L’incitation financière est régulièrement utilisée par les sociétés comme un moyen de management. Le domaine de la sécurité n’échappe pas à cette tendance consistant à inciter le salarié à atteindre un objectif ou un résultat déterminé en contrepartie de l’octroi d’une prime.

Cette rencontre entre la sécurité et une part variable de la rémunération n’est pas sans susciter des difficultés. Dans notre société où la volonté de préserver la santé de tous et où l’idéologie de la réparation sont omniprésentes, l’idée de monnayer, même indirectement, le niveau de sécurité du salarié soulève des difficultés idéologiques mais aussi et surtout juridiques.

Sur ces dernières, le secteur du transport routier a fait l’objet d’une jurisprudence abondante en la matière puisque la circulation routière est propice à la survenue d’accidents et, que ce soit pour le transport de passagers ou la livraison, les contraintes de temps et de performances sont quotidiennes. Cette jurisprudence permet de faire une distinction entre les primes qui apparaissent être de nature à compromettre la sécurité du salarié d’une part et celles qui au contraire auraient tendance à participer à sa préservation d’autre part.


S’agissant des premières, la jurisprudence a considéré que la dégradation de la sécurité du salarié peut être l’une des limites à la liberté contractuelle qui prévaut en matière de rémunération. Il est aujourd’hui acquis que la promesse d’une prime liée à l’efficacité du salarié et qui tendrait à mettre en cause sa sécurité est nulle.

Dans un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 24 septembre 2008 (n°07-44847), les juges ont retenu que la prime d'efficacité conduisant à une majoration du salaire en fonction des distances parcourues et des délais de livraison est un mode de rémunération de nature à compromettre la sécurité du salarié. Cette rémunération variable est donc nulle car interdite par l’article 14 de l’annexe 1 de la Convention collective nationale des transports routiers qui dispose que « dans un but de sécurité, les contrats de travail ne pourront contenir de clause de rémunération principale ou accessoire de nature à compromettre la sécurité, notamment par incitation directe ou indirecte au dépassement de la durée du travail ou des temps de conduite autorisés, telle que l'octroi de primes ou de majorations de salaire en fonction des distances parcourues et/ou du volume des marchandises transportées ».

La publication de cette décision a en quelque sorte consacré la position de la chambre sociale qui avait déjà été affirmée, notamment dans ses arrêts du 13 juin 2007 (n°04-44551 et no 06-41333) et du 20 juin 2007 (no 03-47587 et no 04-47820).


S’agissant des secondes, les difficultés qu’elles soulèvent sont moins évidentes à appréhender. Les primes de non-accident peuvent paraitre bénéfiques en ce qu’elles incitent le salarié à être prudent. Néanmoins, cette pratique soulève une difficulté juridique importante dès lors que le résultat souhaité, à savoir l’absence d’accident, n’a pas été atteint et que par conséquent, la prime n’est pas versée en tout ou partie. En effet, l’article L.1331-2 du code du travail dispose que « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites et que toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ». Dès lors, faut-il considérer que la suppression d’une prime en cas d’accident est une sanction pécuniaire interdite ? C’est la question qui a été posée à la chambre sociale de la Cour de cassation et à laquelle elle a répondu dans son arrêt du 3 mars 2015 (n°13-23857).


En l’espèce, un chauffeur de bus a eu un accident et sa prime de non-accident lui a été supprimée pendant deux mois. L’accord collectif prévoyait que lorsque le chauffeur est responsable de l’accident à 50% il ne perçoit pas sa prime pour le mois en cours, que lorsqu’il l’est à 100% % il ne la perçoit pas pendant deux mois et enfin que lorsqu’il est responsable de deux accidents, il ne la perçoit pas pendant trois mois.

Le salarié estimait qu’il s’agissait d’une sanction financière interdite par le code du travail. L’employeur, quant à lui, invoquait le fait que la prime était de nature contractuelle et que sa suppression n‘était donc pas un exercice de son pouvoir de direction ou disciplinaire mais la simple application d’une clause conventionnelle fondant l’octroi de la prime sur un élément objectif, à savoir l’absence d’accident.

Les juges n’ont pas suivi l’employeur et l’ont condamné à payer au salarié une somme à titre de rappel de la prime et à titre de dommages-intérêts. Pour eux, la prime litigieuse est supprimée car le salarié est responsable de l’accident au moins pour moitié. Dès lors, l’intégration de cette notion de responsabilité fait référence à une faute ce qui permet de reconnaitre que le retrait de la prime est une sanction pécuniaire et donc une sanction prohibé par le code du travail.

Une telle décision est en droite ligne avec celle rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 3 juillet 2001 (n° 99-42758). Dans cet arrêt, les juges avait reconnu comme licite une prime de non-accident ne constituant pas un complément de salaire, dans la mesure où celle-ci était supprimée du simple fait de la réalisation de l’accident, peu important que le salarié en soit responsable ou non et qu’il ait commis un manquement à ses obligations professionnelles ou non.

Dès lors, si le versement de la prime de non-accident n’amène aucune remarque particulière, sa suppression doit être réalisée dans des conditions objectives étrangères à toute sanction pécuniaire.


La construction récente de cette jurisprudence relative au lien entre prime et sécurité au travail dans le domaine du transport routier mise en perspective avec la volonté croissante d’assurer la sécurité des salariés interroge sur la possibilité qu’elle s’élargisse. En effet, il n’est pas impossible qu’à l’avenir certains avantages non pécuniaires, comme le système du « fini-parti » dont bénéficie les ripeurs, puisse, pour des raisons propres à la sécurité des salariés, être limité. De même, il est possible de s’interroger sur l’extension de cette limite aux primes pour cause d’atteinte à la sécurité dans d’autres secteurs que celui des transports routiers.



Sources :

• Actuel HSE du 3 avril 2015 - Priver d’une prime les salariés qui causent un accident : c’est interdit

• Dalloz Actualité du 3 octobre 2008 - Illégalité des primes d'efficacité de nature à compromettre la sécurité du salarié

• Rapport annuel de la Cour de cassation de l’année 2003, partie III, p. 264.