Ces dernières décennies, les juridictions civiles et judiciaires tendent à réparer des préjudices et sanctionner comportements alors même que les victimes n’ont pas, ou pas encore, subi de dommage.

En matière pénale, cette tendance se traduit par l’existence d’infractions formelles. Ces dernières ont la particularité d’être consommées alors même qu’aucun dommage n’est survenu. Elles s’opposent ainsi aux infractions matérielles qui supposent un dommage pour être réalisées. Certains auteurs ont ainsi énoncé que les infractions formelles sont des infractions de moyen, tandis que les infractions matérielles sont de résultat. Comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass. Crim., 11 septembre 2001, n°00-85.473), étant une infraction formelle, le délit de risques causés à autrui ne peut en aucun être cumulé avec les délits d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui qui sont quant à eux des infractions matérielles.

Depuis la loi n°92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, il existe le délit de risques causés à autrui. Ce dernier, codifié à l’article 223-1 du code pénal, intègre la catégorie des infractions formelles dans la mesure où il est prévu que « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

Pour le législateur, cette infraction avait vocation à s’appliquer notamment aux conditions de travail. Ceci étant, elle n’a jusqu’à maintenant fait l’objet que de peu d’applications. Elle est régulièrement écartée par les juges au regard de la difficulté à remplir les conditions qui doivent être réunies pour la caractériser.

Dès lors, l’arrêt du 7 janvier 2015 rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation (Cass. Cirm., 7 janvier 2015, n°12-86.653) est intéressant en ce que les conditions ont été réunies pour retenir la condamnation d’une société pour le risque qu’elle a fait courir à un salarié.


En l’espèce, un salarié venait de laver un flacon ayant contenu de l’hydrogène sulfuré. Il a été pris d’un malaise ayant entrainé un jour d’incapacité totale de travail. Ce malaise a été causé par l’inhalation du produit nocif qui n’a pas pu être complétement évacué à cause de l’insuffisance du débit du dispositif de ventilation équipant le local de travail.

La cour d’appel a confirmé la condamnation de la société qui a formé un pourvoi en cassation.

S’agissant de la condition d’exposition directe à un risque immédiat de mort ou de blessures graves, la société faisait valoir que la concentration d’hydrogène sulfuré n’avait pas atteint les valeurs à partir desquelles elle cause un dommage létal ou irréversible. Par conséquent, la société estimait que la première condition d’application de l’article 223-1 du code pénal n’était pas remplie. Les juges du fond ont écarté cette argumentation en énonçant que l’article 223-1 du code pénal est étranger à la notion de seuil et précise que, de surcroit, les résultats du rapport d’expertise produit par la société à l’appui de son moyen sont incomplets car ils ne tiennent pas compte du temps d’exposition du salarié. Il est alors retenu que le salarié était bien exposé à un risque d’inhalation létale, notamment compte tenu de son malaise et du travail individuel.

En l’espèce, les conditions pour démontrer le risque de mort ou de blessures graves étaient relativement avantageuses, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment en matière de pollution de l’air. En effet, un chef d’entreprise a été relaxé après qu’ont été relâchés 921 microgrammes de dioxyde de souffre par mètre cube d’air, ce qui est supérieur au seuil d’alerte, car il n’avait pas été démontré par expertise scientifique que la population courrait un risque (Cass. Crim., 4 octobre 2005, n°04-87.654, Bull. Crim. 2005 n°250).


S’agissant de la violation d’une obligation particulière de sécurité, les juges visent les dispositions légales ou réglementaires que la société a méconnues.

Il s’agit d’abord de la méconnaissance de l’article R. 4222-20 du code du travail, intégré au chapitre relatif à la ventilation et l’assainissement, qui dispose que « l'employeur maintient l'ensemble des installations mentionnées au présent chapitre en bon état de fonctionnement et en assure régulièrement le contrôle ». Cette violation est complétée par celle que l’article R. 4222-22 du même code.

Il s’agit ensuite de la méconnaissance de l’article R. 4412-39 du code du travail, inséré dans le chapitre relatif aux mesures de prévention des risques chimiques, qui dispose que « l'employeur établit une notice, dénommée notice de poste, pour chaque poste de travail ou situation de travail exposant les travailleurs à des agents chimiques dangereux. Cette notice, actualisée en tant que de besoin, est destinée à informer les travailleurs des risques auxquels leur travail peut les exposer et des dispositions prises pour les éviter. La notice rappelle les règles d'hygiène applicables ainsi que, le cas échéant, les consignes relatives à l'emploi des équipements de protection collective ou individuelle ».

La société faisait valoir que les juges du fond avaient retenu la réalité du risque à cause du travail individuel alors qu’elle retenait que le manquement consistait en la défaillance du système de ventilation. Dès lors, pour la société, le lien n’était pas établi entre la violation de l’obligation particulière de sécurité et le risque de mort ou de blessures. Sur ce point, le pourvoi est également rejeté puisque l’évacuation rapide du produit chimique nocif aurait réduit les risques encourus par le salarié.

La violation d’une obligation particulière est ici établie. Ce n’est pas la première fois que la violation de l’obligation d’assainir l’air est à l’origine de la condamnation d’un employeur. En 2013, il avait été jugé qu’un article d’une délibération de l’assemblée territoriale de la Polynésie française qui imposait le captage à la source des émissions gênantes pour la sécurité et la santé des travailleurs lorsque les techniques le permettent caractérise une obligation particulière de sécurité dont la violation permet l’application de l’article 223-1 du code pénal (Cass. Crim., 25 juin 2013, Bull. Crim. n°159).


Il en aurait certainement été autrement s’il avait été invoqué la violation par l’employeur des articles L. 4121-1 à L. 4121-5 du code du travail relatifs aux obligations générales de sécurité de l’employeur. En effet, ces dispositions ne fixent qu’une obligation générale de sécurité à sa charge sans préciser les mesures à mettre en œuvre. A ce titre, la jurisprudence a déjà exclu le délit de l’article 223-1 du code pénal en présence d’obligations trop générales. Par exemple, il a été reproché au maire et le préfet de police de Paris d’exposer directement les personnes à un risque immédiat de mort ou de blessure en ne prenant pas les mesures suffisamment efficaces pour pallier les effets d’une pollution atmosphérique. La Cour de cassation a confirmé le refus d’informer sur la plainte qui en découlait en retenant que l’article du code général des collectivités territoriales et le décret invoqués à l’appui de ces insuffisances ne posaient aucune obligation particulière de sécurité ou de prudence (Cass. Crim., 25 juin 1996, Bull. Crim. n°274).


En définitive, la Cour de cassation retient ici que le moyen revient à remettre en question l’appréciation souveraine des juges et rejette le pourvoi. La condamnation de la société à la peine de 15 000 € d’amende et confirmée.