Le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissante verte a pour objectif de renforcer l'indépendance énergétique de la France, de réduire les émissions de gaz à effets de serre et de faciliter l'accès à des outils concrets pour accélérer la croissante verte.
C'est dans le but de remplir ces objectifs que certains articles de cette loi porte sur la réglementation des éléments en plastiques comme par exemple la suppression des sacs plastiques à usage unique autres que les sacs de caisse en 2017, l'interdiction des emballages plastiques non-biodégradables pour l'envoi de la presse et de la publicité ou encore l'obligation de tri à la source des ustensiles jetables de cuisine pour la table en matière plastique. (1)


I. Le cadre réglementaire du tri à la source des ustensiles jetables de cuisine pour la table en matières plastiques


Le tri à la source des ustensiles jetables de cuisine pour la table en matières plastiques a fait son apparition dans le cadre d'un amendement rendu par le groupe écologiste sur la loi de transition énergétique.

Avant d'être une obligation de tri à la source, le projet de loi, lors de son examen les 16 et 17 février 2015, faisait l'objet d'une interdiction des ustensiles jetables de cuisine pour la table en matières plastiques. Cette interdiction était portée au plus tard au 1er janvier 2020 et excluait les ustensiles compostables et composés de matières biosourcées. (2)
La justification de cette interdiction portait sur le fait que les conditions n'étaient à ce jour pas réunies pour mettre en place un tri à la source, principalement à cause du fait qu'il n'existe pas, pour le moment, de filière de recyclage pour le plastique. La seule solution envisageable était de collecter ces éléments plastiques pour ensuite les utiliser en tant que combustibles solides de récupération, c'est-à-dire de les valoriser énergétiquement dans des installations d'incinération ou de co-incinération, car il n'est techniquement et financièrement pas possible de les recycler. Aussi, il a été avancé qu'il était préférable de prévenir la production des déchets pour lesquels il n'existait pas de solution de valorisation plutôt que de mettre en place le tri pour ensuite les valoriser énergétiquement.

Cette interdiction a fait monter une contestation, notamment de la part des hôpitaux, prisons et compagnies aériennes mais aussi de la Fédération de Plasturgie. (3)
La Fédération de Plasturgie, le représentant des fabricant d'emballages plastiques et souples, Plastics Europe et la chambre syndicale nationale de vente et services automatiques ont fait porter leurs arguments devant les sénateurs en mars 2015. A notamment été soulevé le fait que 650 emplois auraient directement été menacés par cette interdiction, d'autant plus qu'il n'existe pour le moment pas ou peu d'alternatives au plastique. La vaisselle et les couverts compostables ne sont, pour le moment, pas assez au point compte tenu de tous les usages que l'on peut faire du plastique, notamment par rapport à sa résistance à la chaleur.
Et enfin, l'utilisation de vaisselle plastique s'impose dans des infrastructures telles que les hôpitaux, prisons et compagnies aériennes pour des raisons de sécurité.

C'est ainsi qu'est revenu à l'ordre du jour l'obligation de tri à la source.
L'article 19 bis A de la loi sur la transition énergique fait désormais l'objet d'une obligation de mise en place, par les producteurs ou détenteurs de déchets d’ustensiles jetables de cuisine pour la table en matières plastiques, d'un tri à la source, opérationnel au plus tard au 1er janvier 2018.
Les modalités d'application de cet article seront précisées par un décret.

Cependant, cette nouvelle obligation pose de nombreux problèmes de mise en application, notamment au regard de l'organisation et de la gestion d'un restaurant dans le secteur de la restauration rapide.


II. Les problématiques posées par cette obligation


Cette obligation pose certaines problématiques sur divers points.

Tout d’abord, sur le champ d'application de l'objet. Le texte de loi parle de "déchets ustensiles jetables de cuisine pour la table" sans toutefois donner de définition précise sur ce qu’est un ustensile jetable de cuisine pour la table.
Dans le cadre d’un restaurant dont l’activité est la restauration rapide, on peut se demander quels types d’ustensiles sont englobés dans ce qualitatif : est-ce que ce sont tous les éléments qui sont remis aux consommateurs pour leur repas? Ou est-ce que ce sera uniquement le sens stricto sensu d'un ustensile de cuisine pour la table, ce qui correspond aux couverts, assiettes et verres ?
Se pose également la question des plastiques bio-sourcés. Ce sont des plastiques issus de sources totalement ou partiellement renouvelables. Ils sont souvent composés de matières végétales comme par exemple le blé, le maïs ou la pomme de terre. Ce type de plastique présentant une partie de plastique de source renouvelable diminuant ainsi la teneur en ressource fossile, on peut alors se demander s'ils vont être exclus du champ d'application de la loi.
La part des éléments en plastiques étant très faible dans le mix des déchets de la restauration rapide, on peut aussi se demander si une exonération pour les restaurants n'est pas envisageable.
Un décret d’application viendra apporter quelques éclaircissements.

Ensuite, cette réglementation amène des problématiques en termes de gestion. En effet, dans la plupart des chaînes de restaurants, il n’y a pas de dispositif de tri sélectif côté clients. Lorsque c’est le cas, les restaurants devront tout de même être contraints d’instaurer un tri mais uniquement pour ces petits éléments en plastique.
La mise en place du tri sélectif dans les restaurants de restauration rapide peut s’avérer compliqué à mettre en pratique. En effet, c’est un fonctionnement différent des restaurants classiques : ici, c’est le client qui doit débarrasser son plat. C’est donc à lui qu’incombe le geste de tri. Il faudra donc inculquer au consommateur cette nouvelle notion de tri. Mais ce dernier risque de ne pas comprendre pourquoi il devrait seulement trier de petits éléments en plastique et pas le reste du plateau.
De plus, le consommateur vient dans un contexte où ses habitudes sont différentes de celles qu'il a à son domicile. Quand bien même il peut effecteur le tri chez lui et donc avoir acquit le geste, il peut parfaitement ne pas le reproduire dans le cadre du tri à effectuer en restaurant.
Si, effectivement, les consommateurs n’adhérent pas à ce geste de tri, reste à définir quelles seront les répercutions pour les restaurants qui, au vu de l'opérationnalité développée, ne pourra faire le tri de ces éléments à la place du client.
La problématique est donc bien différente d’un restaurateur classique puisque, ce secteur, ce sont les employés qui débarrassent leurs clients et qui sont donc chargés de faire le tri. Ainsi, toute erreur de tri peut être évitée.

De plus, la mise en place de ce type de tri du côté client implique également une nouvelle organisation du restaurant : il faut ajouter une poubelle spécifique en lobby afin que le plastique soit séparé du reste des déchets du plateau.
C’est une problématique notamment pour les restaurants déjà ouverts. En effet, le mode de fonctionnement de la restauration rapide fait que chaque restaurant à plus ou moins la même typologie et que chaque espace est destiné à un usage spécifique. Ainsi, pour les restaurants déjà ouverts, aucune poubelle spécifique pour le tri des éléments en plastiques n'a été prévue et il n'y a pas de place dédiée à cet effet à côté des poubelles de tout-venant.
Il semble donc difficile pour un restaurant déjà ouvert d’ajouter une poubelle, aussi petite soit-elle car l’espace est déjà occupé. Ajouter une poubelle veut donc bien souvent dire revoir l'aménagement du restaurant et faire des travaux, ce qui a un coût financier, mais aussi retirer des tables et chaises destinées aux clients afin de consacrer de la place pour cette nouvelle poubelle.
Par contre, pour les nouveaux restaurants, les poubelles de tri peuvent directement être intégrées lors de l’établissement des plans d’aménagement du restaurant.
Cependant, une problématique est commune à ces deux cas de figure : c’est la question du coût.

En effet, il y a tout d’abord le coût du mobilier. Dans la restauration rapide, ce sont les clients qui sont amenés à jeter le contenu de leur plateau dans les poubelles prévues à cet effet. Il sera donc nécessaire de mettre en place une nouvelle poubelle prévue uniquement pour recevoir les éléments en plastique. Cette dernière devra être installée dans l'ensemble des restaurants, c'est-à-dire ceux ayant déjà ouvert ainsi que sur les nouvelles ouvertures. Le mobilier doit respecter des contraintes au niveau du design. La poubelle pour le plastique devra donc répondre à des critères afin de s'intégrer correctement dans le décor du restaurant. Cela représente donc un coût puisque le mobilier est fait sur-mesure. A ce coût du mobilier s'ajoutera le coût liés aux éléments de communication à destination des clients, ce qui permettra de les sensibiliser les clients au geste de tri.
Une fois le tri effectué, un coût supplémentaire sera affecté à la collecte des déchets plastiques, collecte qui sera assurée par un prestataire privé, les collectivités publiques n'effectuant pas ce type de prestation.
Mais se pose surtout la question de la valorisation de ces déchets. En effet, il n'existe pas, pour le moment, de filière de valorisation des déchets plastiques. Ainsi, il semble peu pertinent d'instaurer une collecte séparée des déchets plastiques si en aval, aucune solution appropriée n'est proposée.
Un travail sur les solutions de valorisation des déchets plastiques devrait donc être mené avant d'imposer le tri de ces mêmes déchets plastiques pour qu'ainsi une valorisation de ces déchets soit effectuée au terme de la collecte. Ainsi, un tri à la source prendrait tout son sens.

Aux vues de toutes ces contraintes que représente le tri à la source déchets d’ustensiles jetables de cuisine pour la table en matières plastiques, on peut se demander si le système de l'écotaxe ne va pas être mis en place, comme c'est déjà le cas par exemple pour les emballages mis sur le marché.

De manière générale, il semblerait qu'à terme, le plastique disparaisse de notre quotidien car il tend à être de plus en plus réglementé. Mais cela pose bien entendu problème à l'industrie de plasturgie.
Pourtant, il devient urgent d'agir sur ce volet, d'une part parce que le plastique à un impact en amont, c'est en effet une source d'énergie fossile, mais également en aval, puisqu'une fois devenu un déchet, il faut l'éliminer, ce qui une source de pollution, pollution qui peut aussi émaner du fait que le déchet soit abandonné.
En effet, les déchets plastiques abandonnés finissent bien souvent dans les cours d'eau et sont ensuite portés vers les océans, impactant ainsi la faune et la flore maritime. On peut citer de nombreux exemples parmi lesquels les décès d'oiseaux, de tortues marines et mammifères marins dus à l'ingestion de débris de plastiques, les blessures, infections et mutilations causées aux animaux à cause d'emmêlements dans des sacs ou des filets, les cétacés pris au piège dans des éléments en plastiques, etc. (4)
De plus, le plastique n'étant pas biodégradable, cela entraîne une pollution durable des océans, dont la meilleure illustration est le « 7ème continent », un amas de déchets plastiques sur une surface d'environ 3,5 millions de Km2 dans l'océan Pacifique nord, ce qui correspond à 6 fois la taille de la France. (5)
Enfin, il ne faut pas oublier qu'en plus d'avoir un impact sur la santé de l'environnement, le plastique a également un impact sur la santé humaine notamment à cause du bisphénol A qui est un produit chimique, répertorié comme un perturbateur endocrinien, présent dans le plastique et qui est la cause de certaines maladies chez l'homme. (6)


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Sources :

(1) Allizé Plasturgie, Loi de transition énergétique : sac et vaisselle plastique … finalement ça change !, 2 mars 2015
Consultable sur : http://www.allize-plasturgie.org/article/developpement-durable/eco-conception-et-recyclage/loi-de-transition-energetique--sac-et-vaisselle-plastique-finalement-ca-change- (page consultée le 17/05/2015)

(2) Sénat, Amendement n°735 du 5 février 2015 du projet de loi sur la transition énergétique,
Consultable sur : http://www.senat.fr/enseance/2014-2015/264/Amdt_787.html (page consultée le 17/05/2015)

(3) Process Alimentaire, Vaisselle jetable en plastique : une interdiction en suspens,par Karine Ermenier, le 22 mars 2015
Consultable sur : http://www.processalimentaire.com/Emballage/Vaisselle-jetable-en-plastique-une-interdiction-en-suspens-26061 (page consultée le 17/05/2015)

(4) Le Monde, Les plastiques, des déchets néfastes pour les écosystèmes, par Audrey Garric, le 5 mai 2012
Consultable sur : http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/09/les-plastiques-des-dechets-nefastes-pour-les-ecosystemes_1698047_3244.html (page consultée le 05/06/2015)

(5) Le Monde, Le 7e continent de plastique : ces tourbillons de déchets dans les océans, par Audrey Garric, le 9 mai 2012
Consultable sur : http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/09/le-7e-continent-de-plastique-ces-tourbillons-de-dechets-dans-les-oceans_1696072_3244.html (page consultée le 05//06/2015)

(6) Le VIF, Produits chimiques : la chasse aux poisons tarde à s'ouvrir, par Laurence Van Ruymbeke, le 23 mai 2015
Consultable sur : http://www.levif.be/actualite/belgique/produits-chimiques-la-chasse-aux-poisons-tarde-a-s-ouvrir/article-normal-396653.html (page consultée le 05/06/2015)