
Le rôle du juge judiciaire dans l'obligation de remise en état d'un site pollué
Par Pascale Pessoa
Juriste QSE
Alyzia Airport Services
Posté le: 11/03/2015 9:15
En l'espèce, la société Ancienne briqueterie de Limonest (ABL) était propriétaire d'un terrain sur lequel plusieurs sociétés filiales de Elf Aquitaine avaient exploité une installation classée pour la protection de l'environnement de stockage de déchets industriels. A la cessation de l'activité, les dites sociétés ont fait l'objet d'une liquidation judiciaire.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ayant qualifié le terrain de dangereux suite à la cessation de l'activité, a fait procéder à une dépollution du site et a ensuite demandé le remboursement des sommes versées au propriétaire du site: la société ABL.
Celle-ci a assigné ABL en sa qualité de propriétaire du terrain pollué afin de se voir rembourser les sommes engagées pour la dépollution.
La société ABL assigne alors les sociétés exploitantes, leurs mandataires et leurs dirigeants devant la Tribunal de commerce et invoque l'obligation de remise en état du site des exploitants. Les sociétés exploitantes interjettent appel et soulèvent l'incompétence du Tribunal de commerce en raison du pouvoir de police du préfet en matière d'installations classées.
La Cour d'Appel de Lyon accueille le moyen soulevé par les sociétés quant à l'incompétence matérielle du Tribunal de commerce. En effet, elle rappelle qu'en vertu de l'article L 512-1 du Code de l'environnement, la compétence en matière de remise en état de sites suite à l'exploitation d'une installation classée relève du préfet et qu'en vertu de l'article 514-6 du même Code le contentieux est un contentieux de pleine juridiction relevant du Tribunal administratif.
La société ABL, propriétaire du site s'est pourvue en cassation, estimant que l'obligation découlait des relations contractuelles entre sociétés commerciales.
La Cour de Cassation se prononce dans un arrêt du 18 février 2015. Elle casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Lyon au motif que le juge judiciaire est bien compétent pour se prononcer sur la responsabilité civile, en l'espèce contractuelle, d'une société exploitante d'une installation classée pour la protection de l'environnement.
En effet, elle considère que l'action en responsabilité visant à obtenir l'exécution en nature d'une obligation légale de dépollution d'un site suite à l'exploitation d'une ICPE relève de la compétence du juge judiciaire bien que le préfet ait un pouvoir de police en la matière.
Cette solution semble faire application des règles classiques de compétence matérielle des juridictions judiciaires. En effet, il y avait bien une relation contractuelle entre les sociétés opposées lors de ce litige, ce qui suppose la compétence du juge judiciaire et plus précisément, du Tribunal de commerce. Bien que la demande ait porté sur l'obligation de remise en état incombant à l'ancien exploitant d'un site ICPE, le litige n'opposait pas le dit exploitant à l'Administration, que ce soit le préfet au titre de la police des ICPE ou le maire au titre de la police des déchets. Effectivement, il opposait un propriétaire bailleur à son ancien locataire, sa qualité d'exploitant d'ICPE n'important pas dans le cadre du contrat qui les liait et de la responsabilité en découlant en vertu de l' article 1147 du Code civil.
Le Code de l'environnement réserve bien ces pouvoirs de police à l'Administration et le contentieux en découlant au juge administratif. Cependant, il convient de garder à l'esprit que le juge judiciaire a un rôle important à jouer en la matière puisqu'il est compétent aux fins de se prononcer sur la responsabilité civile qu'elle soit contractuelle ou délictuelle.
Notamment, en vertu des articles 1730 et 1732 du Code Civil, le preneur à bail répond « des dégradations ou des pertes qui arrivent durant sa jouissance » et « doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue ».
Cette obligation contractuelle s'articule avec l'obligation légale de remise en état à la cessation de l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement.
Il semble que le juge judiciaire ait un rôle important à jouer en matière de responsabilité du fait des pollutions, qu'elles résultent ou non de l'exploitation d'une installation classée, dont les pouvoirs de police sont attribués au préfet par le Code de l'environnement.
Bibliographie:
1ère Civ. 18 février 2015 N° de pourvoi: 13-28488 , Publié au bulletin
B. ROLLAND, « Qui est compétent pour statuer en matière de dépollution et de déchets ? » CA Lyon, chambre 3A, 31 octobre 2013, n° 11/03912 – Jurisdata n° 2013-025097.