La question du préjudice moral des associations agréées est à l'image du patinage: on avance en reculant et l'on recule en avançant. En effet, admis par la juridiction civile sans difficulté, le préjudice moral des associations même agréées est soumise à des conditions par la juridiction, en dépit d'une atteinte portée à son objet statutaire. Le préjudice moral suppose que l'association ait un intérêt à agir et puisse demander des dommages intérêts.



L'intérêt à agir des associations agréées de défense de l'environnement


Le principe est posé par l’article L141-1 alinéa 1 du code de l’environnement issu de la loi n°95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite « loi Barnier ». Selon cet article, toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. Il semble qu’il faille distinguer entre les atteintes portées aux intérêts collectifs de l’association ou aux intérêts personnels de ses membres.


Mais tout d’abord, rappelons qu’une association agréée est une association exerçant ses activités statutaires dans le domaine de la protection de l’environnement, régulièrement déclarée, exerçant ses activités depuis au moins trois ans, et agréée à ce titre par l’autorité administrative (art. L. 141-1, alinéa 1er, du Code de l’environnement). L’intérêt à agir des associations avaient toujours été conditionnée par son agrément. Cependant, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 25 juillet 2013 a jugé que l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement n’est pas conditionné par un agrément, que l’agrément n’est qu’une présomption d’intérêt à agir pour contester certaines décisions administratives au bénéfice de l’association en question.


Pour revenir à la distinction des intérêts collectifs et personnels, « la seule atteinte portée aux intérêts collectifs » suffit à « caractériser le préjudice moral indirect » (CA Nîmes 14 octobre 2008). Tandis que l’association n’a pas qualité pour agir pour l’intérêt de ses membres, pris individuellement, sans un mandat spécial (CE 24 octobre 1980, n°14521 « Association des personnels et anciens agents de la Société nationale de recherche et d’exploitation des pétroles en Algérie »).


Le refus d'admettre la présomption du préjudice morale des associations agréées par le Conseil d’État


Rappelons qu’en l'espère, dans cet arrêt, l’Association pour la protection des animaux sauvages, à l’origine de la requête, est une association agréée par les pouvoirs publics au titre de la loi de 1976, ce qui lui permet de se pourvoir en justice et de demander des dommages intérêts.

En l’espèce, le préfet de la Haute-Marne avait pris en 2008 deux arrêtés fixant la liste des animaux classés nuisibles et leurs modalités de destruction pour l’année 2008/2009 dans le département de la Haute-Marne. Ces arrêtés ont été annulés un an plus tard pour excès de pouvoir par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. L’association a, par la suite, saisi le juge administratif d’une demande en réparation résultant pour elle des préjudices causés par l’exécution de ces arrêtés illégaux. Sa requête a été rejetée au motif qu’elle n’établissait pas l’existence d’un préjudice moral suffisant.

Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d’État précise que les dispositions de l’article L.142-1 du code de l’environnement, relatives à l’intérêt pour agir des associations de protection de l’environnement, « ne dispensent pas l’association qui sollicite la réparation d’un préjudice, notamment moral, causé par les conséquences dommageables d’une illégalité fautive, de démontrer l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute commise par l’État ».

Dans cet arrêt, le Conseil d’État maintient la condition du préjudice personnel moral, comme la condition aux demandes d’indemnisation, or l’association se contentait de montrer les atteintes à l’environnement causées par l’arrêté préfectoral.


Une décision en contradiction avec la reconnaissance du préjudice moral des juges civils


Cet arrêt va en contradiction avec la tradition prétorienne des juges civils plus prompts à admettre le préjudice l’indemnisation pour préjudice moral. Les conséquences personnelles des atteintes à l’environnement étaient aussi prises en compte par le juge civil, au départ. Cependant, en 1982 dans l’affaire du balbuzard-pêcheur, la Cour de cassation a considéré que la destruction de ce rapace par des chasseurs avait causé à l’association de protection des oiseaux « un préjudice moral direct personnel en liaison avec l’objet et le but de ses activités » (Cass, 1ère civ., 16 novembre 1982).

En outre, la décision civ. 3ème 8 juin 2011 n°10-15500 marque une avancée dans la reconnaissance du préjudice moral des associations agréées. En effet, la Cour de cassation admet la recevabilité de la requête d’une association de défense de l’environnement, au motif que le préjudice entre dans l’objet social de celle-ci, alors même que l’infraction avait disparu.

Cependant, bien que reconnu, le préjudice moral des associations agréées se caractérisait par sa faible indemnisation. C’est en ce sens que la décision du TGI Paris, 11ème ch. Corr., 16 janvier 2008 reste symbolique, du fait du montant de l’indemnisation allouée.



Références:

Conseil d'État N° 375144 du 30 mars 2015
Cass, 1ère civ., 16 novembre 1982
"Projet de loi relatif à la responsabilité environnementale" : http://www.senat.fr/rap/l07-348/l07-3485.html