La problématique des déchets nucléaires est de plus en plus présente au sein de la société. Que faire de ces déchets? Une solution à été proposée par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs : le projet Gigéo. Ce projet consiste au stockage des déchets au sein du sous-sol terrestre. Il s'agit d'un projet unique au monde puisqu'il fait appel à un enfouissement dans l'argile.

Comment les associations et les citoyens réagissent face à cette innovation?

I- Rappel des faits

Au sein de la Lorraine, le projet de stockage nucléaire dont le maître d'ouvrage est l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) est soumis à de nombreux obstacles qui remettent en question sa création initialement prévue en 2025.

A) Le projet Cigéo

Le projet du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), vise à enterrer dans le sous-sol de la commune de Bure, entre la Meuse et la Haute-Marne, les 80 000 m3 de résidus à haute activité et à vie longue (HA-LV) générés par le parc nucléaire français. Ces produits, issus du retraitement des combustibles usés, ne représentent que 3 % du volume total des déchets nucléaires. Néanmoins, ils concentrent plus de 99 % de radioactivité et ne deviendront inoffensifs qu'au bout de centaines de milliers d'années. Un réseau de 15 km2 de galeries doit être creusé dans une couche d'argilite, et ceci à 500 mètres de profondeur, afin d'abriter quelque 240 000 colis radioactifs (1). Le but de cette opération menée par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), est de retarder au maximum la migration de ces radio-éléments avant leur retour inéluctable à la surface (2). La demande d'autorisation de création de ce « cimetière nucléaire », initialement prévue en 2015, ne sera finalisée qu'en 2017. Et son exploitation, à partir de 2025, commencera par une « phase industrielle pilote » de cinq à dix ans (1).

Le site d’enfouissement de Meuse/Haute-Marne constitue en réalité une première mondiale. « Cela n’a encore jamais été fait dans le monde, en tout cas dans l’argile. Aucun référentiel n’existe aujourd’hui », confiait Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l’ANDRA, en janvier 2011. Or, comme tout projet prototype, Cigéo est lui aussi rempli d’incertitudes, voir de risques environnementaux et humains désastreux et irréversibles.

B) Bure : Un potentiel géothermique caché

Avant la mise en service du centre de stockage souterrain, prévue par les nucléaristes en 2025, l’ANDRA doit réaliser une série d’expérimentations techniques in situ (mouvements du terrain, pressions de la roche-hôte lors du creusement, effets de la température, etc.) dans le cadre du dépôt de sa demande d'autorisation de création prévue en 2015. C'est ainsi que depuis janvier 2007, le sous-sol de la commune de Bure abrite un véritable laboratoire expérimental (2). Or, suite à ces expérimentations, l’ANDRA à rédigé un rapport de synthèse datant du 21 juillet 2009 dans lequel elle omet de mentionner l’existence d’une importante ressource géothermique sur le lieu même du site envisagé.

Effectivement, le sous-sol de la commune de Bure renferme une ressource géothermique conséquente, connue des géologues depuis les années 1980, mais dont l’ANDRA s’est efforcée avec ténacité de cacher l’existence pour y faciliter l’implantation du centre Cigéo. Cette ressource est incompatible avec le projet, tel que l'affirme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). En effet, pour déterminer un lieu destiné à l' enfouissement de matières radioactives, l'ASN a mis en place des règles de sûreté : en particulier, ne pas enfouir de déchets à l’aplomb d’une ressource géothermique présentant un intérêt particulier (3).

Face aux risques majeurs que représente ce projet, diverses associations ont tenu à exprimer leur désaccord.

II - Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance

A partir de plusieurs analyses géologiques, les associations Réseau "Sortir du nucléaire", Bure Stop 55, le CEDRA, l’ASODEDRA, Les Habitants Vigilants de Gondrecourt et MIRABEL LNE ont assigné l’ANDRA en responsabilité pour faute afin qu’elle réponde de ses manipulations. Suite à l’audience qui a eu lieu le 5 janvier 2015, l’affaire a été mise en délibéré. Le jugement a été rendu le 26 mars 2015 par le Tribunal de grande instance de Nanterre.

A) Exposé du litige

Les associations ont adressé à l'ANDRA une mise en demeure de les indemniser du préjudice subi du fait de l'atteinte aux intérêts qu'elles défendent, à hauteur d'une somme globale de 10 000 euros. L'ANDRA à ensuite contesté les critiques formulées par lettre du 18 janvier 2013. Par acte du 14 mai 2013, les associations ont assigné l'ANDRA en indemnisation du préjudice moral subi. Au terme des articles 1382 et 1383 du Code civil, la partie demanderesse sollicite le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre afin de reconnaître le litige. En l'espèce, il s'agit du manquement de l'ANDRA à son obligation d'information du public. Les associations demandent un dédommagement de 3 000 euros par association, à titre de dommages et intérêts. L'ANDRA demande au TGI de se déclarer incompétent pour statuer sur le présent litige, de renvoyer les associations devant les juridictions administratives et de les débouter de toutes leurs demandes pour cause de défaut de preuve de sa responsabilité et d'absence de lien de causalité entre la faute imputée et le préjudice allégué. De plus, l'ANDRA fait valoir que les résultats d'interprétation constituent des dommages de travaux publics et que sa mission d'information du public est une information d'intérêt général, de sorte que seule la juridiction administrative est compétente dans le domaine. Concernant les recommandations de l'ASN, l'ANDRA fait valoir que le guide de l'ASN n'a pas de portée contraignante ou impérative et qu'au surplus, elle a respecté les exigences de ce guide.

B) Décision du Tribunal

Le Tribunal conclu que l'objet de la demande des associations requérantes ne porte pas directement sur un défaut d'information relatif à la gestions des déchets radioactifs, mais sur le contenu du rapport de synthèse du 21 juillet 2009, qui serait affecté d'inexactitudes. Or seules les autorités publiques commanditaires ont qualité pour engager la responsabilité de l'ANDRA pour cause d'exécution fautive de sa mission. Aucune infraction au titre du Code de l'environnement et aucune responsabilité pour faute n'est reconnue par le Tribunal de grande instance de Nanterre à l'encontre de l'ANDRA. Les demandes des associations demanderesses ont été jugés irrecevables. Le Tribunal de grande instance de Nanterre condamne les associations à verser la somme de 3 000 euros à l'ANDRA au motif de l'article 700 du Code de procédure civile.

Cette décision marque une fois de plus de "mensonge nucléaire" auquel sont confrontés les Français. Depuis plus de quinze ans, l'ANDRA manque à son obligation d'information sans que sa responsabilité ne soit engagée (3). Il s’agissait plus particulièrement d’obtenir la reconnaissance par le juge civil de la faute de l’ANDRA pour avoir manqué à sa mission d’information du public : mission qui a une fois de plus échoué.

L'autorisation de Cigéo est encore loin d'être acquise. L'ANDRA espère un accord du gouvernement vers 2020, en vue d'une exploitation progressive à partir de 2025. Or, l'ASN exclut une telle entreprise sur tout site en France présentant "un intérêt particulier" pour la géothermie (5).

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Sources:

(1) Le Monde - Planète - "Le cimetière des déchets nucléaires sera testé en 2025" publié le 6 mai 2014 par Pierre Le Hir. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/05/06/stockage-des-dechets-nucleaires-a-bure-une-phase-pilote-en-2025_4412463_3244.html (Page consultée le 12 mai 2015)

(2) Reporter - Le quotidien de l'écologie - " Déchets nucléaires : à Bure, dans la Meuse, des défis techniques insolubles rapidement" publié le 14 novembre 2013 par Nathanaël Rouny. Disponible sur : http://www.reporterre.net/Dechets-nucleaires-a-Bure-dans-la (Page consultée le 12 mai 2015)

(3) Reporter - Le quotidien de l'écologie - " Le mensonge nucléaire reste impuni en France" publié le 27 mars 2015 par Etienne Ambroselli. Disponible sur : http://www.reporterre.net/Le-mensonge-nucleaire-reste-impuni (Page consultée le 12 mai 2015)

(4) Réseau Sortir du nucléaire - Agenda - "CIGEO : Jugement rendu par le Tribunal de grande instance", publié le 26 mars 2015. Page disponible sur: http://www.sortirdunucleaire.org/Jugement-rendu-par-le-Tribunal-de-grande-instance (Page consultée le 1 mai 2015)

(5) LorActu - "Poubelle nucléaire en Lorraine: la justice déboute des antinucléaires" publié le 26 mars 2015. Disponible sur : http://loractu.fr/meuse/9774-poubelle-nucleaire-en-lorraine-la-justice-deboute-des-antinucleaires.html (Page consultée le 15 mai 2015)

Références:

Jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 26 mars 2015, Pôle civil, 6ème chambre. N°R.G. : 13/07176 - Affaire du "RESEAU SORTIR DU NUCLEAIRE" contre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.