Les apiculteurs ont obtenu gain de cause le jeudi 19 mars 2015 : alors qu’ils réclamaient depuis 20 ans l’interdiction des néonicotinoïdes, classe d’insecticides agissant directement sur le système nerveux central des insectes, les députés ont voté l’interdiction de cette substance réputée nocive pour les abeilles contre l’avis du gouvernement dans le cadre de la loi sur la biodiversité en cours d’examen par l’Assemblée Nationale. En effet, pour la Ministre de l’Ecologie Ségolène Royal, une interdiction totale de ces pesticides était impossible au motif que, selon elle, « le cadre européen ne permet pas une interdiction stricte », point de vue non partagé par les députés.

L’interdiction de ces pesticides toxiques pour les abeilles fait écho aux mesures prises au niveau européen en 2013 qui avaient déjà limité l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes (l'imidacloprine, la clothianidine et le thiaméthoxam). Ces mesures européennes ont été jugées insuffisantes par l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) et c’est pour cette raison que le syndicat a demandé en juin 2014 l’interdiction pure et dure de toute la famille de ces produits neurotoxiques désorientant les abeilles.

Sur proposition des députés socialistes Delphine Batho et Gérard Bapt, l’Assemblée Nationale vient d’exhausser les souhaits des apiculteurs en votant un amendement interdisant, à compter du 1er janvier 2016, l’utilisation d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes. En effet, de nombreux apiculteurs estiment que ces molécules sont responsables du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ou Colony Collapse Discorder (CCD). Il s’agit d’un phénomène de mortalité anormale et récurrente des colonies d’abeilles domestiques que l’on trouve en France et en Europe depuis 1998, aux Etats-Unis depuis l’hiver 2006-2007. Les ruches se trouvent subitement vidées de la quasi-totalité de leurs abeilles et cela généralement à la sortie de l’hiver. Ce déclin de la population d’abeilles adultes laisse le couvain à l’abandon ne permettant pas le renouvellement de la population des abeilles. Localement, ces pertes peuvent atteindre jusqu’à 90% des colonies. Dès 1995, les apiculteurs européens ont désigné les pesticides systémiques comme principaux responsables des disparitions inexpliquées d’abeilles.

Le combat des apiculteurs en faveur d’une interdiction ne date pas d’aujourd’hui : c’est « un fléau durant depuis trop longtemps », insiste la députée écologiste Laurence Abeille. C’est pour cette raison que le vote de l’Assemblée Nationale allant dans le sens de cette réclamation, sonne comme un soulagement et une avancée majeure pour les apiculteurs comme en témoignent les paroles de Sébastien Pommier, président de l’Agence de Développement Apicole du Poitou-Charentes : « enfin nous sommes entendus par les politiques. Nous l'attendions depuis des années, tous gouvernements confondus. ». Toujours selon ses dires, « les molécules de néonicotinoïdes sont l'ennemi n° 1 des abeilles, des études scientifiques l'ont montré. Les problèmes ont commencé depuis leur apparition en 1993. On s'est rendu compte que plus leur utilisation augmentait, plus les problèmes apparaissaient. Il y a vingt-cinq ans, on travaillait avec 5 à 10 % de pertes sur les colonies. Aujourd'hui, les pertes sont de l'ordre de 30 à 80 % ». Gilles Lanio, président de l’UNAF, va jusqu’à estimer le pourcentage de pertes entre 50 et 80 % dans les grandes régions de production du sud du pays. Les conditions météorologiques particulièrement défavorables sont en partie responsables de cette performance peu glorieuse et peu satisfaisante. Ces faibles résultats sont également expliqués par les attaques du frelon asiatique mais les principaux acteurs incriminés restent les pesticides.

Henri Clément, porte-parole de l’UNAF, constate que « 2014 est la pire des années qu’a connu l’apiculture française » : sur les 1,3 millions de ruches françaises en activité, 10 000 tonnes de miel ont été produites soit trois fois moins qu’en 1995 (32 000 tonnes) pour un nombre quasi-identique de ruches à cette époque. Sébastien Pommier nous signale que dans les années 1980 une ruche produisait environ 60 kilogrammes de miel, aujourd’hui cette production est d’environ 15 kilogrammes par ruche.

Cette baisse de production a des conséquences catastrophiques car les insectes pollinisateurs assurent la reproduction des espèces végétales et leur action est constitutive d’un tiers de la production mondiale de nourriture (production de carottes, oignons, pommes de terre). Sans abeilles, la perte commerciale s’élèverait à 153 milliards d’euros d’où l’urgence de l’interdiction.

L’UNAF se pose de nombreuses questions notamment sur ce qu’elle nomme le « double discours du gouvernement » car il y a une différence entre « les prises de positions publiques et les décisions réelles sur le terrain », annonce Gilles Lanio. Dès 2012, le Ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll a présenté un plan de développement durable de l’apiculture. Cette initiative intervient dans un contexte où 30% des ruches périssent chaque année sans que les maladies ne soient en cause. Sébastien Pommier est catégorique : une mortalité de 30 à 80 % « n’est pas imputable à une maladie car la maladie on la retrouverait dans des petits couvains d’abeilles ». Afin de lutter contre ces pertes, Stéphane Le Foll décide de retirer l’autorisation de mise sur le marché du cruiser (pesticide) utilisé pour l’enrobage des semences de colza qui serait soupçonné d’avoir des effets néfastes sur les abeilles. A cette mesure s’ajoutent les initiatives européennes avec le lancement d’une procédure pour réévaluer les impacts de trois insecticides néonicotinoïdes qui, finalement, ont été interdits pour deux ans en 2013. Face à ces signaux positifs, des signaux moins enthousiastes ont vu le jour : échec du plan ecophyto visant à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires en France car on note une progression d’usage de ces pesticides, retard dans la révision et la publication de l’arrêté sur l’épandage de pesticides en présence d’abeilles. De plus, bien qu’interdits depuis 3 ans, on trouve encore des traces de présence de néonicotinoïdes dans le sol.

Bien que l’interdiction ait été votée par l’Assemblée Nationale, rien ne garantit que cet amendement ne sera pas rediscuté lors du passage au Sénat, comme le souligne l’association Génération Future qui craint de revivre une situation similaire à celle du vote du projet de loi du sénateur écologique Joël Labbé et du député socialiste Germinal Peiro. Cette proposition de loi avait pour ambition de demander au gouvernement d’agir directement au niveau européen pour interdire les insecticides néonicotinoïdes : elle a été rejetée.

Bibliographie :

www.lefigaro.fr : « L’Assemblée vote l’interdiction de pesticides toxiques pour les abeilles »

www.lanouvellerepublique.fr : « L’insecticide tueur d’abeilles interdit à partir de 2016 »

www.actu-environnement.com : « Pesticides contre abeille : le combat continue sur tous les fronts »

www.lemonde.fr : « Moins de miel mais plus d’apiculteurs en France »