I. Quels sont les moyens à la disposition des investisseurs privés ? Quels sont dangers des investissements dans ce secteur ?

La journée était organisée autour de quatre tables rondes chacune ayant pour objet une réflexion autour de différentes difficultés entourant le financement de la décarbonisation.


- Table ronde 1 : Comment les investisseurs institutionnels peuvent-ils abaisser le poids carbone de leurs portefeuilles pour être en ligne avec la réduction de 2°C ? (“How can institutional investors bring their portofolios into line with 2°C ?”)

Pour rappel, 2°C est l'objectif de réduction du réchauffement climatique qui doit être mis en place lors de la COP 21 car les conséquences d'un réchauffement au-delà sont totalement imprévisibles. Plusieurs moyens s’offrent aux investisseurs :
- exclure leurs actifs de certaines activités particulièrement émettrices de CO2 : par exemple les énergies fossiles (charbon ou pétrole, surtout lorsque le mode d’extraction est controversé) ;
- influencer la stratégie des investisseurs par les engagements divers que peuvent prendre les actionnaires ;
- mesurer l’empreinte carbone de leurs portefeuilles et décider de trouver des solutions pour la réduire progressivement soit en ayant une gestion active soit en utilisant des indicateurs carbone ;
- décider d’investir directement dans des projets verts (c’est-à-dire investir dans une société développant une technologie ayant pour objet la réduction énergétique ou le développement d’énergies renouvelables).

Il existe donc plusieurs techniques pour que les investisseurs influencent les sociétés dans lesquelles ils investissent à mieux prendre en compte la lutte contre le changement climatique dans leurs activités et à inciter les autres sociétés à agir si elles veulent aussi des financements. Mais, pour mesurer les émissions carboniques des sociétés, il faut avoir les informations adéquates. Or, si de nombreuses sociétés sont encouragées par les investisseurs dans le cadre de dialogues à être transparentes en la matière, le cadre réglementaire ne les contraigne pas suffisamment.

Il est intéressant de remarquer que certains gestionnaires de fonds se sont volontairement engagés à évaluer l’empreinte carbone de leurs portefeuilles, ce qui est actuellement une mesure en discussion (article 48) dans la future loi pour la croissance verte et la transition énergétique.


- Table ronde 2 : Evaluer, financer et assurer le risque climatique (“Assessing, financing and insuring against climate risk”)

Le changement climatique est d’ores-et-déjà présent et implique des risques économiques, écologiques et sociaux actuels ou potentiels qui doivent être pris en compte dorénavant par les investisseurs, donc préalablement évalués et qui doivent ensuite être assurés.
Les risques liés au changement climatique existent dans les pays en développement mais également dans les pays développés. Le changement climatique bouleverse l’environnement, par une amplitude accrue des catastrophes naturelles, la raréfaction des ressources naturelles (notamment l’eau) ou encore la montée des eaux. Ces dérèglements posent des questions : les déplacements des populations, la résistance des infrastructures… Le secteur assurantiel doit évaluer ces risques dans l’assurance des projets de financement : elle doit donc prévenir et adapter ses stratégies à ces nouveaux risques.


- Table ronde 3 : La finance en faveur de l’action climatique : réussir le défi de l’investissement (“Finance for Climate Action – Tackling the Investment Challenge”)

Les participants à cette discussion étaient : Vikas Dawra, de "Yes Bank", Abyd Karmali de Bank of America Merrill Lynch, Andreas Neukirch de GLS Bank, Thomas Vellacott de WWF Switzerland et Michael Wikins de Standard&Poor’s. Le modérateur était Christopher Knowles, de la Banque Européenne d’Investissement.

Pour lutter contre le réchauffement climatique, les projets facilitant le transfert vers une économie bas carbone doivent être augmentés et accélérés de par le monde. Les projets en question doivent concernés les énergies renouvelables, les transports non polluants, les villes durables, la gestion de l’eau et des terres en particulier. Malgré la diversité et le nombre de projets possibles et l'augmentation des émissions d'obligations vertes, les projets dits "verts" rencontrent toujours des difficultés pour trouver des financements, en particulier dans les pays en développement. Ces difficultés sont dus au fait que les investisseurs jugent les projets trop risqués et les prix des transactions trop élevés. Pourtant de plus en plus d’outils et de produits financiers sont développés pour permettre la levée de financements pour ces projets auprès de banques traditionnelles mais aussi à d’autres acteurs.

Au cours de cette table ronde, il s’agissait pour les participants de répondre aux questions suivantes : Dans la lutte contre le réchauffement climatique, quel rôle les “green bonds” peuvent-ils joués ? Quels obstacles les pouvoirs publics doivent-ils levés ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils dirigés les investissements sur les projets verts ? Il y a donc trois sujets : les obligations vertes ; l’argent public et le rôle des notations.

Jonathan Taylor, Vice-Président de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) explique que les institutions publiques ont un rôle critique mais que la finance publique est insuffisante et qu’il faut attirer la finance privée. Selon lui, les institutions comme la BEI peuvent agir pour rassurer les investisseurs privés de plusieurs manières : en montrant l’exemple c’est-à-dire en investissant dans des projets verts pour pousser indirectement les emprunteurs (en émettant des green bonds par exemple) ; par les pratiques : il recommande la transparence sur les impacts des projets, en respectant des Green lines principles ; en développant les villes vertes (“smarts sustainables cities”) car la lutte contre le changement climatique se jouera aussi dans les espaces non citadins et enfin l’action en faveur du climat doit être inscrite dans toutes les politiques.

Vikas Dawra témoignait d’un effort significatif qui a eu lieu en Inde : la première émission d’obligations vertes en monnaie locale. L’objectif étant d’investir pour une énergie plus efficiente car en Inde, les problèmes d’accès à l’électricité et à l’eau courante sont prégnants dans la société.

Thomas Vellacott a énuméré les trois principaux risques des projets dits "verts" et ainsi les freins à lever pour leur développement. Premièrement, tout ce qui a un label "vert" n’est pas vert, c’est le “green washing”: le danger est que les investisseurs n’aient pas confiance en les labels. Il s’agit d’un problème de qualité : il faut des standards crédibles et il faut une vérification indépendante. Ensuite il faut prendre la mesure de la transformation de l’économie qui est nécessaire et, malgré la dynamique, il doute que les obligations vertes peuvent faire basculer les trillions. Ainsi, pour aller au-delà de la niche du financement "vert" il faut selon lui introduire des principes d’investissement responsable dans tout le marché, tous les investissements. Enfin, le problème est de savoir qui va investir et selon lui les investissements verts ne peuvent pas être effectués que par les banques. Il soulève l’idée que les industriels se mettaient ensemble pour financer.

Pour Michael Wilkins le rôle des gouvernements doit être envisagé en addition aux contributions privées à travers notamment des labels et il leur reviendrait de vérifier la bonne destination des projets verts.
S’agissant de l’évaluation du risque climatique dans les projets de financements, l’agence de notation Standard & Poor’s a indiqué qu’elle l’évaluait car il existe une corrélation entre le risque crédit et le risque climat. Et que si pour le moment elle évalue le risque en se concentrant sur la matérialité du risque climat (c’est à dire la manière dont cela va affecter les résultats de la société), désormais, l’agence souhaite aussi évaluer le risque crédit aussi en prenant en compte le "temporising" (c’est-à-dire le fait d’attendre et de ne rien faire contre les risques climatiques).


- Table ronde 4 : Les innovations pour un système financier durable : politiques, réglementations, standards (“Innovations for a Sustainable Financial System : Policies, Regulations, Standards”)

Les participants étaient Dr. Rathin Roy de National Institute of Public Finance and Policy, Frédéric Samama de Amundi, Richard Samans de WEF (World Economic Forum) et Président du conseil de Climate Disclosure Standards, Michael Sheren de Bank of England, Rintaro Tamaki de l’OCDE et Docteur Wen Wang de l’Université de Chine Renmin. Le modérateur était Nick Robins.

Au cours de cette table ronde il était question du rôle des pouvoirs publics qui restent essentiels au financement de la transition énergétique pour pousser à une économie résiliente et pour corriger les défauts du marché de l’économie réelle. Les pouvoirs publics pourraient ainsi influencer la demande en fixant un prix au carbone, cela est activement demandé par les investisseurs qui seraient ainsi rassurés. Par ailleurs, en l’absence de réglementation, de plus en plus d’acteurs du monde financier développent des normes. Les participants à cette table ronde viennent de différents pays et ont débattus sur les meilleures pratiques à mettre en place afin de développer un système normatif permettant d’accélérer ou du moins soutenir les investissements verts.

Nick Robins a présenté les priorités sur lesquelles les pouvoirs publics doivent intervenir : le risque de gestion, l’ampleur du capital, la transparence qui doit être meilleure de la part des entreprises et des institutions et enfin la culture (il faut des capacités et des incitations).

Les différents intervenants ont expliqué ce qu’il manquait selon eux à chacun de leur pays pour développer les financements verts : en France, la pression pour une meilleure économie doit venir de tous les acteurs, les industriels comme les investisseurs institutionnels ; en Chine, ils ont besoin d’aide de la communauté internationale ; en Angleterre, il faut encourager les entreprises ; en Inde, il faut agir en tenant compte des contraintes des pays en développement car leur problème est d’utiliser plus efficacement les ressources énergétiques et au Japon, le leadership politique doit être amélioré.


II. Quelles annonces encourageantes ont été faites ce jour ?

Deux types d’annonces tout aussi cruciales pour encourager les investisseurs dans le mouvement ont été pris.
Il s’agit (i) d’une part de mettre en place des outils de communication visant à rendre public les parties qui s’engagent et (ii) d’autre part plusieurs acteurs présents se sont engagés sur des sujets précis pour réduire leurs investissements aux énergies polluantes.

(i) S’agissant de la mise en place d’outils de promotion des engagements verts des investisseurs :

Une plateforme internationale d’investissement "Global Investment Platform" a été annoncée par Madame Fiona REYNOLDS, dirigeante au sein de l’organisation "Principles for Responsible Investment (PRI)".
Il s’agit d’une plateforme regroupant sept groupements d’investisseurs et qui a pour but d’éduquer et d’aider les investisseurs à s’engager. En effet, les investisseurs sont engagés avec les sociétés en investissant de manière responsable et en réallocalisant leurs portefeuilles.
L’idée de la plateforme est d’aider les investisseurs à rendre public leurs engagements et c’est également un signal aux gouvernements car cela doit aussi les encourager à prendre des mesures sur ces problèmes. Les investisseurs indiquent par ce biais que, eux, prennent des engagements et qu’ils veulent aussi que les sociétés s’engagent davantage.
Pour l’instant, la plateforme regroupe dans 30 états plus de 400 investisseurs.

Par ailleurs, une plateforme pour les engagements dans le secteur des assurances "Insurance Industry Commitments Platform" a également été annoncée par Remco FISCHER, program officer, de l’UNEP – Finance Initiative. La plateforme s’intéresse à 3 secteurs : l’assurance, la banque et l’investissement. L’assurance d’un risque de gestion est établie selon une chaine : comprendre le risque ; le prévenir ; le réduire et enfin transférer ce risque. C’est ici qu’est le rôle de l’assurance en matière de risque climatique.
Une telle plateforme avait été souhaitée en 2012 par Ban Ki Moon. A l’époque, les PSI ("Principes for Sustainable Insurance") étaient lancés. Il s’agit de quatre principes sur lesquels les assurances s’engagent volontairement prendre en compte les critères ESG dans les processus décisionnels ; travailler avec ces partenaires et clients pour prendre en compte les risques ESG et trouver des solutions ; travailler avec les gouvernements et les régulateurs pour promouvoir les actions sur les problèmes ESG et enfin assurer la transparence et le suivi de ces engagements.


(ii) S’agissant des annonces de certains investisseurs pour un désinvestissement des projets polluants :

Tout d’abord, AXA et la Caisse des dépôts ont annoncé rejoindre la Montreal Carbon Pledge. Il s’agit d’un engagement, mis en place par l’association PRI en septembre 2014, par lequel les investisseurs s’engagent volontairement à mesurer et publier sur une base annuelle l’empreinte carbone de leurs portefeuilles.

Ensuite, Henri de Castries, Président d’AXA a annoncé dans la matinée "son désengagement des investissement des compagnies les plus exposées aux activités liées au charbon". Cela correspond à un montant de plus de 500 millions d’euros. Egalement, il a annoncé qu’AXA introduirait des critères ESG dans l’ensemble de ses fonds généraux et que les investissements verts allaient être triplés.
L’engagement d’AXA fait suite à celui dans un premier temps de Bank of America et dans un second temps de Crédit Agricole. Ces établissements de crédit ont annoncé avoir pris la décision de mettre fin à leurs financements aux projets de mines de charbon et aux exploitants du secteur.
Reste à savoir si la fin des financements directs signifie également celle des financements indirects (émissions d’obligations ou d’actions dans des sociétés créées pour un projet…).

Enfin, Pierre-René Lemas, le Président Directeur Général de la Caisse des dépôts, a souligné l’importance de la journée qu’il a décrite comme "étape majeure du secteur financier en faveur du climat". Selon lui il faut une transformation du secteur financier ce qui passe par des engagements précis et pérennes lors de la COP 21 et un engagement de tous les pays même ceux en développement.
Il a annoncé de nouveaux engagements ambitieux de la Caisse des dépôts :
- faciliter le secteur financier en faveur du climat par la consécration de 15 milliards d’euros d’ici à 2017 à des investissements "en faveur de la transition écologique et énergétique" ;
- opérer un actionnariat plus actif sur les sociétés que la Causse des dépôts a en portefeuille en engageant un "dialogue actionnarial soutenu sur les questions climatiques avec les sociétés" dont ils sont actionnaires (ce qui a pour objectif de réduire l’empreinte carbone du portefeuille, en mesurant les progrès et le cas échéant en réallocalisant les actifs des sociétés mauvaises élèves).
Les politiques font appel aux investisseurs privés en vue de la réussite de la COP 21
Dans un discours d’ouverture, Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, a souligné le "rôle fondamental de la finance" qui doit "prendre en compte les risques climatiques dans ses activités". Il a précisé que le rôle des pouvoirs publics est d’envoyer, sur la durée, les bons signaux économiques.

"Un monde dans lequel le réchauffement climatique est limité à 2°C est possible, un monde au-delà ne l’est pas".

Lors des discours de clôture, Janos Pasztor, assistant secrétaire-général sur les changements climatiques aux Nations Unies, a salué la manière dont les banques et les investisseurs prennent en compte le changement climatique en la qualifiant de "choc tectonique". S’agissant du financement de la transition énergétique, il considère qu’il faut une collaboration du secteur public et privé et un engagement de tous les pays tout en aidant les pays défavorisés.

"Il n’y a pas de solution alternative, car il n’y a pas de planète alternative"

Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international et président de la COP 21, a prononcé un discours de clôture particulièrement encourageant tout en soulignant l’ampleur des risques du réchauffement climatique pour l’Homme et la planète.
Laurent Fabius était optimiste car des indicateurs vont dans le bons sens : comme le fait qu’une série de pays tels que les Etats-Unis et la Chine, qui avaient des réticences, se sont engagés. Par ailleurs, s’agissant du secteur privé, il note que la croissance verte est à la fois une "nécessité" et un "bon business" pour les entreprises.
Parmi les faiblesses à un plus fort engagement du secteur privé, il affirme avoir bien compris la demande extrêmement forte pour la fixation d’un prix du carbone. Parmi les faiblesses de l’engagement public et privé, il note que le Fond vert pour le climat (engagement pris à Copenhague en 2009 destiné aux pays en développement) devant être abondé de cent milliards de dollars d’ici 2020 puis annuellement, n’est aujourd’hui abondé que de trente milliards.
La COP 21 associera les gouvernements, les régions, les grandes cités, les entreprises et la société civile. Elle se déroulera sur deux jours : un jour "Innovation Day" et un jour "Action Day". Après un état des lieux des contributions nationales publiées, il rappelle que ces contributions sont spontanées et qu’il y a donc un risque pour que la réduction de 2°C ne soit pas atteinte ; la COP 21 aura pour but de réduire ensuite les contributions à cet objectif.

A suivre…
La finance privée n’est pas la finance publique. Leur rôle est distinct tout comme le temps (et donc les risques) dans lequel elles s’inscrivent. L’Etat ne doit-il pas montrer l’exemple ? Le Président de la République avait annoncé se désengagé des investissements aux énergies fossiles et il n’a pas tenu cet engagement puisque la Coface est toujours investi dans de tels projets.
La Coface, organisme d’assurance-crédit filiale à 100% de BPCE qui est aussi gestionnaire des garanties publiques à l’exportation, pour le compte de l’Etat. La Coface garantit des projets sur les énergies fossiles, (exemple récent : projet de centrale thermique à charbon de Medupi en Afrique du Sud) ce qui semble en contradiction avec l’engagement du Président de la République de retirer le soutien du gouvernement à ces projets.
Le Président aurait reformulé son engagement : il s’agirait pour la France de se retirer uniquement des projets de "centrales sous-critiques" qui sont les plus polluantes, ce qui est bien moins engageant. Et au surplus, il semblerait aussi que cette décision ne pourrait pas être prise qu’au niveau national et qu’il y aurait concertation avec l’OCDE.


Sources :
- Participation à la conférence au siège de l’UNESCO
- Communiqué de presse du 22 mai 2015, de Paris Europlace, “Climate Finance Day: The financial industry is stepping up its efforts in the fight against global warming”
- Discours de clôture M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international et président de la COP21 (en ligne sur les sites cdcclimat.com ou diplomatie.gouv)