James-Bernard Muras est décédé à l’âge de soixante-dix ans, le 8 décembre 2012, d’un cancer des poumons, contracté en 2010. Il était viticulteur en Gironde et a utilisé pendant quarante deux ans, de 1958 à 2000, de l’arsénite de sodium afin de traiter ses vignes contre un champignon parasite attaquant le bois des ceps, l’esca, sans avoir été alerté sur la toxicité de ce produit sur la santé humaine.

L’utilisation en France de ce pesticide a été interdite dans l’agriculture depuis 1973 mais autorisée en viticulture jusqu’en 2001. Le cancer des bronches lié à l’utilisation de l’arsenic de sodium a été reconnu comme maladie professionnelle en février 2001 par l’Assurance Accidents du travail et des maladies professionnelles des Exploitants Agricoles (AAEXA). La dangerosité de ce pesticide est cependant reconnue depuis 1955, date de création du tableau des maladies professionnelles liées à l’arsenic et à ses composés minéraux. Il aura fallu une quarantaine d’années à l’Etat pour interdire ce produit après que sa toxicité ait été déclarée. A titre de comparaison, le Royaume Uni a banni l’arsénite de sodium en 1961.

Le 27 avril 2015, la fille de James-Bernard Muras, Valérie Murat, a déposé plainte contre X devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris pour homicide involontaire. Elle est soutenue dans son action par les associations Génération futures et Phyto-victimes. Cette plainte a pour objectif de mettre en exergue toutes les responsabilités et vise les fabricants d’arsénite de sodium ayant commercialisé ce produit sans avoir indiqué les risques encourus, ainsi que les services de l’Etat ayant homologué et autorisé ce pesticide. Une telle action vise également à alerter les professionnels ainsi que les citoyens sur cette question. Valérie Murat souhaite en effet « briser l’omerta régnant sur l’impact sanitaire des pesticides utilisés dans la viticulture ». Ce sujet reste en effet sensible dans un territoire où le vin est au cœur de l’économie et de la renommée régionale.

Jusqu’à maintenant, les procédures engagées n’avaient permis que de reconnaître les liens entre l’usage des produits chimiques et l’apparition de maladies chez les agriculteurs. En effet, en mai 2015, le parquet de Paris avait classé sans suite une plainte contre X pour mise en danger d’autrui visant à dénoncer la pollution de l’air et ses conséquences sur la santé. Le procureur de la république avait justifié ce classement par la multiplicité des sources de pollution, précisant que les différentes activités humaines étaient la source directe de la pollution atmosphérique, et non la carence des pouvoirs publics. Le pôle Santé publique du TGI de Paris a cependant, pour la première fois, décidé d’ouvrir une enquête préliminaire suite à cette plainte.

Si l’affaire n’a pas été classée sans suite, Laurent Neyret, Professeur spécialisé en droit de l’environnement, a précisé au journal Le Monde qu’ « il est difficile de faire aboutir ce genre d’action car en matière pénale on exige des preuves certaines », tout en ajoutant que « l’ouverture de cette enquête préliminaire peut permettre de démêler l’écheveau des causalités et des responsabilités éventuelles entre les entreprises qui commercialisent ce produit et l’Etat ».

Cette affaire rappelle celle dans laquelle vingt-trois enfants de moins de dix ans et leur enseignante avaient été pris de malaises suite à de fongicides sur des parcelles jouxtant une école primaire de Villeneuve (33) le 5 mai 2014. L’association de protection de l’environnement Sepanso Gironde avait alors déposé plainte contre X devant le Procureur de la République de Libourne mais cette plainte n’avait pas donné lieu à des poursuites.

Suite à cet incident, une enquête avait été réalisée auprès de la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF) et de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Le rapport, tout en refusant d’affirmer l’existence d’un lien de causalité, a retenu que les symptômes des enfants étaient concordants avec les effets connus des fongicides utilisés. Le préfet de Gironde avait ainsi, par un arrêté préfectoral du 23 juin, interdit l’épandage de produits phytosanitaires à moins de 50 mètres des établissements scolaires lors des entrées et des sorties d’élèves. Cent-soixante-quatorze établissements étaient alors concernés par cet arrêté. La maire de Villeneuve avait quant à elle interdit l’épandage autour de l’école en question entre 8h et 18h.

L’association Générations futures avait parallèlement fait analyser les cheveux d’enfants vivant près de zones agricoles. Les résultats de cette analyse ont été présentés le 29 avril 2014 et vingt et un résidus de pesticides ont été, en moyenne, détectés dans chaque mèche analysée, dont des substances interdites dans l’agriculture.

Cet incident a permis d’inscrire un amendement dans la loi d’avenir pour l’agriculture, n°2014-1170, adoptée le 13 octobre 2014. Ainsi, suite à cet amendement, la loi a banni les pesticides des cours de récréation, des crèches, centres de loisir ainsi que des aires de jeu pour enfants situées dans les parcs et jardins ouverts au public. Il est également interdit aux collectivités locales et aux établissements publics d’en utiliser dans leurs espaces verts, forêts et promenades.

L’utilisation de produits phytosanitaires par les agriculteurs à proximité de ces lieux, auxquels s’ajoutent les hôpitaux, maisons de retraite et centres de santé, n’est pas interdite mais limitée. Ainsi, elle est possible mais « subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d'éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement ». Des distances minimales d’éloignement peuvent également être mises en places par les autorités.

Enfin, la loi d’avenir pour l’agriculture a mis en place un dispositif de phytopharmacovigilance afin de surveiller les effets indésirables de ces produits sur l’Homme, les animaux et l’environnement.

Reste donc à savoir si l’ouverture d’une enquête pour homicide involontaire permettra de faire évoluer les pratiques et la réglementation dans le domaine. Affaire à suivre.

Bibliographie :

Le Monde
- http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/07/07/pesticides-le-parquet-ouvre-une-enquete-preliminaire-pour-homicide-involontaire_4674358_3244.html?utm_source=Facebook&utm_medium=Social&utm_campaign=Echobox
- http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/07/04/omerta-sur-les-pesticides-dans-le-vignoble-bordelais_4450944_3244.html?xtmc=omerta_sur_les_pesticides_dans_le_vignoble_bordelais&xtcr=3

Actu Environnement
- http://www.actu-environnement.com/ae/news/valerie-murat-plainte-pesticides-cancer-enquete-homicide-involontaire-24914.php4
- http://www.actu-environnement.com/ae/news/pesticide-cancer-plainte-contre-x-viticulteur-mort-24422.php4