Le Conseil d’Etat déresponsabilise les préfets dans la mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère d’Ile-de-France
Par Ashley Morais
Assistant de gestion QHSE
ANFAS Normandie
Posté le: 25/06/2015 20:12
« Les plans de protection de l’atmosphère (PPA) définissent les objectifs et les mesures, réglementaires ou portées par les acteurs locaux, permettant de ramener, à l’intérieur des agglomérations de plus de 250 000 habitants et des zones où les valeurs limites réglementaires sont dépassées ou risquent de l’être, les concentrations en polluants atmosphériques à un niveau inférieur aux valeurs limites réglementaires. » C’est ainsi que définit le ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie les PPA. Les PPA sont au cœur de la requête de l’ONG (organisation non gouvernementale) les Amis de la Terre qui visait à faire reconnaître la responsabilité des préfets pour non-respect des valeurs limites de particules fines et de dioxydes d’azote dans l’air ambiant concernant le PPA d’Ile-de-France. Le dispositif des plans de protection de l’atmosphère est régi par le code de l’environnement aux articles L222-4 à L222-7 et R222-13 à R222-36. Les mesures des PPA concernent tous les secteurs émetteurs de polluants atmosphériques c’est à dire les transports, l’industrie, l’agriculture... Le préfet de chaque département concerné et, pour l’agglomération de Paris, le préfet de police, met en œuvre par arrêté pris après avis du ou des conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques les mesures applicables à l’intérieur de ce périmètre. C’était au regard de ce rôle qui est donné au préfet dans la mise en œuvre des PPA que les Amis de la Terre espéraient faire reconnaître la responsabilité des préfets. Cependant, la Haute Autorité administrative dans son arrêt rendu le 10 juin 2015 est venue confirmer l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 11 avril 2013 qui avait confirmé le rejet de leur requête. Le Conseil d’Etat va affirmer que les préfets chargés de la mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère sont soumis à une simple obligation de moyens et non de résultat (I) et la conformité de cette solution au regard du droit et de la jurisprudence de l’Union Européenne (II).
I. Affirmation par le Conseil d’Etat d’une obligation de moyens et non de résultat du préfet dans la mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère
Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 10 juin 2015 confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 11 avril 2013 en refusant de reconnaître la responsabilité des préfets pour non-respect des normes de qualité de l’air en Ile-de-France et principalement de la ville de Paris.
Le Conseil d’Etat fixe ainsi la jurisprudence française pour la première fois sur ce point, les préfets ne sont tenus qu’à une obligation de moyens dans la mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère et non de résultat. L’obligation de mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère par les préfets n’est que de moyens car pour le Conseil d’Etat seul l’Etat peut être mis en cause de façon globale en cas de dépassement de ces valeurs, elle affirme ces propos sous la formulation suivante « l'article 13 de la directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe impose aux Etats de veiller à ce que la concentration de certains polluants atmosphériques ne dépasse pas des valeurs limites qu'elle définit ; que si un Etat peut être mis en cause, de façon globale, en cas de dépassement de ces valeurs, l'obligation ainsi édictée n'impose pas que chacun des outils déployés par les différents autorités et organismes compétents au sein de cet Etat permette, à lui-seul, le respect de ces valeurs limites ».
Cette solution reprend en partie l’argumentaire utilisé par la CAA de Paris dans son arrêt du 11 avril 2013 qui avait déjà estimé au regard des dispositions législatives, les débats parlementaires et des dispositions réglementaires en 2013 afin d’atteindre l’objectif de respecter des valeurs limites réglementaires à ne pas dépasser afin d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs des substances polluantes contenues dans l’atmosphère sur la santé humaine sur l’environnement que les préfets n’étaient soumis qu’à une obligation de moyens et non de résultat. Le Conseil d’Etat réaffirme sous la formule suivante la solution de la CAA de Paris « pour atteindre les objectifs de respect des valeurs limites réglementaires à ne pas dépasser aux fins d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs des substances polluantes contenues dans l'atmosphère sur la santé humaine ou sur l'environnement, les préfets chargés de la mise en œuvre du plan étaient soumis à une obligation de moyens et non de résultat, la Cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ».
Toutefois cette solution du Conseil d’Etat semble en partie contradictoire avec le droit et la jurisprudence de l’Union Européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que le respect des valeurs limites et surtout celle de dioxydes d’azote dans l’air ambiant édicté par la directive du 21 mai 2008 constitue une obligation de résultat dans un avis du 19 novembre 2014.
II. La conformité de la solution du Conseil d’Etat au regard du droit et de la jurisprudence de l’Union Européenne une affirmation douteuse
La directive du 21 mai 2008 sur la qualité de l'air ambiant impose aux Etats membres de veiller à ce que la concentration de certains polluants atmosphériques ne dépasse pas les valeurs limites qu'elle fixe. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne(CJUE) dans un avis du 19 novembre 2014 précise à la suite de la question préjudicielle posée par la Cour suprême du Royaume-Uni dans le cadre d'un contentieux sur la pollution de l'air opposant ClientEarth (une ONG spécialisée en dans l’environnement) au secrétariat d'Etat britannique à l'environnement, que le respect des valeurs limites de dioxydes d'azote dans l'air ambiant constitue une obligation de résultat. Le Conseil d’Etat pour justifier sa solution au regard de la directive et de la jurisprudence de la CJUE qui pose clairement une obligation de résultat contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’Etat dans sa solution estime que « l'obligation ainsi édictée n'impose pas que chacun des outils déployés par les différentes autorités et organismes compétents au sein de cet Etat permette, à lui seul, le respect de ces valeurs limites. ». Les PPA n’étant qu’un outil parmi d’autres aux mains de l’Administration pour ne pas dépasser ces valeurs limites. Dans un communiqué du 22 juin 2015, les Amis de la Terre réfutent cette argument en précisant que la disposition de la directive de 2008, qui prévoit que des plans de qualité de l'air doivent être établis et assortis d'un contenu précis pour respecter ces valeurs limites, n'a été transposée en droit français qu'aux seuls PPA et non à d'autres outils.
Le Conseil d’Etat n’étant toutefois pas à court d’arguments sur la question, il ajoute que le code de l’environnement laisse « un large pouvoir d'appréciation aux autorités compétentes pour prendre des mesures préventives et curatives dans le périmètre des PPA y compris en cas de dépassement des valeurs limites ». Là aussi le Conseil d’Etat valide l’arrêt de la CAA de Paris qui avait jugé non établies, au regard de l'obligation de moyens qui pèse sur les autorités de l'Etat, les allégations de l'ONG selon lesquelles les mesures mises en œuvre étaient insuffisantes pour atteindre les objectifs du plan.
Le Conseil d'Etat affirme pour finir qu'un PPA ne confère par lui-même aucun pouvoir de police aux autorités et organismes chargés de le mettre en œuvre. Contrairement à ce que soutenaient Les Amis de la Terre, le PPA ne constitue pas une réglementation préexistante mais un cadre d'action pour l'ensemble des autorités compétentes à l'intérieur du périmètre du plan. Les juges d'appel pouvaient donc exiger la démonstration de l'existence d'un péril grave pour apprécier la légalité du refus opposé à la demande de l'association visant à faire mettre en œuvre l'intégralité des mesures prévues par le plan. Et ils avaient estimé pour affirmer que l’existence d’un péril grave n’était pas démontrée que les différents éléments fournis par les Amis de la Terre « ne constituent pas des données sanitaires suffisamment précises », concernant la région Ile-de-France au titre de la période couverte par le PPA de 2006. Il n’était pas ainsi établi que les autorités de l'Etat auraient méconnu leurs obligations légales en n'ordonnant pas les mesures indispensables « pour faire cesser le péril grave que constituerait l'émission de particules fines et de dioxyde d'azote dans l'atmosphère ».
A défaut qu’il pèse sur les préfets cette responsabilité et une obligation de résultat de mise en œuvre du plan de protection de l’atmosphère d’après la solution de la Haute autorité administrative, l’ONG lance un appel au Président de la République et au Premier Ministre dans une lettre ouverte du 22 juin 2015 pour que soit enfin mis en œuvre le droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Le combat contre la pollution est un engagement quotidien qui nous concerne tous et qui ne peux s’inscrire que sur le long terme.
Sources :
- Présentation des plans de protection de l’atmosphère (PPA) par le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie du 10 février 2010 mis à jour le 30 avril 2015 ; (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Presentation-des-plans-de.html)
- Arrêt du Conseil d’Etat du 10 juin 2015 n°369428 ; (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do;jsessionid=9D5A56EC9DD00E357131776C777E66D6.tpdila24v_2?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000030713391&fastReqId=1983011732&fastPos=18)
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 11 avril 2013 n°12PA00633 ; (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000027481838&fastReqId=424411228&fastPos=1)
- La directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ; (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32008L0050)
- Avis de la CJUE concernant la Directive 2008/50 et imposant aux Etats membres une obligation de résultat concernant le respect des valeurs limites (Affaire n°C-404/13, 19 novembre 2014, §30) ; (http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-11/cp140153fr.pdf)
- Communiqué des Amis de la Terre du 22 juin 2015. (http://www.amisdelaterre.org/Nouvelle-jurisprudence-du-conseil.html)