• Eléments de contexte

Le Parlement européen rappelle en premier lieu que les « effondrements de bâtiments et autres accidents relevant du domaine de la santé et de la sécurité au travail » dans le secteur du prêt-à-porter ne surviennent pas uniquement au Bangladesh mais également dans d’autres pays en développement ou les pays les moins avancés dont l’industrie du prêt-à-porter est très orientée vers l’exportation et cite notamment au Pakistan et au Cambodge.
Le Parlement européen souligne qu’entre 2006 et 2013 plus de six cents ouvriers ont péri dans des incendies au Bangladesh et que selon ses informations aucun propriétaire ou gérant d’usine n’a été poursuivi en justice. Dans ce contexte, le 4 juin 2015, Le Monde indiquait que le Bangladesh avait annoncé, lundi 1er juin, avoir engagé des poursuites pénales contre une quarantaine de personnes impliquées dans l’effondrement du Rana Plazza.
L’industrie textile est dans ces pays un moteur de développement et d’émancipation des femmes. En effet, au Bangladesh environ un quart de la population bénéfice de revenus directs ou indirects de cette industrie et sur 4 millions de travailleurs, 3,2 sont des femmes.
Plusieurs problèmes expliquent les drames : les lacunes de la réglementation bangladaise (le code du travail a été reformé en juillet 2013 mais la réglementation en matière de santé et sécurité au travail reste très insuffisante par rapport aux normes internationales) ainsi que le manque d’inspecteurs du travail (« avant l’accident, le Bangladesh ne comptait que 92 inspecteurs pour 5000 usines).
Cependant, le secteur du prêt à porter étant dominé par des entreprises internationales, les fabricants des pays en développement doivent en réalité se plier aux exigences de coûts, de rentabilité et de productivité de leurs donneurs d’ordre. Le Parlement européen souligne ainsi « de sérieuses lacunes en termes de transparence et de traçabilité » de la chaîne d’approvisionnement mondial.
Des améliorations ont été apportées par le gouvernement bangladais, avec le développement de l’assurance des travailleurs et le renforcement du dispositif de contrôle notamment, ainsi que par les entreprises internationales avec en particulier la signature d’une convention juridiquement contraignante sur la sécurité des bâtiments et la protection contre les incendies au Bangladesh par les parties intéressées (syndicats, ONG) et des marques textiles.


I. Contenu et portée de la résolution du Parlement européen

• Les recommandations du Parlement européen

Dans cette résolution, le Parlement salue l’établissement du pacte de durabilité mené par l’Union avec ce pays. Il rappelle en premier lieu l’existence du Fonds des donateurs mis en place pour indemniser les victimes et leurs familles et destiné à être financé par les contributions volontaires des entreprises. Il est ensuite déploré que certaines entreprises réputées avoir des liens avec le Bangladesh n’ait pas abondé ce fonds. L’institution européenne fait part d’un certain nombre de résolutions concernant les initiatives du gouvernement bangladais en termes d’engagement en matière de sécurité, de droits des travailleurs, du droit à la représentation syndicale, du problème des inspecteurs du travail… En particulier, il recommande au Bangladesh d’agir en matière de discrimination en particulier syndicale et critique les zones franches industrielles pour l’exportation où les syndicats sont interdits et les conditions de travail très précaires.
S’agissant des résolutions fortes adressées aux Etats Membres et à l’Union européenne, le Parlement européen les invite tout d’abord à « envisager des propositions d’élaboration de cadres contraignants » pour permettre l’accès à un recours en justice et à une indemnisation des victimes.
Ensuite, le Parlement affirme fermement que les entreprises mondiales ont une « large part de responsabilité » dans les conditions de travail et de production des pays dans lesquels elles se fournissent. Il estime que ces entreprises doivent garantir dans toute leur chaîne d’approvisionnement le respect des droits fondamentaux, plus particulièrement « des normes fondamentales de l’OIT » en droit du travail, des principes directeurs de l’OCDE, de la norme ISO 26000, la déclaration de principe tripartite de l’OIT sur les principes concernant les entreprises multinationale et la politique sociale et les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Dans ce domaine, une initiative de la Commission européenne concernant la gestion responsable des chaînes d’approvisionnement a été lancée.
Par ailleurs, le Parlement souligne ensuite que la difficulté est le manque d’information. Pour pallier cette difficulté il propose la mise en place d’un système de notification obligatoire pour détecter toutes les atteintes aux droits de l’homme dans la chaîne d’approvisionnement mondiale du lieu de production au lieu de vente.
Ainsi le Parlement considère qu’il faut mettre en place un devoir de vigilance des entreprises. En effet, il « juge nécessaire d’adopter (…) de nouveaux textes législatifs juridiquement contraignants à l’égard des entreprises de l’Union » pour les obliger à respecter les droits de l’homme lorsqu’elles « délocalisent leur production dans un pays tiers ». Elles devraient prévoir des mesures de traçabilité et de transparence conformément aux principes directeurs des Nations Unies et de l’OCDE en ces matières.
Enfin, le Parlement invite les instances européennes à rendre obligatoire l’inclusion dans tous les accords bilatéraux de commerce et d’investissement une clause obligatoire et à force exécutoire relative à la RSE et obligeant les cocontractants investisseurs à respecter les principes internationaux de RSE.

• La portée de cette résolution

Par cette résolution, le Parlement européen, instance composée de députés européens élus par les citoyens des Etats Membres, exprime un avis sur une politique qu’il souhaite voir mener. Une résolution n’a pas de force contraignante, et n’annonce pas directement le lancement d’une procédure législative mais il s’agit d’un point de vue très important. Ici, la résolution du Parlement témoigne de la volonté de voir la législation évoluée concernant la responsabilité des entreprises du fait de leurs activités à l’étranger.

II. Vers une rupture de l’isolement de la proposition de loi nationale relative au devoir de vigilance ?

Cette résolution adoptée au niveau européen vient rompre l’isolement de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre ayant adoptée par l’Assemblée Nationale en première lecture le 30 mars 2015 et devant être discutée devant le Sénat.

L’article 1 de la proposition prévoit l’insertion d’un nouvel article L.225-102-4 au Code de commerce visant à faire obligation à certaines sociétés d’établir et de rentre public un plan de vigilance. Ce plan devra être établi par les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre et devra contenir les mesures de vigilance raisonnables propres à identifier et à prévenir la réalisation d’atteintes aux droits de l’homme ou aux libertés fondamentales. Il s’agira d’une obligation importante nécessitant la réalisation d’un audit pour déterminer les risques dans toute la chaîne d’approvisionnement. Le plan doit en effet répertorier les risques de l’activité des sous-traitants ou fournisseurs et devra également viser les risques de corruptions actives et passives de ces sociétés.

L’article 2 de la proposition de loi vise l’insertion d’un nouvel article L. 225-102-5 au Code de commerce et va encore plus loin puisqu’il ouvre un cas de responsabilité civile (sur le fondement des articles 1382 et 1384 du code civil) en cas de non-respect des obligations posées à l’article 1 (c'est-à-dire la mise en place du plan de vigilance). Il s’agit donc d’une responsabilité civile en matière d’obligations RSE. Ainsi, le défaut d’établissement de ce plan ou ces lacunes seront susceptibles d’engager la responsabilité de la société.