice au motif que, ce dernier étant économique, il ne pouvait légitimement être indemnisé au titre des articles 1386-1 et suivants de Code civil, relatifs aux produits défectueux (CA Lyon, 3ème chambre, section A, 13/02/2014). Le Club des vignerons décide alors de se pourvoir en cassation en soutenant que la raison de son préjudice était intimement liée à la défectuosité des bouteilles présentant un danger en cas d’ingestion de verre et n’offrant alors pas la sécurité à laquelle on peut légitimement attendre d’un tel produit.

La question qui s’est alors posée devant la Cour de cassation était la suivante : la défectuosité d’un produit peut-elle justifier la réparation du préjudice économique ?

La Cour de cassation y répond par l’affirmative et censure la décision des juges du fond dans son arrêt publié au bulletin (Civ. 1ère, 01/07/2015, F-P+B, N°14-18.391). Elle considère que le défaut affectait la destination finale du vin et le rendait ainsi impropre à la consommation. La défectuosité des bouteilles se répercutait ainsi sur le vin, ce qui signifie que le défaut d’un produit peut, par extension, rendre un autre produit auquel il est lié défectueux. Comme le vin en l’espèce était devenu défaillant et risquait de porter atteinte à la santé de ceux susceptibles de le boire, il ne pouvait être vendu, ce qui caractérisait alors le préjudice.

Le risque de dommage étant désormais reconnu comme un préjudice et indemnisé par la jurisprudence, la décision de la Cour prend ici tout son sens. Néanmoins, ce n’est pas les vignobles qui risquaient d’être les victimes directes des bouteilles de verre, sauf à supposer qu’ils consomment leurs propres articles, ce qui reste une hypothèse factuelle, mais bien les consommateurs finaux du vin. La Cour condamne donc la société productrice de ces bouteilles à indemniser les vignobles pour un risque de dommage qui ne devait pas les concerner directement. Toutefois, la défectuosité des contenants causait un dommage à la chose et affectait le vin, le rendant impropre à la consommation, entraînant alors une mévente et un préjudice économique. En l’espèce, il n’y avait donc pas de dommages envers les personnes, seulement un risque, mais envers un produit, ce qui engendrait ce risque. La Cour de cassation décide alors d’indemniser ce dommage au titre qu’il entraînait une perte monétaire pour les vendeurs de vin.

Si cet arrêt est court dans la forme, il n’en reste pas moins important au niveau jurisprudentiel, car montre qu’il est possible d’indemniser sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux un préjudice économique lié à une mévente, préjudice lié à un dommage matériel. Ce régime est ainsi envisagé sous un angle plus large que celui qui pourrait lui être accordé à première vue, à la lecture de la directive de 1985 et de la loi de 1998.