L’Institut national du cancer (Inca) a rendu un avis d’experts le 4 mars 2015 dans lequel il met à jour l’existence d’une nouvelle tumeur, le lymphome anaplasique à grande cellules associé à un implant mammaire dit lymphome AGC-AIM. Ce groupe d’experts considère qu’il s’agit d’une entité spécifique qui devrait, selon eux, intégrer la prochaine classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lors de sa révision sous la terminologie LAGC-AIM.

Aujourd’hui en France 400 000 femmes portent des implants mammaires, dont 83% pour des motifs esthétiques et 17% suite à une chirurgie de reconstruction. Les autorités de santé ont donc décidé de lancer l’alerte et réfléchissent à l’éventuelle interdiction des prothèses mammaires.

I- Les mesures de prévention existantes

Les mesures de prévention en matière d’implants mammaires avaient été renforcées à la suite du scandale de l’affaire PIP de 2010. Le 30 mars 2010, l’Agence de la sécurité mammaire (Afssaps) avait annoncé le retrait du marché des implants mammaires de la société Poly Implant Prothèses (PIP) en raison d’un taux anormal de ruptures et de l’utilisation d’un gel différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché. En décembre 2011, suite au signalement de huit cas de cancer, les autorités françaises avaient recommandé aux porteuses le retrait de ces prothèses à titre préventif. Environ 30 000 femmes en France ont porté des prothèses mammaires potentiellement défectueuses de la société PIP et en décembre 2012, 14 990 d’entre elles ont subi l'explantation préventive conseillée par le ministère de la santé. Le retrait de ces implants a progressivement été recommandé dans tous les pays importateurs. Cependant aucun lien de causalité n’est à ce jour établi entre le port de ces prothèses et l’apparition de cancers.

Jean-Claude Mas, fondateur de la société PIP, a reconnu en janvier 2012 avoir produit et utilisé pour ses prothèses un gel non homologué moins cher. Il avait été condamné fin 2013 à quatre ans de prison et à verser 75 000€ euros d’amende pour la vente d’implants frauduleux. Le procès d’appel aura lieu du 16 au 7 novembre 2015 devant la cour d’appel d’Aix en Provence.

Depuis cette affaire, les autorités sanitaires ont renforcé la matériovigilance concernant les prothèses mammaires et le suivi des femmes qui en portent. Ces implants étant considérés comme des dispositifs médicaux à risque, leur qualité doit donc être contrôlée. Toutes les prothèses disponibles sur le marché français y sont soumises et tous les évènements déclarés à l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) sont analysés afin de détecter la survenance de tout incident. Il existe en France un réseau d’expertise LYMPHOPATH qui analyse les différents lymphomes qui a permit d’identifier l’apparition des cas de lymphomes AGC-AIM.

Les autorités sanitaires françaises communiquent également avec celles d’autres pays, dont ceux de l’Union Européenne au sein d’une task force mise en place par la Commission européenne, en échangeant des données sur cette pathologie.

II- Le cadre d’apparition des tumeurs

Dix-huit cas de lymphome AGC-AIM ont été diagnostiqués en France en trois ans. Le premier cas est apparu en 2011, deux sont apparus en 2012 et quatre en 2013. Il y a eu une nette augmentation en 2014 où onze cas ont été détectés. Un nouveau cas est apparu en 2015 et deux des femmes diagnostiquées sont décédées. Depuis 2011, cent-soixante-quatorze cas ont été recensés dans le monde.

Ces tumeurs ont uniquement été constatées chez des femmes portant des prothèses mammaires, huit ayant un implant à visée esthétique et dix ayant eu un implant posé suite à un cancer du sein. Elles sont âgées de quarante-deux à quatre-vingt-trois ans. Ainsi les scientifiques français et américains qui ont étudié cette maladie affirment qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence et qu’il existe un lien entre l’apparition de cette tumeur et le port de prothèses mammaires.

La directrice générale de l’Inca a précisé les symptômes qui doivent alerter les femmes, à savoir un épanchement, une augmentation du volume de la prothèse ou une inflammation. Lors de l’apparition de ces symptômes les personnes concernées doivent consulter un médecin.

Ces symptômes se déclareraient en moyenne entre onze et quinze ans après la pose du premier implant, mais un cas est apparu seulement deux ans. Cependant, pour les experts de l’Inca, la maladie n’est pas liée au contenu même de la prothèse, comme ce fût le cas dans l’affaire des prothèses PIP, mais serait induite par une inflammation à la surface de l’implant. Le revêtement de ces prothèses semble alors pouvoir être mis en cause car dans 80% des cas les implants étaient à revêtement texturé, dit macro-texturé, et non lisse. Les experts de l’Inca estiment que cette piste mérite d’être étudiée, d’autant plus que les implants à revêtement texturé sont les plus vendus en France.

L’imputabilité précise du type de prothèse en cause fait l’objet d’investigations mais les regards sont tournés vers le fabricant américain de prothèses Allergan, un des acteurs majeurs sur le marché des prothèses, notamment en matière de reconstruction. En effet sur les dix-huit cas diagnostiqués sur le territoire français, quatorze patientes portent des prothèses mammaires fabriquées par cette société. Cependant les inspections menées dans cette entreprise depuis l’affaire PIP n’ont rien détecté et Allergan met en avant « sa plus grande transparence sur le sujet ». Des échanges ont lieu entre Allergan et les inspecteurs de l’ANSM afin d’essayer de trouver une réponse à ces éventuels dysfonctionnement, quand bien même aucune réponse satisfaisante n’a été trouvée pour l’instant ni aucun lien de causalité démontré. Si ce dernier élément venait à être démontré, la question de la responsabilité du fait des produits défectueux viendrait à se poser.

III- Les mesures envisagées pour faire face à ce risque nouveau

Les différents acteurs en matière de santé se mobilisent face à l’augmentation du nombre de cas détectés. Des échanges ont lieu entre la direction générale de la santé (DGS) et la FDA américaine (Food and Drugs Administration).

L’état de vigilance maximum a été déclaré par le ministère de la santé. La ministre, Marisol Touraine, a tenu une conférence de presse le 17 mars 2015 sur ce nouveau risque. Après avoir rappelé les mesures de prévention mises en place depuis 2010 mentionnées précédemment, le ministre a fait part des différentes actions menées depuis l’augmentation du nombre de cas en 2014.

Les experts de l’Inca ont ainsi été réunis le 4 mars 2015 afin d’actualiser les recommandations en vigueur. Ces recommandations ont été publiées et adressées aux professionnels de santé concernés.

L’ANSM est particulièrement vigilante sur le suivi de l’affaire des prothèses mammaires. Un groupe ad-hoc d’experts a été mis en place et doit se réunir afin d’étudier en profondeur le rôle de certaines prothèses dans l’apparition des lymphomes AGC-AIM.

La Haute Autorité de la Santé (HAS) a également été saisie pour élaborer les recommandations sur les indications et contre-indications relatives à la pose d’implants mammaires, les éventuelles restrictions à leur pose ainsi que les alternatives possibles. Le comité de suivi des femmes porteuses d’implants s’est réuni le 25 mars 2015 avec les différentes parties prenantes afin de prendre connaissance de toutes les informations nécessaires. Aucune mesure d’interdiction ou d’encadrement de la commercialisation des prothèses mammaires n’a été prise, quand bien même certains praticiens ont renvoyé leurs stocks de prothèses macrotexturées Allergan et d’autres ont pris la décision de ne plus poser de prothèses macrotexturées en application du principe de précaution.

Marisol Touraine souhaite également renforcer la connaissance des patientes de l’existence du risque d’apparition de ce type de lymphome. Ainsi l’information sur le risque de lymphome AGC devra être donnée par écrit avant toute intervention aux femmes désireuses de se faire poser des implants mammaires. Suite à l’opération, chaque femme recevra une carte mentionnant les caractéristiques de la prothèse et sera informée de la procédure de suivi ainsi que des signes cliniques. Le suivi est le même que celui recommandé pour toutes les femmes. Ainsi une palpation de sécurité annuelle est recommandée à partir de vingt-cinq ans et à partir de cinquante ans une mammographie est recommandée tous les deux ans. La ministre insiste cependant sur le fait qu’il n’est pas recommandé aux femmes porteuses de prothèses mammaires de se les faire retirer afin de prévenir l’apparition de ce lymphome, qui reste un phénomène rare.

Enfin la ministre a déposé un amendement au projet de loi de santé afin de renforcer le suivi et la traçabilité des dispositifs médicaux dans le cadre de la matériovigilance. Les industriels devront fournir un résumé des caractéristiques du produit à l’ANSM et les établissements de santé devront tenir des registres des produits utilisés.

Bibliographie :

- Intervention de Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes : Lymphomes anaplasique à grandes cellules associé à des implants mammaires

- Institut national du cancer
o http://www.e-cancer.fr/toutes-les-actualites/84-linstitut-national-du-cancer/9373-avis-dexperts-sur-les-lymphomes-anaplasiques-a-grandes-cellules-associes-a-un-implant-mammaire

- Le monde :
o http://www.lemonde.fr/sante/article/2015/03/17/l-institut-du-cancer-alerte-sur-une-nouvelle-maladie-liee-aux-protheses-mammaires_4594751_1651302.html

- Le Parisien :
o http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/protheses-mammaires-l-affaire-de-trop-17-03-2015-4610693.php
o http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/protheses-mammaires-pas-recommande-de-se-les-faire-retirer-reagit-touraine-17-03-2015-4611327.php
o http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/protheses-mammaires-quatre-questions-sur-un-nouveau-cancer-17-03-2015-4610699.php