« L’Homme est un loup pour l’Homme ». Cette célèbre expression de Thomas Hobbes illustre à sa manière à quel point le loup est un animal craint dans l’imaginaire humain. Il est représentatif d’un état de nature qui serait par définition sauvage et violent. Mais, malgré ce constat pessimiste, cette phrase illustre à sa manière, et peut-être involontairement, les liens qui unissent ces deux grands mammifères à travers les âges. Leurs vies et évolutions ont toutes deux été influencées l’une par l’autre. D’ailleurs, ce n’est qu’après avoir réussi à apprivoiser le loup que naquit le chien, réputé être le plus fidèle ami de l’être humain.

Depuis plusieurs millénaires, les relations entre hommes et loups sont sujettes à controverses. Si Rudyard Kipling semblait défendre l’idée d’un rapprochement entre ces deux espèces dans Le Livre de la Jungle, avec un Mowgli recueilli et élevé par une louve et sa portée, ces derniers ont néanmoins plus souvent fait l’objet de diabolisations et de haines dans nos sociétés occidentales. Il ne faut pas oublier que le loup a pendant longtemps été considéré dans la littérature et les contes comme un prédateur assoiffé de sang, dévorant les petits enfants désobéissants ou trop peu attentifs, illustrant par là la peur qu’il a naguère suscité. C’est ainsi aux traits de cet animal que le cruel et manipulateur bourreau du Petit Chaperon rouge apparaît. Sur le plan historique en France, le XIXème siècle a été le témoin d’une chasse massive de ce grand carnivore. Puis, ce dernier est progressivement venu repeupler les Alpes à partir de 1992. Il est par la même occasion devenu une espèce protégée, grâce entre autre à des textes européens. Cependant, les tensions à son sujet restent vives, notamment entre éleveurs et associations de protection de l’environnement. La réglementation tente de concilier les positions en autorisant la lutte contre ces canidés, tout en la restreignant, afin d’empêcher une nouvelle disparition.

C’est au sujet de cette lutte que deux arrêtés ministériels en date du 30 juin 2015, pris par Ségolène Royal et Stéphane Le Foll, viennent maintenir à 36 le nombre de loups pouvant être tués sur la saison 2015-2016, nombre identique à celui de l’année précédente. Mais avant d’étudier plus en avant ces textes, il convient de revenir sur le cadre juridique relatif à la protection de ces mammifères.


• Le cadre juridique applicable à la protection des loups


Deux textes européens viennent encadrer la protection des loups. Le premier est une convention issue du Conseil de l’Europe (convention de Berne du 19 septembre 1979), le second est une directive émanant de l’Union européenne (directive n°92/43/CEE du 21 mai 1992). Chacun vise expressément ces canidés dans leurs annexes.

Le loup est donc une espèce protégée par la convention de Berne de 1979 et la directive Habitat-Faune-Flore de 1992 (encore appelée directive « Habitat ») et, de ce fait, leur population ne cesse d’augmenter chaque année sur le territoire national et dans le reste de l’Europe. La convention de Berne, relative à la conservation de la vie du sauvage et du milieu naturel de l’Europe, impose que les Etats signataires prennent des mesures juridiques particulières dans l’objectif de permettre une meilleure conservation des espèces animales sauvages, telles que les loups (article 6). Elle prévoit qu’ils interdisent notamment de capturer et de tuer intentionnellement des spécimens de cette faune protégée, ainsi que leur commerce, ou encore la destruction de leurs sites naturels de repos ou de reproduction. Elle permet néanmoins, et de manière stricte, des exceptions à cette interdiction. Une dérogation existe notamment en vue de prévenir tout dommage conséquent aux cultures, au bétail, aux forêts, aux eaux, ou encore en cas de menace aux intérêts de santé et de sécurité publique (article 9).

La directive de 1992 reprend quant à elle les mêmes principes que la convention de Berne concernant l’interdiction de mise à mort ou de capture volontaire (article 12). Elle envisage également très strictement les dérogations à l’interdiction de capturer et de tuer en disposant qu’il ne doit pas exister d’autres alternatives et que cela ne nuise pas à la conservation de ces animaux dans « leurs aires de répartition naturelles » (article 16).

Ces principes issus du bloc conventionnel sont transposés en droit interne. Leurs exigences se retrouvent aux articles L. 411-1 et L. 411-2 et R. 411-1 à R. 411-14 du code de l’environnement, relatifs à la préservation du patrimoine biologique. Un arrêté du 23 avril 2007, pris par le ministère de l’Ecologie et du Développement durable, fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur le territoire national et les modalités relatives à leur protection, confirme par ailleurs que le loup fait partie de cette faune protégée. En revanche, un arrêté du 27 mai 2009 dispose qu’il ne fait désormais plus partie des espèces menacées d’extinction, ce qui légitime sa régulation.

Malgré cette protection par le droit, le loup reste encore une espèce redoutée chez une partie de l’opinion publique qui réclame que des mesures soient prises afin de limiter au maximum les menaces qu’il suscite, notamment aux troupeaux. Il existe donc un plan d’action national pour le loup, pour la période 2013-2014, dont le but est de concilier les intérêts de chacun, tout en veillant à poursuivre la préservation de ce grand chasseur.


• Le cadre juridique applicable à la régulation des loups


Les loups sont donc considérés par le droit comme une espèce protégée. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’ils doivent être considérés comme des animaux sacro-saints. Il est en effet autorisé de tuer certains d’entre eux, sous certaines conditions. N’oublions pas que le loup est loin de faire l’unanimité en France. Il est source de préjudice, notamment pour les éleveurs dont le bétail est une de ses principales cibles. En effet, la perte d’une vache ou d’une brebis représente un coût économique non négligeable pour ceux-ci, sans compter également l’éventuel coût affectif.

Depuis 2004, il est permis en France d’abattre des individus de ces grands carnivores, dans un souci de régulation, principalement en cas de dommages importants. Ceci est très encadré car le nombre de spécimens pouvant être abattus est strictement définit par les textes. Néanmoins, ce nombre augmente d’année en année. Ceci est dû à la hausse croissante du nombre de loups. Ce dernier était par exemple estimé à 300 pour l’année 2013, contre 250 l’année précédente, même si une faible baisse serait à noter en 2015 par rapport à 2014 : 282 contre 301.

Concernant les deux arrêtés pris par les ministres en charge de l’Ecologie (Ségolène Royale) et de l’Agriculture (Stéphane Le Foll), ils maintiennent à 36 ce nombre, similaire à 2014. Le premier fixe ce nombre, tandis que le second établit les conditions et limites concernant les dérogations à l’interdiction de détruire cette espèce protégée. Il n’est cependant indiqué nulle part dans ces textes le nombre de départements concernés, donc celui en vigueur sous le précédent arrêté reste applicable : il concerne 20 départements (arrêté du 30 juin 2014).

Les textes prévoient des règles spécifiques encadrant cette autorisation de destruction. Il est prévu que lorsque 32 loups ont été tués, il est ensuite interdit d’en abattre sur une durée de 24 heures après chaque destruction. Lorsque le plafond des 36 spécimens est atteint, plus aucune dérogation ne sera accordée. Si un loup est abattu par la suite, l’auteur des faits se retrouvera dans l’illégalité, quand bien même il penserait avoir respecté les règles relatives à la dérogation. Toute dérogation sera également suspendue ou révoquée en cas de destruction volontaire ou en cas de non respect des modalités encadrant les conditions d’exécution de cet acte. Enfin, chaque blessure ou destruction d’un de ces grands mammifères doit faire l’objet d’une information au préfet compétent, qui devra ensuite la relayer à l’administration, aux acteurs concernés et aux préfets des autres départements visés par la dérogation. L’animal victime sera ensuite pris en charge ou recherché, en cas de blessure, par les agents de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS).

Mais si l’Etat facilite ainsi l’abatage des loups sur le territoire, il reste néanmoins formellement interdit de tirer, que se soit pour détruire ou pour effaroucher, au cœur des parcs nationaux et des réserves naturelles nationales. On est ici dans une logique légitime de protection de la biodiversité. Néanmoins, le second arrêté prévoit un renforcement de la lutte contre les loups en permettant, dans certains cas, ce type d’effarouchement et de chasse, à condition que le conseil d’administration y appose un avis favorable et que le directeur du parc délivre une autorisation expresse.


Pour conclure, il convient d’observer que le loup est une espèce au statut particulier : à la fois protégée juridiquement, mais aussi toujours considérée comme une menace importante par une partie de l’opinion publique. La réglementation tente alors de concilier les intérêts entre protection de l’environnement, en l’occurrence de la biodiversité, et protection des intérêts économiques, en particuliers ceux des éleveurs. Toutefois, il faut noter que l’image du loup s’est nettement améliorée par rapport à celle qu’elle était jadis chez l’Homme. La prise de conscience de sa disparition et de la nécessité de le préserver son devenues des enjeux importants, que le droit vient consacrer et encourager, reflétant ainsi le changement de mentalité qui s’est opéré depuis la fin du XXème siècle.



Sources :

- CIZEL Olivier,« Le loup toujours mal-aimé », Code permanent Environnement et nuisance, Editions Législatives
- GARRIC Audrey, « L’Etat facilite l’abattage des loups », Le Monde.fr, 2 juillet 2015 http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2015/07/02/l-etat-facilite-l-abattage-des-loups_4666853_1652692.html
- GARRIC Audrey, « L’Homme et le loup, 3 000 ans de face-à-face », Le Monde.fr, 20 mai 2005 http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2015/05/20/l-homme-et-le-loup-3-000-ans-de-face-a-face_4636576_1652692.html
- http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/35653
- http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030824250
- http://www.loup.org/droit/convention.htm
- http://www.buvettedesalpages.be/2013/01/statut-juridique-de-protection-du-loup-en-france.html