L’indemnisation d’un éleveur de son préjudice causé par une ligne haute tension

Au début du mois de janvier on a pu lire dans le Dauphiné libéré que la société RTE, filiale d'EDF, a été condamnée à indemniser, à hauteur de 142 000 euros, un agriculteur bas-normand dont les vaches élevées près d'une ligne à très haute tension (THT) étaient malades, rapporte l'AFP dans une dépêche le 8 janvier. «Le préjudice subi par l'EARL Charuel du fait du passage de la ligne à proximité et de l'impossibilité de poursuivre l'exploitation dans de bonnes conditions doit être indemnisée», a écrit le juge de l'expropriation dans le jugement daté du 5 janvier, dont l'AFP a eu une copie.
Cette décision n’est pas sans rappeler un arrêt de la troisième chambre civile du 18 mai 2011. Cette décision est en opposition avec le jugement rendu. Elle indique que « la charte de l'environnement et le principe de précaution ne remettent pas en cause les règles selon lesquelles il appartient à celui qui sollicite l'indemnisation du dommage [...] d'établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine » de la ligne à haute tension.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation considère que la démonstration du lien de causalité peut s appuyer sur des indices « graves, précis, fiables et concordants ». Il y avait là une innovation car trois caractéristiques étaient requis afin qu’une preuve soit reçue : la gravité, la précision et la concordance.
L'adjectif fiable a fait couler de l’encre. Il est inclus dans l'énumération des caractères que doit présenter un indice pour être reçu.
Par ailleurs les lignes hautes tensions ne sont pas les seules à faire l’objet d’un contentieux dont la preuve est difficile à rapporter : les champs électromagnétiques générés par les antennes téléphoniques.
Les juges versaillais avaient considéré que « si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l'incertitude sur l'innocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu'elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable ».
La notion de risque hypothétique semble trop vague trop peu effective pour se baser sur la responsabilité délictuelle sur le fondement du principe de précaution. A la seule condition de l’absence de preuve de l'existence d'un lien de causalité suffisamment caractérisé.
Sans avoir le jugement on peut penser que les juges du fond ont pu lire que des études scientifiques mettaient en évidence un lien possible entre l'exposition aux champs électromagnétiques et diverses maladies ou troubles constatés chez les animaux exposés, admettant qu'il y a des indices quant à leur incidence possible sur l'état des élevages. Pour certains il pourrait derrière cette condamnation une sorte d’incitation à appliquer le principe de précaution.

Alors que par la décision de 2011 la Cour de cassation a interprété selon certains auteurs les dispositions de l'article L. 110-1 II 1° du code de l'environnement de sorte que la responsabilité ne pourra être mise en jeu sur le fondement du principe de précaution non pas « en l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » mais en présence de preuves scientifiques certaines de la faute, du préjudice subi et du lien de causalité entre les deux.
Le principe de précaution est défini comme le principe selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement supportable.
Le principe de précaution ne rentre dont pas en ligne de compte de l’établissement de la preuve.
Ce problème de la certitude de l’intime conviction en reprenant des termes du droit pénal est une fois de plus remis sur le tapis. Ce sentiment est justifié, en effet des indices précis, graves et concordants n’incitent qu’à penser que d’un point de vue de la preuve s’il on n’a pas d’évidences on peut quand même condamner.
Pour revenir à notre affaire on peut observer que la différenciation entre la causalité scientifique et causalité juridique est évidente.
Par ailleurs la Cour de cassation admet la preuve du lien de causalité par présomptions de l'homme en application de l'article 1353 du Code civil, même s’il existe une absence de consensus scientifique.
L’admission moins stricte de la preuve de la causalité a été notamment par J.-S. Borghetti suite à la décision de la première chambre civile du 25 novembre 2010 concernant la vaccination de l’hépatite b.
Les juges du fond visiblement ont décidés de s’affranchir de la position de la Cour de cassation. Cela ne serait pas la première fois. De plus on est en présence ici d’un exemple supplémentaire, si la démonstration se faisait sentir, qu’il faut un coupable à tout dommage.


Pour approfondir
M. Boutonnet, Le risque, condition « de droit » de la responsabilité civile, au nom du principe de précaution, D. 2009. 819
Ph. Brun, Causalité juridique et causalité scientifique, RLDC 2007, suppl. au n° 40, p. 15
C. Thibierge, Libres propos sur l'évolution de la responsabilité civile, Vers un élargissement des fonctions de la responsabilité civile ?, RTD. civ. 1999. 561; Avenir de la responsabilité civile, responsabilité de l'avenir, D. 2004. 577).