Alors que le Congrès américain, de majorité républicaine, avait voté le projet de construction de l’oléoduc Keystone XL, permettant de raccourcir l’acheminement du pétrole provenant d’Alberta (Canada) vers le golfe du Mexique, où se concentre la majorité de l’industrie pétrolière des Etats-Unis, Barack Obama y a opposé son véto le 24 février dernier. Ce projet présente en effet un enjeu environnemental important et les dangers qu’il est susceptible de causer sont encore en cours d’évaluation. C’est en partie cela qui a conduit au véto du président américain. Il n’en a pas fait l’usage pour trancher sur le fond du dossier, mais sur sa forme. Les conclusions du département d’Etat sur les conséquences économiques et environnementales de ce projet pour le pays n’avaient pas encore été publiées au jour du vote par le Congrès. En outre, il considère que le Congrès déborde de ses fonctions en forçant l’autorisation d’un tel projet. C’est donc une décision stratégique pour le président qui cherche ainsi à conserver son pouvoir décisionnel et dont les répercussions sont à la fois économiques, environnementales et politiques.

La nature du projet

L’oléoduc Keystone XL a pour but le transport de pétrole brut en provenance d’Alberta vers l’Etat américain du Nebraska, pour qu’il soit ensuite redistribué vers les grandes raffineries du golfe du Mexique. Ce projet, né 2008, permettrait de raccourcir considérablement le trajet déjà existant de l’oléoduc Keystone et s’inscrit dans un objectif plus large de réduction de la dépendance des Etats-Unis envers les Etats du Moyen-Orient et du Venezuela en matière de pétrole. Sur un tracé de 1 900 kilomètres (dont 1 400 aux Etats-Unis), le pipeline traverserait les Etats du Montana et du Dakota du Sud, pour terminer à Steel City, au Nebraska. Ce trajet permettrait d’ajouter l’acheminement d’environ 830 000 barils de pétrole par jour, en plus des 600 000 déjà existants. C’est en tout cas ce qu’affirme TransCanada, la société responsable du projet. Mais l’extraction de pétrole liée aux sables bitumeux, telle qu’elle est faite en Alberta, est déjà une activité fortement controversée car extrêmement polluante, et la construction de cet oléoduc est susceptible d’ajouter encore d’avantage de pollution, ce qui n’est pas sans inquiéter les associations américaines pour la protection de l’environnement.

En effet, il a été établi l’existence de nombreuses fuites sur les parcelles d’oléoducs déjà existantes. Celui de Keystone XL traversant des zones protégées, de telles fuites pourraient avoir des conséquences néfastes pour la faune et la flore locale. D’autant plus que de nombreux écosystèmes de ces régions sont jugés fragiles, notamment ceux des réserves naturelles des Sand Hills. Si face aux contestations qui ont naquis sur ce point TransCanada a décidé de changer le tracé de son projet, afin qu’il évite ces zones à risques, l’entrée en service de l’oléoduc causerait néanmoins une très forte hausse d’émission de gaz à effet de serre et notamment de CO2. Une étude britannique publiée en août 2004 estime que cette augmentation serait de l’ordre 110 millions de tonnes par an. Cette pollution viendrait s’ajouter aux méthodes d’extraction de ce type de pétrole déjà extrêmement polluantes. Il y a donc un enjeu environnemental fort dans cette affaire qui vient motiver le véto du président américain, même si, comme il sera vu plus loin, la motivation première de ce choix est avant tout politique.

Le pouvoir de véto du président américain

Il convient ici d’étudier plus en avant ce pouvoir dont dispose le président des Etats-Unis pour empêcher la promulgation d’une loi. Ce droit de véto est en effet une arme politique majeure pour le pouvoir exécutif. Il lui permet d’empêcher la promulgation d’une loi votée par le Congrès. Ce droit est prévu à l’article 1er, section VII, de la Constitution américaine et est principalement utilisé lorsque le pouvoir législatif est détenu en majorité par l’autre bord politique que celui de l’exécutif. Pour faire simple, dans le cas présent, lorsque le Congrès est détenu par le Parti républicain, alors que le président est issu du Parti démocrate. Il est au fondement du régime présidentiel américain. Selon le texte, le président dispose d’un délai de dix jours à compter du vote d’un projet de loi (bill) pour utiliser son véto. Lorsque ce délai est passé, le projet devient définitivement une loi. C’est donc un pouvoir de blocage législatif efficace, cependant relativement peu utilisé en pratique ces dernières années. En effet, le véto concernant l’oléoduc Keystone XL n’est que le troisième utilisé par le président Obama, et le premier de son second mandat, depuis les élections de mid-term. Il peut néanmoins être surmonté si chacune des deux chambres du Congrès revote le bill à la majorité des deux tiers.

Dans la présente affaire, l’utilisation de son véto par Barack Obama illustre bien le caractère politique de l’acte. Le président Obama cherche ainsi à réaffirmer sa légitimité décisionnelle face au Congrès qui lui est hostile. Les Républicains, soutenus par le gouvernement canadien conservateur, opposent des arguments économiques pour défendre le projet, alors que le président met au contraire en avant la protection de l’environnement, sachant que la lutte contre le changement climatique représente un des fers de lance de sa politique actuelle. Il souhaite donc préserver son pouvoir d’accorder lui-même le permis de construire, et ainsi rétablir le processus décisionnel habituel que le Congrès semble vouloir contourner dans son texte de loi.

Les conséquences du véto

Le projet de loi ayant été suspendu par le véto du président américain, la loi ne peut donc entrer en vigueur, malgré les espoirs fondés par la société TransCanada de voir enfin la réalisation de son oléoduc débuter pour 2015. Selon les défenseurs du projet, refuser la construction de cet oléoduc reviendrait à priver le secteur de la création d’environ 40 000 emplois. L’argument est ici économique. Ce projet aurait l’avantage de limiter la dépendance énergétique des Etats-Unis et de créer de l’emploi à une époque où le chômage ne cesse de croître. Le véto du président Obama serait donc un recul économique. Néanmoins, les opposants viennent tempérer ce propos en affirmant que moins d’une centaine, voire même d’une cinquantaine, d’emplois permanents seraient effectivement créés. C’est bien peu quand on considère le coût écologique de cet oléoduc. Par ailleurs, ils défendent que le développement de l’énergie verte créerait au contraire plusieurs milliers d’emplois et accorder le permis de construire pour ce projet reviendrait à priver la région de cette alternative.

Cette affaire est donc une bonne illustration de la confrontation entre intérêts économiques et intérêts environnementaux. Cependant, Barack Obama n’a pas opposé un refus définitif au projet. Il a juste décidé de le suspendre en attendant d’en savoir plus sur les conséquences écologiques qu’il entraînerait. Il est probable que la construction soit finalement permise, peut-être après de nouvelles modifications, si nécessaire, si le président estime que l’avantage économique l’emporte réellement sur l’impact environnemental. Il faut noter pour finir que le Congrès américain a cherché à faire annuler ce véto. Mais la majorité des deux tiers n’a pas été atteinte. L’autorisation pour la construction de l’oléoduc est donc définitivement suspendue, en attendant de savoir si sa réalisations sera finalement permise ou pas.


Sources :

- http://www.droitconstitutionnel.net/cours_dcUSA.htm
- http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/02/24/barack-obama-oppose-son-veto-au-projet-keystone_4582663_3244.html
- http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/02/04/cinq-questions-sur-keystone-xl-l-oleoduc-qui-embarrasse-barack-obama_4359748_3244.html
- http://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/0204182690848-obama-oppose-son-veto-a-la-loi-autorisant-loleoduc-keystone-xl-1096365.php
- http://www.liberation.fr/monde/2015/02/25/keystone-xl-obama-sort-son-veto-mais-n-abat-pas-ses-cartes_1209693
- http://www.lapresse.ca/international/dossiers/elections-de-mi-mandat/201011/03/01-4339076-le-veto-larme-supreme-du-president-americain.php