Neuf mois après avoir saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’appui d’un recours en annulation dirigé contre le décret du 24 mars 2014 relatif à la transaction pénale pris en application de l’article L. 173-12 du Code de l’environnement, et le Conseil constitutionnel ayant déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, l’association FNE saisit cette fois-ci le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre certains dispositifs de cet article.

L’article L. 173-12 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 a introduit la possibilité pour l’administration de proposer à l’auteur d’une infraction, de transiger, avant la mise en mouvement de l’action publique. En substance, selon cet article :

1.) L’autorité administrative a la possibilité de transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite des infractions qu’elles ont pu commettre, ceci, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement.

En pratique, l’autorité administrative propose à l’auteur de l’infraction une proposition de transaction qui précise le montant que la personne devra payer, ainsi que le cas échéant, les obligations qui seront à sa charge visant à faire cesser l’infraction et à ne plus la renouveler.

2.) La proposition fixe les délais impartis pour le paiement, et s’il y a lieu, l’exécution des obligations.
3.) La transaction proposée par l’autorité administrative et acceptée par l’auteur de l’infraction doit être homologuée par le procureur de la République.
4.) L’homologation de l’acte par le procureur est interruptive de la prescription de l’action publique.

L’action publique est éteinte lorsque l’auteur de l’infraction a exécuté dans les délais impartis l’intégralité des obligations résultant pour lui de l’acceptation de la transaction.

Cet article L.173-12 ayant fait l’objet d’un décret d’application, celui-ci a été attaqué par un recours en annulation devant le Conseil d’Etat sur le fondement des directives européennes citées plus haut.

I. Sur l’absence de violation de la directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal

Après analyse de la directive, le Conseil d’Etat écarte d’emblée le moyen tiré de la violation de cette directive. En effet, il juge que d’abord, le dispositif instituant la transaction pénale n’a pas pour objet de définir les infractions ou les sanctions pénales dans le domaine de la protection de l’environnement. En outre, le dispositif permet aux Etats membres de prévoir des modes alternatifs de règlement de litige dans le domaine de la protection de l’environnement. Par ailleurs, le Conseil d’Etat précise que la décision de recourir à la transaction pénale n’est qu’une faculté. En effet, il appartient à l’autorité administrative de juger s’il est nécessaire de procéder à ce mode de règlement du litige environnemental. Elle tiendra notamment en compte des circonstances de l’infraction, de sa gravité, de la personnalité de son auteur ainsi que de ses ressources financières et de ses charges. Pour appuyer sa décision, le Conseil d’Etat rappelle, enfin que la conclusion d’une transaction est subordonnée à l’accord du procureur de la République qui doit homologuer l’acte transactionnelle.

II. Absence de violation de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales

Rappelons tout d’abord, que le 27 mai 2014, la loi n°2014-535 portant transposition de la directive 2013/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales a été adoptée. Cette loi a apporté une réforme fondamentale dans le droit de la procédure pénale. En effet, une distinction avait toujours été faite entre les personnes entendues librement d’une part et celles faisant l’objet de mesures de contrainte, d’autres part, seules habilitées à bénéficier du droit d’assistance à un avocat.

Dans sa décision du 27 mai, le Conseil d’Etat a considéré que d’une part, la procédure de transaction organisée par l’article L.173-12 du code de l’environnement et dont les modalités sont précisées par le décret attaqué, suppose l’accord libre et non équivoque, avec l’assistance éventuelle de l’avocat de l’auteur des faits. En outre, il juge que la transaction homologuée ne présente aucun caractère exécutoire et n’entraîne aucune privation et restriction de l’intéressé, laquelle transaction doit être exécutée volontairement par l’auteur de l’infraction, que ce n’est que le cas où l’auteur de l’infraction en question n’a pas exécuté, dans les délais, l’intégralité des obligations qui résultent de la transaction homologuée, que l’action publique peut être enclenchée.

Pour finir, le Conseil d’Etat écarte le moyen au motif d’une absence des droits procéduraux de l’auteur de l’infraction. En effet, il juge que le dispositif législatif contesté permet à l’auteur de l’infraction de se faire assister par un avocat, qu’il présente ses observations sur la proposition de la transaction qui lui est faite, dans un délai d’un mois. Par ailleurs, l’article R.173-2 du code de l’environnement prévoit que l’auteur de l’infraction soit informé d’une manière précise sur la nature de l’infraction qui lui est reprochée et de leur qualification juridique.

De tout ce qui vient d’être dit, le Conseil d’Etat en déduit que la requête de l’association FNE n’est pas fondée et statue sur son rejet.

III. Infractions environnementales et transaction pénale, une solution efficace de protection des atteintes liées à l’environnement ?

La procédure de la transaction pénale permet de punir un contrevenant sans qu’il soit déféré devant une juridiction pénale. Cette procédure existait en matière d’eau, de pêche en eau douce et d’infractions commises dans les parcs nationaux. Le décret d’application faisant l’objet d’un recours par l’association FNE étend cette possibilité à l’ensemble des infractions commises dans le domaine de l’environnement. Rappelons que selon l’article L.173-12 du code de l’environnement, l’autorité administrative peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes publiques et les personnes morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés par le code de l’environnement.

La transaction qui est proposée par l’autorité administrative doit être acceptée par l’auteur de l’infraction et l’acte homologué par le procureur. Se pose ainsi la question de savoir quelle autorité administrative et quel auteur de l’infraction, il s’agit. S’agit-il d’une personne physique ou d’une personne morale ? François-Guy Trébulle, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’est posée en outre la question suivante : Qui va transiger ? S’agit-il de l’Etat, de l’exécutif d’un établissement public, d’une collectivité territoriale ou du maire ? S’agissant du premier cité, c'est-à-dire l’Etat, il se pose moins de problème puisqu’il dispose, en principe de plus de forces contraignantes, ce qui n’est pas le cas des collectivités territoriales qui doivent prendre en compte l’intérêt financier que représente la personne morale en terme d’emploi, par exemple, au détriment de l’intérêt de la nature dans la transaction. L’échec de l’application de la loi du 1er août 2008 en matière de transaction entre le préfet et les sociétés responsables de dommages écologiques nous a montré les limites de cette procédure. Cette loi n’ayant jamais été mise en œuvre en pratique.

Il faudrait par ailleurs, préciser que cette transaction n’est pas prévue aux contraventions des quatre premières classes. Ce sont donc les infractions les plus graves, délits et contraventions de 5ème classe qui sont concernées, sachant que l’amende transactionnelle ne peut dépasser le tiers du montant de l’amende encourue. Au demeurant, le procureur ayant la charge d’homologuer la transaction ne peut porter des jugements techniques sur la transaction, d’autant plus que l’autorité administrative ne sait pas faire de transaction pénale comme l’a estimé le conseiller d’Etat Michel Thénault, repris par Leurent Radisson dans son article du 15 juin 2013 dans lequel il se pose la question de savoir si la transaction pénale est une bonne solution.

Toutes choses pour lesquelles le Conseil d’Etat avait émis un avis défavorable sur le projet d’ordonnance en raison de la généralisation de la transaction sur des infractions potentiellement très graves.



BIBLIOGRAPHIE :

 www.legifrance.gouv.fr : Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 27/05/2015, 380652, Inédit au recueil Lebon. Lecture du mercredi 27 mai 2015
 www.legifrance.gouv.fr : Décret n° 2014-368 du 24 mars 2014 relatif à la transaction pénale prévue à l'article L. 173-12 du code de l'environnement
 www.envirolex.fr : Le Conseil d’Etat favorable à la transaction pénale. Article publié le 10 juin 2015
 www.arnaudgossement.fr : Transaction pénale en matière environnementale : le Conseil d’Etat rejette le recours contre le décret du 24 mars 2014. Article publié le 1er juin 2015
 www.actu-environnement.com : La transaction pénale en matière environnementale validée par le Conseil constitutionnel publié le 26 septembre 2014
 www.actu-environnement.com : France Nature Environnement obtient la transmission d’une QPC sur la transaction pénale publié le 2 juillet 2014
 www.actu-environnement.com : Infractions environnementales : la transaction pénale, une bonne solution ? Article publié le 15 février 2013
 www.conseil-constitutionnel.fr : commentaire décision n°2014-416 du 26 septembre 2014 Association France Nature Environnement
 www.dalloz-actualite.fr : Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales : enfin une reconnaissance du statut des « suspects » publié le 4 février 2014 David Père avocat