Les déchets représentent un point sensible en matière d’environnement. De nombreux textes juridiques tendent à en limiter la production, aussi bien dans le domaine industriel que dans celui des ménages. Mais toute la production de déchets ne peut être empêchée et il convient alors d’encadrer leur mode de stockage en vue de leur recyclage ou de leur valorisation. Néanmoins, un certain nombre de déchets ne peuvent plus être retraités, que ce soit par la voie du recyclage ou par celle de la valorisation. Il sont alors appelés déchets ultimes (article L. 541-1 du code de l’environnement). Dans l’affaire en question, la construction d’un centre de stockage de déchets ultimes non dangereux avait été autorisée par le préfet de l’Essonne dans une zone qui interdisait les installations classées. Pour contourner cette interdiction, le préfet avait retenu la qualification de projet d’intérêt général. L’arrêté préfectoral avait alors été attaqué devant le juge du tribunal administratif de Versailles, qui a rejeté la demande. Cependant, la cour d’appel administrative de Versailles a, par un arrêt du 21 novembre 2013, infirmé le jugement et annulé l’arrêté au motif qu’il constituait un excès de pouvoir. L’exploitant de l’installation de stockage s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat, dont la décision, rendue le 30 mars 2015, valide la qualification d’intérêt général retenue par le préfet aux motifs qu’elle n’a aucune obligation d’être compatible avec le plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux. C’est à ce titre qu’il convient de s’intéresser plus en avant à cette absence d’incompatibilité (I), avant d’observer comment le Conseil décide de retenir la notion d’utilité publique pour ce centre de stockage de déchets (II).

I. L’absence d’incompatibilité avec le plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux

L’arrêté qualifiant le centre de stockage d’intérêt général n’est pas considéré comme une décision prise dans le domaine des déchets par le Conseil d’Etat. A ce titre, il échappe à l’obligation prévue par l’article L. 541-15 du code de l’environnement imposant que le projet soit compatible avec le plan de prévention et de gestion des déchets.

Le plan de prévention et de gestion des déchets a pour objectif la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets. Il est prévu par l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement et vise en la réduction des impacts environnementaux causés par les déchets. C’est à partir du mois de février 2004 que le premier plan de prévention national voit le jour, instauré de manière volontaire par le ministère en charge de l’environnement, et on y retrouve la volonté d’impliquer tous les acteurs de la chaîne des déchets : les producteurs, les détenteurs, les transporteurs et les éliminateurs. La directive cadre européenne sur les déchets de 2008 (2008/98/CE) impose désormais à tous les Etats européens la tenue d’un tel plan de prévention, ce qui lui donne dorénavant une portée juridique contraignante, puisque c’est une obligation pesant sur chaque Etat membre. En France, les collectivités sont tenues d’établir un tel plan au niveau local.

Néanmoins, le Conseil d’Etat décide dans sa présente décision de ne pas retenir l’obligation de compatibilité de l’installation de stockage de déchets avec ce plan. Il considère que la décision d’arrêté ne relève pas en soit du domaine des déchets, mais de celui du droit de l’urbanisme, quand bien même elle concerne au final ce premier. Il s’avérait en l’espèce que la région Île-de-France n’avait pas adopté de plan d’élimination des déchets. Ceci ne semble cependant pas poser de problème pour le Conseil d’Etat, à condition que la décision autorisant l’implantation d’une installation de déchets soit d’utilité publique, ce qui est le cas dans cette affaire, en raison d’une « pénurie d'installations de traitement pour les déchets produits dans le département de l'Essonne ». Aucune disposition du code de l’environnement, que ce soit l’article L. 541-15 ou un autre, n’interdit à l’Etat de décider de qualifier l’implantation d’un centre de stockage de déchets comme étant d’intérêt général, quand bien même aucun plan de prévention des déchets n’aurait été édicté par l’autorité compétente. Il considère à ce titre que l’installation de stockage de déchets inertes est en l’espèce d’utilité publique.

C’est à cette notion d’utilité publique qu’il convient désormais de s’intéresser.

II. La reconnaissance de l’utilité publique pour le centre de stockage de déchets

Le Conseil d’Etat estime d’utilité publique l’exploitation d’un centre de stockage de déchets ultimes non dangereux en raison du manque de telles infrastructures dans la région. L’utilité publique est une notion encore assez floue, car pas déterminée de manière explicite par la loi. Le Conseil rappelle néanmoins les critères nécessaires à sa détermination.

La notion d’utilité publique a été définie dans l’arrêt de principe Ville nouvelle Est (28 mai 1971) du Conseil d’Etat. Il y est énoncé que, pour qu’une opération soit valablement reconnue comme d’utilité publique, il ne faut pas que l’atteinte à la propriété privée ou à d’autres intérêts publics, le coût financier ou encore les inconvénients d’ordre social ne soient pas « excessifs au vu de l’intérêt qu’elle présente ». En l’espèce, le Conseil rappelle donc cette définition et considère qu’aucun de ces critères n’a été violé par la décision du préfet d’autoriser l’implantation de ce centre de stockage de déchets, alors même que la cour d’appel avait décidé le contraire. En effet, celle-ci avait considéré que la réduction des terres agricoles et son éloignement de la ville la plus importante du département « étaient de nature à lui retirer sa nature d’utilité publique » et justifiait ainsi son interdiction. L’une des raisons à cela concernait donc les distances relatives au transport de déchets. La cour estime que cette implantation, si éloignée des grandes villes, ne poursuivait pas un objectif de réduction des émissions.

Le Conseil d’Etat considère néanmoins que ce motif n’est pas suffisant, en raison du manque notoire de site de stockage et de traitement de ce type de déchets dans le département en question (« la pénurie d'installations de traitement pour les déchets produits dans le département de l'Essonne »). C’est donc cette absence d’installation de stockage de déchets inertes non dangereux qui est le critère déterminant pour retenir l’utilité publique de ce centre en l’espèce. Par ailleurs, les juges retiennent que la place retenue par l’installation est minime par rapport à l’espace consacré aux terres agricoles de la commune où elle est implantée, ce qui permet de parfaire la reconnaissance de l’utilité publique. Le choix du lieu ne contrevient ainsi aucunement à son implantation.

Les deux enseignements apportés par cet arrêt sont donc que l’arrêté autorisant l’implantation d’un centre de stockage de déchet n’a pas à être conforme au plan de prévention des déchets, car relève du droit de l’urbanisme et échappe ainsi aux dispositions du code de l’environnement, et que l’utilité publique peut être retenue pour cette activité en raison des capacités d’enfouissement des installations de stockages de déchets ultimes non dangereux trop insuffisantes. La qualification d’intérêt général par le préfet permet ainsi de contourner une interdiction d’implanter des installations classées.


Sources :

- GUYARD Gaëlle, Code permanent Environnement et nuisances, Editions Législatives
- Conseil d'Etat, 30 mars 2015, n°375117, www.legifrance.fr
- Conseil d'État, ass. 28 mai 1971, n°78825, Ville nouvelle Est, www.legifrance.fr