Les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) font l’objet de visites de contrôle régulières par des inspecteurs spécialisés. Le but recherché est la vérification que chaque exploitation se fait en conformité avec les prescriptions auxquelles elles sont soumises. Ces contrôles sont toujours réguliers, mais peuvent aussi être inopinés, et c’est ce qui s’est passé dans la présente affaire. En l’espèce, une société exploitant un établissement d’enrichissement et de retraitement de matières nucléaires, et disposant à cet égard de sites de stockage de résidus de traitement, a fait l’objet d’une visite inopinée par un inspecteur des installations classées sur un de ses sites. À l’issue de son contrôle, ce dernier a relevé des infractions à la législation relatives aux ICPE et a ainsi rédigé un procès-verbal. Une copie de son rapport a été adressée à l’exploitant le 31 mai 2011, accompagnée d’un projet d’arrêté de mise en demeure, comme la loi le prévoit. Mais dès le lendemain, l’arrêté de mise en demeure de régularisation a été émis par le préfet. L’exploitant a donc décidé de contester cet acte devant le juge administratif de Limoges. Il a obtenu en première instance l’annulation de certaines prescriptions, notamment celle de choisir un nouveau lieu de stockage, et l’abrogation de celles lui imposant la constitution et le dépôt d’un dossier de régularisation de stockage provisoire sous huit jours. Cependant, la société requérante n’a pas obtenu gain de cause pour l’ensemble de ses demandes d’annulation. Elle décide alors d’interjeter appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. La question était de savoir quelle devait être l’étendue du délai de réponse pour un exploitant d’une ICPE ayant fait l’objet d’un contrôle, avant sa mise en demeure par le préfet. Par un arrêt du 2 juin 2015, la cour d’appel estime qu’un délai de réponse suffisant doit être laissé à l’exploitant entre le moment de la remise du rapport de l’inspecteur et l’arrêté de mise en demeure, dans le but qu’il lui soit permis de soumettre ses observations. Il convient alors de s’intéresser plus en avant à la manière selon laquelle la cour a rendu sa décision, en observant qu’elle rappelle en premier lieu le mécanisme de la mise en demeure par le préfet de l’exploitant qui ne satisfait pas aux prescriptions qui lui sont soumises (I), avant de considérer qu’il doit être laissé à l’exploitant la possibilité de répondre au rapport de l’inspecteur dans un délai raisonnable, préalablement à cette décision (II).


I. Le rappel du mécanisme de la mise en demeure


La première partie de la décision de la cour d’appel est consacrée au rappel du mécanisme de la mise en demeure par le préfet d’un exploitant qui méconnaîtrait les prescriptions applicables à son ou ses installations. Les juges se fondent ainsi sur le visa des articles L. 514-1, L. 514-2 et L. 514-5 du code de l’environnement. Il faut à ce titre rappeler brièvement le pouvoir de sanction du préfet en matière d’ICPE (A), avant de s’intéresser à la mise en demeure du préfet (B).


A. Le pouvoir de sanction du préfet


Un exploitant qui ne respecte pas les prescriptions qui sont applicables à son activité s’expose à des sanctions de la part de l’administration, qui sont prévues par l’article L. 171-8 du code de l’environnement. Il y a deux cas pouvant entraîner une sanction : celui de l’inobservations des prescriptions relatives à l’exploitation d’une installation et celui relatif à l’exploitation sans titre. Le préfet a ainsi la possibilité de prononcer des sanctions telles que la suspension de l’activité, la fermeture ou encore la suppression de son activité. Quatre types de sanctions sont ainsi prévues par la réglementation ICPE : la consignation, les travaux d’office, la suspension du fonctionnement de l’installation et la fermeture ou la suppression de l’installation.

Cependant, le prononcé de ces sanctions ne peut se faire qu’à la suite d’une mise en demeure, sauf en cas d’urgence : menace grave envers l’ordre public, la santé ou l’environnement, ce qui n’est pas le cas dans cette espèce. La cour d’appel estime en effet que l’administration n’a pas apporté les preuves suffisantes pour caractériser une situation d’urgence. Il n’y avait donc aucune urgence justifiant le fait que l’exploitant ne puisse formuler ses observations, malgré la présence de risques pour la santé humaine et pour l’environnement causée par l’installation qui, au demeurant, était exploitée sans autorisation préalable, comme le rappelle l’arrêt avec la présente formule : « l’exploitation non autorisée du site de Pontabrier ».

C’est ainsi qu’il convient désormais de rappeler de manière succincte le mécanisme de la mise en demeure.


B. Le mécanisme de la mise en demeure


La mise en demeure est définie comme une demande formelle de mise en conformité faite par le préfet à l’exploitant qui méconnaît les prescriptions applicables à son installation. C’est donc un acte administratif à part entière, mais également un préalable obligatoire aux sanctions, sans quoi celles-ci seraient entachées d’illégalité.

La mise en demeure permet à l’exploitant de pouvoir se conformer aux obligations qui lui sont applicables avant que ne soient prononcées les éventuelles sanctions. Elle se fait par le biais d’un arrêté du préfet, comportant un délai pour que l’exploitant se mette en conformité. S’il s’avère en pratique que ce délai est bien souvent trop court, il est obligatoire. Par ailleurs, la loi du 11 janvier 1979 impose au préfet de motiver son arrêté de mise en demeure, pour que l’exploitant puisse en comprendre les raisons. Seule les non-conformités doivent être mises en exergue dans cet acte. Il fait office de constat, pas de sanction. La mise en demeure a donc pour objectif principal le rétablissement d’une situation irrégulière, sans qu’il ne soit nécessaire de prononcer des sanctions.

Dans son arrêt du 2 juin 2015, la cour administrative d’appel de Bordeaux fait une rapide mention de ces dispositions, de manière à rappeler que la mise en demeure sert de préalable et qu’elle doit permettre la régularisation d’une situation illégale. Il faut que soit laissée à l’exploitant la possibilité de transmettre ses observations, même si l’installation dangereuse n’a pas été autorisée par la préfecture. L’objectif de cela est que le principe du contradictoire soit respecté.


II. Le droit pour l’exploitant de bénéficier d’un délai suffisant pour répondre


Pour que le principe du contradictoire soit pleinement respecté, la mise en demeure doit intervenir après un délai de réponse suffisant pour l’exploitant. La cour administrative d’appel de Bordeaux annule l’arrêté du préfet sur ce fondement. Ce droit de réponse est une illustration du principe du contradictoire (A) et le délai laissé à l’exploitant pour répondre constitue une garantie substantielle à cette procédure (B).


A. Le respect du principe du contradictoire


Le principe du contradictoire est le principe par lequel il est laissé à chaque partie la possibilité de discuter, c’est la garantie du respect des droits de la défense et de la loyauté des débats. C’est un principe fondamental du droit processuel, qui s’applique à toutes les procédures : civile, pénale et administrative, ainsi qu’en matière d’ICPE.

Le droit pour l’exploitant de bénéficier d’un délai suffisant pour répondre est l’application même du principe du contradictoire. L’exploitant doit pouvoir bénéficier de ce droit de réponse. C’est ainsi qu’il va avoir la possibilité de transmettre au préfet les mesures qu’il compte mettre en œuvre pour régulariser sa situation. Par ce biais, il peut également montrer sa bonne foi en avisant l’administration de sa volonté de se mettre en conformité avec le droit de l’environnement.

Sachant que l’exploitant peut encourir la suspension de son activité, la fermeture, voire la suppression de son installation, la possibilité qu’il lui soit laissé un délai de réponse prend ici toute son importance. En l’espèce, l’exploitant risquait la fermeture, la suppression de son installation. L’article L. 171-8 du code de l’environnement précise que ces sanctions sont appliquées dans le cas d’une exploitation sans titre. La cour d’appel considère que l’exploitant était donc fondé à soumettre ses observations avant que ne lui opposée la mise en demeure et a fortiori de telles sanctions.

Ce délai de réponse, en plus d’être une application du principe du contradictoire est une garantie substantielle pour l’exploitant.


B. Une garantie substantielle pour l’exploitant


La cour d’appel considère que le droit pour l’exploitant de bénéficier d’un délai suffisant pour répondre aux conclusions du rapport d’inspection constitue une garantie substantielle. C’est ce qu’elle affirme en disant que « l’autorité de police ne peut, sans méconnaître une garantie substantielle, édicter une mise en demeure à l’égard de l’exploitant qu’après avoir laissé à ce dernier un délai ». Elle reprend la formulation de la circulaire du 19 juin 2013 relative à la mise en œuvre des polices administratives et pénales en matière d’ICPE. L’exploitant doit donc pouvoir bénéficier de suffisamment de temps pour formuler ses observations. Sans cela, le juge est légitime à annuler l’acte de mise en demeure et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

Il semble utile de rappeler à ce propos que cette décision s’inscrit dans un cadre jurisprudentiel déjà bien établi. Plusieurs arrêts antérieurs pris par d’autres cours administratives d’appel viennent confirmer cela (comme par exemple la cour administrative d’appel de Marseille le 4 juillet 2011 dans son arrêt Société Granulats Gontero).

Le délai doit être laissé à l’exploitant dès lors que l’inspecteur des installations classées transmet son rapport. En l’espèce, la mise en demeure avait été prise le lendemain de la remise du rapport. La cour a alors logiquement annulé l’acte, réaffirmant ainsi le droit de réponse de l’exploitant.

Si cet arrêt ne fait pas œuvre de jurisprudence, il vient néanmoins illustrer le fait que l’administration ne respecte pas toujours ce principe du contradictoire avant de mettre en demeure un exploitant et rappeler que le délai laissé à l’exploitant est pour lui une garantie substantielle rigoureusement défendue par la jurisprudence.



Sources :

-FOREST Thomas, Code permanent Environnement et nuisances, Editions Législatives
-http://www.arnaudgossement.com/archive/2013/07/28/icpe-publication-de-la-cir-ulaire-sur-la-mise-en-oeuvre-des.html
-http://www.green-law-avocat.fr/police-des-installations-classees-une-circulaire-du-19-juillet-2013-precise-le-nouveau-regime/
-http://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/environnement/icpe-sites-et-sols/controle-sanctions-icpe/sanctions-administratives-icpe