Le sable est la troisième ressource naturelle la plus abondante, après l'air et l'eau. Et pourtant, elle est en voie de raréfaction. Une raison de sa disparition grandissante est son extraction à titre industriel. La Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN) a déposé un dossier pour pouvoir exploiter une importante quantité de sable coquillier dans la baie de Lannion.

I - Le projet d'exploitation des dunes de sable coquillier

La Compagnie Armoricaine de Navigation est une filiale du groupe Roullier. Ce groupe est spécialisé dans la production et la transformation chimique de nutriments et d'aliments pour les plantes, les animaux et les hommes. L'entreprise se développe notamment dans les domaines de l'agrofourniture, de l'agrochimie, de l'agroalimentaire ainsi que dans les technologies marines. C'est-à-dire qu'il est spécialisé dans la production de produits minéraux industriels, de produits jardiniers, de phosphates alimentaires, ou encore dans l'exploitation et la transformation des algues. La CAN a déposé un dossier pour exploiter un banc de sable aux chiffres ahurissants (A). Ce sable sera destiné à l'amendement des terres agricoles (B).

A) Le projet d'exploitation en quelques chiffres

La CAN souhaite extraire 8 millions de mètres cube de sable coquillier d’une dune sous-marine située dans la baie de Lannion. Autrement dit, elle prévoit une extraction de 400 000 mètres cube par an pendant 20 ans sur une concession d’une superficie de 4km², localisée au large de l’embouchure du Léguer, à 7km du port de Trébeurden (1). La société entend extraire au moyen d’une drague sablière équipée d’une élinde traînante (système d’aspiration) à raison de 365 jours sur 365, de jour comme de nuit.

B) Un projet agricole rentable ?

Ce sable coquillier est censé servir à l'amendement des sols pour la culture maraîchère, puisqu'il a la propriété de diminuer le taux d’acidité du sol. La CAN envisage de débarquer le sable dans les ports de Roscoff, Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo et Pontrieux (2). La demande d'exploitation de la CAN fait suite à l'interdiction européenne concernant l'extraction du maërl, une algue fossilisée et protégée préalablement utilisé par la CAN depuis des années. Cette interdiction vise à protéger la destruction d'habitats marins.

« Il s’agit de répondre aux besoins de l’agriculture, en France et dans le monde. Il nous semble que le prélèvement demandé est relativement raisonnable par rapport au volume de la dune » à déclaré Bernard Lenoir, directeur de développement de la CAN (3). A ce titre, les populations environnantes s’interrogent sur l’intérêt économique de ce projet. Les opposants avancent d’autres solutions pour amender les sols : utiliser la crépidule, ce coquillage qui envahit les fonds marins, ou les déchets de coquilles d’huîtres que l’on pourrait récupérer et concasser (2). Mais ces solutions sont beaucoup trop onéreuses selon Bernard Lenoir.

La CAN tire alors d'importants bénéfices financiers de cette extraction qui induira malheureusement de lourdes conséquences écologiques.

II - "Le Peuple des dunes" défend son sable

Le "Peuple des dunes" du Trégor, qui fédère une cinquantaine d’organisations opposées au projet, notamment les professionnels de la pêche, rappelle les effets nocifs de ce projet tant sur la biodiversité que sur la dynamique sociale de la région (A). A ce titre, nombreuses vont être leurs démarches pour faire entendre leur opposition (B).

A) Les effets dévastateurs de cette exploitation

Ce projet menace deux zones protégées classées "Natura 2000" se trouvant à proximité, ainsi que la célèbre réserve naturelle des Sept-îles qui compose la première réserve ornithologique de France. Il bouleversera l'écosystème marin par l'extraction annuelle des milliers de mètres cube de sable, notamment les lançons ainsi que les milliers d'espèces vivant dans la réserve naturelle. Il submergera les fonds marins sous des tonnes de sédiments et troublera l'eau de mer, perturbant davantage l'environnement des espèces marines. Par ailleurs, la CAN a produit une étude montrant les conséquences de l'abaissement du niveau de la dune de sable coquillier où elle envisage de faire les extractions. Dans ce rapport, elle fait apparaître que pour des vagues de 5 mètres, la commune serait davantage touchée qu'elle ne l'est aujourd'hui. L'obstacle constitué par la dune sous-marine étant fortement abaissé, la houle viendrait frapper encore plus durement la côte armoricaine (4). Les opposants ajoutent que "l'extraction de sable avec d’immenses aspirateurs va soulever un nuage de sédiments. Ce panache risque d’être transporté par les courants et de se reposer sur les zones rocheuses limitrophes et d’y stériliser la vie". "L’étude d’impact a modélisé ce panache. Ce n’est pas un champignon atomique... les retombées seront faibles " répond Bernard Lenoir. Il conclut également : "Notre projet est écologique. Le navire extracteur évite la circulation de 40 camions par cargaison sur les routes." (2).

Les impacts négatifs se feront ressentir également sur la dynamique économique de la région, puisqu'à court terme, il a été estimé une perte de 160 à 450 emplois dans les secteurs de la pêche, de la mytiliculture et du tourisme (5).

B) Une mobilisation grandissante

Les treize communes riveraines de la baie, les parlementaires locaux et plusieurs députés européens se sont exprimés contre la demande d’autorisation d’extraction. Ainsi, le 13 mai 2012, le collectif le "Peuple des dunes" proteste pour la première fois sur la plage de Tresmeur, à Trébeurden. En février 2013, dans la continuité de sa lutte contre le projet d'exploitation industrielle, le collectif envoie au ministre du redressement productif une lettre très circonstanciée démontrant les lacunes et les impacts du dossier déposé par la CAN. Enfin, le samedi 24 janvier 2015, c'est entre 4500 et 7000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Lannion contre ce projet d'exploitation. Cette manifestation familiale et bon enfant a réuni de nombreux élus communaux, des députés et des parlementaires brandissant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : "Non à l'extraction de sable en baie de Lannion" ou encore "Qui vole le sable récolte la tempête" (5).


Devant cette hostilité, la CAN a décidé de s'exprimer au travers d'un dossier de presse de 10 pages dans lequel elle présente de nouveaux arguments. Afin de tenir compte des oppositions de la commune, elle prévoit de réduire son quota à 250 000 mètres cube par an sur 15 ans, au lieu de 400 000 mètres cube par an, sur 20 ans. Le volume total qui serait extrait de la dune passe de 8 millions de mètres cube à 3,1 millions de mètres cube, soit une diminution de 61 %. Ainsi, il ne représenterait plus que 2% du volume de la dune (6). Par ailleurs, dans un souci de conciliation avec les professionnels des loisirs nautiques et de la pêche, elle a proposé de cesser toute activité d’extraction chaque année de mai à août. Elle met également en avant les emplois directs et indirects générés par son activité (5).

Des arguments que la compagnie a défendus le lundi 16 février, lors d'une table ronde à Bercy, réunissant les différents acteurs du dossier et le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron. A l'issue de cette réunion, le ministre a demandé la mise en place de deux études complémentaires : une étude d'impact environnementale dans la baie de Lannion et une étude sur les conséquences socio-économiques du projet.

Ces analyses devraient être menées par un cabinet choisi par le ministère et rendues d’ici le mois d’avril.

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Sources:

(1) Le Monde, "En Bretagne, le "Peuple des dunes" défend son sable" par Martine Valo, publié le 12 février 2013. Page disponible sur: http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/02/12/en-bretagne-le-peuple-des-dunes-defend-son-sable_1830882_3244.html#c3i7hGDEAI0bembk.99 (consulté le 2 février 2015)

(2) CAP Trébeurden - Le Blog, " Extraction de sable : aidez nous !". Page disponible sur: https://cap22.wordpress.com/extraction-de-sable-aidez-nous/ (consulté le 11 février 2015)

(3) La Croix, "En Bretagne, l’exploitation d’une dune sous-marine crée des remous" par Raphaël BALDOS, publié le 27 février 2014. Page disponible sur: http://www.la-croix.com/Actualite/France/En-Bretagne-l-exploitation-d-une-dune-sous-marine-cree-des-remous-2014-02-27-1112882 (consulté le 2 février 2015)

(4) Ouest-France, " Extraction de sable : quel impact sur la houle ?" par Sylvie RIBOT, publié le 21 février 2014. Page disponible sur: http://www.ouest-france.fr/extraction-de-sable-quel-impact-sur-la-houle-1951661 (consulté le 2 février 2015)

(5) L'Express, "Lannion: plusieurs milliers de manifestants contre un projet d'extraction de sable", publié le 24 janvier 2015. Page disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/lannion-plusieurs-milliers-de-manifestants-contre-un-projet-d-extraction-de-sable_1644252.html# (consulté le 8 février 2015)

(6) Le Trégor, "Lannion - Extraction de sable : la CAN réagit", publié le 27 janvier 2015. Page disponible sur: http://www.letregor.fr/2015/01/27/extraction-de-sable-la-can-reagit/ (consulté le 15 février 2015)