
Les juridictions administratives thaïlandaises face aux problématiques environnementales
Par Jeane Clesse
Recherches en Droit de l'environnement
Cour Administrative Supreme, Bangkok, Thailande
Posté le: 08/07/2015 5:27
L’institution de juridictions administratives a été progressive en Thaïlande (I) et aujourd’hui, ces juridictions administratives jouent un rôle fondamental dans la résolution des litiges environnementaux (II).
I] L’instauration progressive de juridictions administratives en Thaïlande
C’est en 1874, sous le règne du roi Chalalongkorn, que la première réforme du système juridique thaïlandais a lieu, elle constitue le premier pas vers l’instauration de juridictions administratives en Thaïlande. En 1932, suite au coup d’Etat qui a mis fin à la monarchie absolue, une monarchie constitutionnelle voit le jour. À cette période, le contrôle de l’exécutif et la création des juridictions administratives devinrent, pour les juristes, des préoccupations majeures.
Le Conseil d’Etat fut créé en 1933, il s’agissait alors d’une administration sous le contrôle du premier ministre. L’appellation Conseil d’Etat fut retenue au détriment de celle de Cour administrative afin d’éviter une ingérence étrangère dans les affaires juridiques nationales. En effet, à cette époque les étrangers échappaient à la compétence des Tribunaux et en cas de litige seules les lois de leur propre pays pouvaient être appliquées. C’est donc pour contourner cette compétence extra-territoriale qui s’appliquait aux seuls Tribunaux que le Conseil d’Etat fut nommé ainsi. À cette époque, le Conseil d’Etat était compétent pour rédiger des projets de loi à la demande de la chambre des représentants ou du gouvernement, donner un avis juridique à l’administration et statuer sur le contentieux mais uniquement dans quelques cas prévus par la loi. Le Conseil d’Etat était composé du Premier ministre, des conseillers d’Etat et du secrétaire général du Conseil d’Etat. Se distinguaient alors les conseillers d’Etat des conseillers à la rédaction des lois. L’absence d’une loi définissant le champ du contentieux administratif du Conseil d’Etat entraîna une confusion entre les responsabilités du Conseil d’Etat et celles du secrétariat du Conseil d’Etat.
Parallèlement au Conseil d’Etat, la Commission des pétitions fut créée en 1949, elle relevait directement du Secrétariat général du cabinet du 1er Ministre. Elle ouvrait la possibilité aux personnes de droit privé d’introduire une requête devant la Commission des pétitions en cas de préjudice subi à la suite des actes d’une fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. En pratique, cette commission fut jugée inutile et resta très peu sollicitée.
Suite aux évènements de 1973, une nouvelle Constitution fut adoptée en 1974 dans un climat démocratique. À cette époque, les juridictions administratives s’illustrèrent comme l’institution capable de lutter contre les abus de l’Etat et d’assurer une protection efficace du citoyen. Au sein de la section du contentieux du Conseil d’Etat fut alors mis en place un système permettant de former les futurs juges des juridictions administratives de façon à gagner la confiance des populations. En 1976, suite au coup d’Etat, la Constitution fût abrogée. En 1979, une loi relative au Conseil d’Etat est adoptée, elle prévoit l’instauration de deux sections au sein du Conseil d’Etat : une section administrative et une section du contentieux. La section administrative se voit confier la responsabilité de la rédaction des projets de lois et des avis de l’administration. Les conseillers de cette section sont nommés par le roi sur proposition du gouvernement. la section du contentieux est également composée de conseillers nommés par le roi sur proposition de son gouvernement mais après l’approbation du Parlement. La section du contentieux pratique la justice telle qu’elle existait dans la 1ère version du Conseil d’Etat, c’est-à-dire avant 1872 en France. Les décisions de la sections du contentieux de Thaïlande sont rendues avec l’approbation du pouvoir exécutif. Cette section est compétente en cas de préjudice à la suite d’une négligence, d’un acte d‘une administration ou d’un fonctionnaire qui excède ses pouvoirs ou encore d’un acte administratif pris hors d’un délais raisonnable.
Grâce à l’évolution des mentalités, l’idée d’une section du contentieux en tant que juridiction administrative indépendante est de plus en plus acceptée. Ainsi, la nouvelle constitution de 1995 a permis de reconnaître le principe de dualités des juridictions tandis que la Constitution de 1997 consacre leur indépendance totale. La Constitution de 1997 consacra l’indépendance des juridictions administratives, de la Commission des juges administratifs et des entités administratives. Suite au vote de la loi du 2 juillet 1999, le secrétariat du Conseil d’Etat a eu la tâche de créer les juridictions administratives et le secrétariat de ces juridictions. Progressivement, différents degrés de juridiction verront le jour : le tribunal administratif central, les tribunaux administratifs régionaux puis la cour administrative suprême.
Aujourd’hui, ces différents échelons de juridictions administratives permettent de trancher de nombreux litiges environnementaux.
II] Illustrations des problématiques de sécurité et d’environnement soulevées devant les juridictions administratives thaïlandaises
Le 27 septembre 2002, le Tribunal administratif central a rendu un arrêt n°1820/2545 où l’une des parties était l’Office de l’énergie nucléaire pour la paix. En l’espèce, l’Office de l'énergie nucléaire pour la paix était chargé d’un devoir statutaire pour contrôler la possession et l’utilisation de substances radioactives afin d’empêcher le risque d’en infliger sur des membres du public. Suite à l’exposition du public à ces substances radioactives et à plusieurs incidents, parfois mortels, douze plaignants ont saisi la juridiction administrative. Les requérants ont demandé des dommages intérêts en invoquant le manque intentionnel de l’Office de l’énergie nucléaire dans l’exercice de ses fonctions statutaires, visant à diriger l’utilisation et le stockage de substances radioactives, ainsi que sa négligence lors des inspections effectuées à l’occasion du transfert ou du stockage de ces substances. Le Tribunal administratif central a jugé que l’Office de l’énergie nucléaire avait commis une négligence du fait du manquement à l’avertissement envers le public, notamment grâce à des panneaux d’avertissement.
Dans l’affaire n°51/2547, la Cour Administrative Suprême est tenue de juger de la légalité d’un acte du Ministère de l’Agriculture qui interdisait certains instruments de pêche pendant la saison du frai dans différentes provinces du pays. Les requérants contestent cet arrêté au motif qu’il entraîne des problèmes économiques et sociaux et qu’il porte atteinte aux droits et libertés du peuple. La Cour retient que cet arrêté a pour but de préserver la protection des animaux dans la région et que l’interdiction de la pêche pendant une telle durée est la seule mesure envisageable pour assurer la protection de l’environnement. Elle ajoute que cet arrêté respecte le principe de proportionnalité puisque l’intérêt général apporté par l’arrêté est plus important que la perte de l’intérêt des pêcheurs.
Enfin, dans l’arrêt du 21 avril 2010 rendu par la Cour Administrative Suprême (n°33/2553), plusieurs requérants contestaient un acte pris par le Ministre des Ressources Naturelles et de l’Environnement interdisant l’expansion ou la délocalisation des usines affectant de manière grave l’environnement. Ces derniers ont saisi la justice administrative au motif que cette mesure restreignait considérablement leur liberté d’implantation des industries. L’acte contesté a été adopté par le ministre suite à l’avis rendu par l’Office de Réglementation et de Planification en matière de Ressources Naturelles et d’Environnement (ORPRNE). Au regard des dégâts sur l’environnement causé par l’industrie, le ministre a interdit la construction ou la modification des usines. Dans un premier temps, la Cour rappelle que le Ministre des Ressources Naturelles de l’Environnement a pour mission de préserver et de restaurer les ressources naturelles et l’environnement en promouvant une utilisation durable des milieux naturels. Elle ajoute que le dommage subi par les requérants, à savoir une restriction de leur liberté d’occupation industrielle pendant cinq ans, n’équivaut pas à celui subi par l’intérêt général. Enfin, les juges retiennent que l’arrêté ministériel n’impliquait pas l’arrêt complet des activités mais visait seulement à freiner l’extension des usines et l’augmentation de la productivité et que par conséquent le contenu de cet arrêté n’était pas illégal dès lors qu’il ne privait pas les requérants de leur liberté d’occupation industrielle.
Sources :
- La Cour Administrative en Thaïlande, ouvrage édité par la Cour Suprême Administrative