
Pollution atmosphérique par les navires: de l'évolution du droit supranational et de la mise en oeuvre en droit français
Par Sofia Benqassem
Stagiaire- Juriste QSE
Transdev Rabat Salé
Posté le: 27/05/2015 19:37
Adoptée à Londres le 2 novembre 1973, la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (dite "MARPOL" de l'acronyme anglais "Marine pollution") a remplacé la convention de 1954 qui se limitait à la pollution par les hydrocarbures. Comportant cinq annexes, cette nouvelle convention a permis d'étendre le champ d'application de la première, ne traitant que des pollutions par les hydrocarbures, aux pollutions par les substances liquides nocives, aux pollutions par des substances toxiques transportées par mer sous forme de colis, aux pollutions par les eaux usées des navires ou encore aux pollutions par les ordures des navires. L'entrée en vigueur de cette convention était conditionnée à la ratification par 15 Etats parties représentant au moins 15% du tonnage de la flotte mondiale de commerce, des annexes I et II. Néanmoins, certains Etats étaient réticents à la mise en œuvre des dispositions de l'annexe II, ce qui a conduit à l'adoption d'un protocole visant à renforcer les dispositions de l'annexe I et en permettant aux Etats de se conformer aux exigences de l'annexe II que trois ans après l'entrée en vigueur de la convention. La convention MARPOL est donc appelé aujourd'hui "MARPOL 73-78" car elle reprend la convention telle que rédigée initialement en 1973 et modifiée par le protocole de 1978. Elle a été ratifié par 130 Etats représentant 97% du tonnage de la flotte mondiale de commerce et est entrée en vigueur le 2 octobre 1983.
Au cinq annexes progressivement entrées en vigueur depuis 1973, a été ajoutée en septembre 1997 une sixième annexe relative à la prévention de la pollution de l'atmosphère par les navires. Cette annexe fixe les seuils de teneur en soufre maximales et détermine les modalités de contrôle de l'application de ces nouvelles valeurs limites. Dans le cadre de sa politique de lutte contre la pollution de l'air, la Commission européenne reste vigilante à l'égard du respect de cette convention par les Etats membres et a intégré cette annexe VI en droit européen par la 2012/33/UE modifiant la directive 1999/32/CE dite "directive soufre", directive qui aurait été mal transposé par la France selon l'avis motivé rendu en avril dernier.
Eu égard à la politique commune de lutte contre la pollution atmosphérique par les navires de l'OMI et de la Commission européenne, les mesures prévues se veulent être efficace pour aboutir aux résultats souhaités. Néanmoins, les sanctions en cas de non respect des mesures entreprises par la convention, incombent aux Etats parties. La France n'a pas procédé à la détermination des sanctions applicables lors de la transposition de la directive soufre 2012/33, ce qui remet en question l'efficacité totale des dispositions de l'annexe VI, efficacité corrélée à l'existence de sanctions dissuasives et/ou répressives (I). Les armateurs et opérateurs de navire français restent tout de même tenues de respecter normes imposées par la convention et la directive précités sous peine de se voir infliger des peines et amendes prévues par le code de l'Environnement et le code Pénal, à court terme, et des pertes en bénéfices à long terme. C'est la raison pour laquelle les sociétés concernées ont globalement adopté une attitude positive en prenant compte de cette nouvelle réglementation notamment grâce à l'avitaillement en gaz naturel liquéfié (GNL) qui connait un véritable essor (II).
I. De l'efficacité relative de la directive soufre dans l'ordre juridique français
Il ressort de la directive quatre mesures importantes. Tout d'abord, celle ci fixe des valeurs limites de teneur en soufre dans les combustibles marins avec des objectifs chiffrés devant être atteints d'ici 2020 (1). Ensuite, la directive mentionne les critères d'utilisation des méthodes de réduction des émissions permettant de s'assurer que ces valeurs limites soient respectées sans pour autant porter atteinte, d'une autre manière quelle soit, à l'environnement ou à la santé humaine (2). Aussi, la directive laisse le soin aux Etats membres de déterminer les sanctions applicables en cas de non respect des ces normes afin de réprimer les éventuels manquements aux obligations dont sont tenues les personnes concernées par cette directive (3). Enfin, la directive précise les modalités de contrôle de la teneur en soufre des combustibles marins pour garantir une application efficace de ces nouvelles normes imposées. Une récente décision de la Commission européenne recommande les étapes à suivre (4).
Il convient de revenir sur chacune de ces mesures en déterminant si la transposition en droit français a été effectué.
1.La transposition des valeurs limites de teneur en soufre dans les combustibles marins en droit français
La transposition de la directive 2012/33/UE a été effectué en droit français par l'arrêté du 14 mai 2014 modifiant l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires. Par conséquent, l'article 213-6.14bis a été refondu. Il prévoit désormais plusieurs limites de teneur en soufre à respecter. Concernant les zones de contrôle des émissions de soufre (dite zone ECA comprenant la Manche, la Mer du Nord, les côtes nord-américaines et la zone des caraïbes sous contrôle des Etats-Unis), la teneur en soufre doit être de 3.50% en masse jusqu'au 31 décembre 1919 puis inférieur ou égale à 0.50% en masse à partir de 2020. En revanche, les valeurs limites de teneur en soufre fixées sont plus exigeantes dans les zones de contrôle des émissions de soufre: elle doit être inférieur ou égale à 1% en masse jusqu'au 31 décembre 2014 et inférieure ou égale à 0.10% en masse depuis le 1er janvier 2015. Concernant les navires à passagers naviguant en dehors des zones de contrôle des émissions de soufre, la valeur limite est fixé à 1.5% en masse jusqu'au 31 décembre 2019 et 0.50% en masse à partir de 2020. Les navires procédant à des essais ou utilisant des méthodes de réduction des émissions peuvent faire l'objet d'une exemption de ces valeurs limites à condition que celles ci soient respectées lorsqu'ils seront exploités.
En somme, ces valeurs sont identiques à celles fixés par l'annexe VI de la convention MARPOL et donc à celles fixées par la directive 2012/33/UE. Le législateur s'est donc correctement conformé aux dispositions de la directive européenne à cet égard.
2.La transposition des critères d'utilisation des méthodes de réduction des émissions de dioxyde de soufre en droit français
L'arrêté du 14 mai 2014 définit également les méthodes de réduction des émissions conformément aux dispositions de la directive 2012/33/UE. Il s'agit de "toute installation ou tout matériel, dispositif ou appareil destinés à équiper un navire ou toute autre procédure, tout combustible de substitution ou toute méthode de mise en conformité utilisés en remplacement de combustibles marins à faible teneur en soufre qui soient vérifiables quantifiables et applicables". Ces méthodes doivent permettre de réaliser en permanence des réductions des émissions de dioxyde de soufre et ne doivent pas nuire ni porter atteinte à l'environnement, à la santé humaine, à ses ressources ou aux biens.
Là encore, le législateur français s'est conformé aux exigences de la directive et de la convention MARPOL.
3.Le manquement à l'obligation de déterminer les sanctions applicables en cas de non respect de la directive soufre par le législateur français
Si le législateur français a été rappelé à l'ordre par la Commission européenne qui l'a avisé de mettre en œuvre les règles de l'Union européenne sur les émissions de soufre dégagées par les navires, c'est en partie du fait qu'il n'a pas pris soin de déterminer les sanctions applicables en cas de non respect des valeurs limites de teneur en soufre dans les combustibles marins et des méthodes de réduction des émissions de dioxyde de soufre. A cet égard, l'annexe VI, renvoie aux Etats membres la mission de définir les sanctions adéquates. L'article 11 de la directive 2012/33 précise que "les Etats membres déterminent les sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive" et ajoute que "les sanctions déterminées doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives et peuvent comprendre des amendes calculées de manière à priver les responsables des avantages économiques tirés de leur infraction tout en augmentant progressivement pour les infractions répétées". Or, il subsiste encore aujourd'hui un silence des textes français, et la Commission a menacé la France d'une saisine auprès de la CJUE si elle ne réagit pas avant le mois de juillet concernant les carences constatées.
4.La transposition des modalités de contrôle de la teneur en soufre des combustibles marins prévues par la Commission européenne et leur application en droit français
Le 16 février 2015, la Commission a rendu une décision (n°2015/253) mentionnant les modalités de contrôle de la teneur en soufre des combustibles marins en précisant les étapes à suivre pour la vérification de la teneur en soufre du combustible marin utilisé à bord et les conditions de réalisation d'un prélèvement instantané d'échantillons à bord. Cette décision fixe aussi les fréquences d'inspection des livres de bord des navires et des notes de livraison de soutes ainsi que d'échantillonnage et/ou d'analyse des combustibles marins utilisés à bord des navires à compter du 1er janvier 2016. Ces nouvelles mesures, mettant l'accent sur le contrôle des navires, a pour objectif de rendre efficace la directive soufre 2012/33/UE.
Pour conclure, les valeurs limites de teneur en soufre ont bien été transposée, les méthodes de réduction des émissions également mais le législateur a fait fi des sanctions applicables en cas de non respect de ces normes ce qui laisse penser que cette directive ne connaitra pas une application effective pour les armateurs et opérateurs français. Néanmoins, il ne serait pas judicieux pour ces derniers de s'abstenir de se conformer à ces normes puisque si le législateur français n'a pas prévu expressément de sanctions applicables en cas de non respect des dispositions de l'arrêté du 14 mai 2014, d'autres textes mentionnent d'éventuelles sanctions applicables d'une part et d'autre part, des conséquences économiques pourront en découler à long terme.
II. De l'effectivité de la directive soufre en droit français
Le législateur n'ayant pas prévu de sanction spécifique lors de la transposition de la directive 2012/33 par l'arrêté du 14 mai 2014, les armateurs ou opérateurs de navires français seront tout de même susceptible d'être sanctionné directement ou indirectement. D'abord, l'accent mis sur les modalités de contrôle permettent de rendre les dispositions de l'annexe VI effective puisque en cas de non présentation de justificatif démontrant le respect des normes imposées par le navire, ces derniers pourraient se voir refuser l'accès de nombreux ports d'Etats parties à la convention (pour rappel, 97% du tonnage de flotte mondiale du commerce) et donc se verront directement impacter d'un point de vue purement économique (1). Ensuite, il existe aussi un éventuel impact du non respect de l'annexe VI d'un point de vue juridique, puisque les dispositions générales du Code de l'Environnement et notamment les articles L.218-15 et L.218-24 prévoient des sanctions pécuniaires à l'égard des capitaines ou des propriétaires de navires qui ne respecteraient pas les valeurs fixées par la dite convention (2). L'attitude positive adoptée par les sociétés concernées permet d'affirmer le caractère effectif de la directive soufre (3) puisque malgré les coûts engendrés à court terme, ceux -ci se conforment à la réglementation, notamment au recours de nouveaux carburants comme le gaz naturel liquéfié (4).
1.Les inspections des livres de bord et des notes de livraison de soutes: rempart aux récalcitrants
Le président des Armateurs de France avait demandé, en 2012, au secrétaire général de l'OMI, Koji Sekimizu, d'une part de décaler de quelques années l'application de l'annexe VI et d'autre part de la rendre applicable uniquement aux nouvelles constructions. Koji Sekimizu avait rendu une réponse catégorique: aucune modification des dates buttoirs de 2015 ni aucun régime différent applicable aux constructions antérieurs à l'entrée en vigueur de l'annexe VI ne seraient envisageables.
Afin de s'assurer que les plus récalcitrants respectent les dispositions de l'annexe VI, cette dernière prévoit des modalités de contrôle strictes et la décision n° 2015/253 du 16 février 2015 précise les règles de fréquence des inspections des livres de bord et des notes de livraison de soutes et ainsi que les règles d'échantillonnage des combustibles marins. Tout d'abord, les Etats membres doivent garantir des inspections des livres de bord et des notes de livraison de soutes d'au moins 10% du nombre total de navires faisant escales chaque année dans l'Etat membre concerné. Les Etats membres peuvent aussi effectuer des prélèvements instantanés, à bord, d'un ou de plusieurs échantillons de combustible marin afin de vérifier le respect des valeurs limites de la teneur en soufre. En cas de non conformité, l'Etat membre doit notifier dans le système d'information de l'Union ou dans le rapport annuel devant être fournis chaque année à la Commission, l'identification de la personne morale ou physique concernée par la non-conformité. Ce système d'information de l'Union est exploité par l'Agence européenne pour la sécurité maritime qui enregistre les informations sur les résultats des vérifications de conformité effectuées au titre de l'annexe VI. Sur la base de ces résultats, un mécanisme de ciblage fondé sur les risques a été élaboré et permet de veiller à ce que les plus récalcitrants soient sanctionnés.
2.Les dispositions du code de l'Environnement et du Code pénal : outils de répression
Les armateurs français ne devraient pas se soustraire aux obligations leur incombant concernant la teneur en soufre des combustibles marins utilisés sous prétexte qu'aucune sanction n'est prévue par l'arrêté du 14 mai 2014 matérialisant la transposition en droit français de la directive soufre, puisque deux articles du code de l'Environnement prévoient expressément des sanctions pécuniaires à l'égard du capitaine d'un navire ou à l'égard du propriétaire ou de l'exploitant.
L'article 218-15 stipule qu'est puni "d'un an d'emprisonnement et de 200 000€ d'amende le fait, pour tout capitaine d'un navire, de se rendre coupable d'infractions aux dispositions des règles 12,13,14,16 et 18 de l'annexe VI de la convention MARPOL". La règle 14 de l'annexe VI est la règle qui précise les valeurs limites de teneur en soufre dans les combustibles marins. Par conséquent, en cas de non respect de ces valeurs, le capitaine du navire encourt une peine d'emprisonnement d'un an et de 200 000€ d'amende, amende qui sera infligée au propriétaire ou à l'exploitant du navire si le tribunal le décide au vue des circonstances de fait, selon l'article L.218-23 du même code.
L'article L.218-24 prévoit pour les personnes morales responsables des infractions aux dispositions de la règle 14 de l'annexe VI, outre l'amende prévue par l'article 218-15 précité, l'affichage ou la diffusion soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, de la décision prononcée, en vertu de l'article 131-9-9° du code pénal.
3.Le respect des valeurs limites imposées: attitude positive des opérateurs de navire
Parce que le contrôle du respect des valeurs limites de teneur en soufre est accru, et parce que les sanctions ne sont pas inexistantes, les armateurs et opérateurs de navires ont tout intérêt à adopter des stratégies intégrant la notion de performance environnementale durable ce qui leur permettrait de faire des économies à long terme. Globalement, les sociétés concernées adoptent une attitude positive et se sont mis en conformité aux valeurs de teneur en soufre dans le combustible marin: soit en installant des épurateurs de fumées, soit en se fournissant en gaz naturel, plus écologique.
4. La motorisation au Gaz Naturel Liquéfié (GNL): solution coûteuse à court terme mais rentable à long terme
Ces changements d'organisation ont un réel coût pour les sociétés concernées par l'annexe VI qui se retrouvent dans l'obligation d'augmenter les coûts de soutage. La société suédoise Stena a récemment déclaré qu'elle élèverai ces coûts à plus de 100 000€ par jour, soit près de 50M€ par an en utilisant un carburant conforme à la norme de moins de 0.1% de soufre mais aussi, qu'elle diminuerai sa flotte de deux navires. L'armateur asiatique OOCL a aussi annoncé qu'il intégrerai le coût du "fuel désulfuré" dans ses prix à compter du 1er janvier 2015 étant donné que, pour les navires asiatiques, ils ne seraient pas évident de changer de carburant en arrivant dans la Manche, ou dans une autre zone sous contrôle des émissions de dioxyde de souffre, et donc de disposer de plusieurs réservoirs.
Le gazole maritime désulfuré est très coûteux, néanmoins, elle permettrait une économie de carburant annuelle importante laissant entrevoir un amortissement à moyen terme pour les opérateurs de navire utilisant le GNL. A cet égard, le port maritime de Dunkerque entend bien profiter au mieux de l'essor du gaz naturel liquéfié et mettre en place une plateforme d'avitaillement des navires en GNL. Au Havre, une nouvelle barge fluviale d'avitaillement en gasoil marine a ouvert ses portes le 5 janvier dernier.
Sources
Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires
(https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19540078/)
Directive européenne 2012/33/CE et Arrêté du 14 mai 2014
(http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=F16C8F4E601A6A8C28884F8CA230785E.tpdila09v_2?cidTexte=JORFTEXT000026700294&dateTexte=)
Le Bulletin du Droit de l'Environnement Industriel no 52, Juillet 2014/ Le Bulletin du Droit de l'Environnement Industriel no 56, Mars 2015
(http://www.wk-hsqe.fr/preview/BeDhHlDgKpIoDhEhKoEj/editionXHTML/eau/540-54_-_directive_n)
Décision de la Commission européenne du 16 février 2015
(http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/34140)
Avis motivé de la Commission européenne du 29 avril 2015
(http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-15-4871_fr.htm)