Le 28 février 2010, une importante submersion marine a touché les côtes littorales vendéennes et charentaises. Le caractère exceptionnel de la tempête Xynthia est dû à la concomitance de trois phénomènes naturels, dont la probabilité qu’ils surviennent en même temps était extrêmement faible : une surcote produite par la tempête, un coefficient de marée élevé et un phénomène de vagues. Les conséquences précises de cette submersion n’ont pas été anticipées du fait des sous-estimations trop importantes de la tempête (1). Le risque et les conséquences qu’elle a engendrés ne sont pas tolérables, tant sur le plan humain qu’économique. On recense 47 morts, dont 29 à La Faute-sur-Mer en Vendée, et plus de 200 blessés. Sous la force du vent, la digue qui protégeait la commune des eaux de la rivière du Lay a cédé, provoquant l'inondation de deux lotissements récents situés sous le niveau de la mer. Face à ces conséquences humaines et matérielles dramatiques, l'association des victimes de La Faute-sur-Mer a déposé une plainte contre X auprès du procureur de la République des Sables-d’Olonne. Cette plainte vise les délits d’homicide involontaire, de mise en danger de la vie d’autrui, d'abstention de mesures prises pour combattre un sinistre et de prises illégales d’intérêts. A ce titre, les enquêteurs recherchaient d'éventuelles responsabilités humaines dans l'inondation, et s'intéressaient notamment aux conditions d’urbanisation des lotissements inondés (2). Le 14 avril 2011, le maire de La Faute-sur-Mer, René Marratier est présenté au juge d'instruction au palais de justice des Sables d'Olonne pour être mis en examen pour homicide involontaire et mise en danger de la vie d'autrui.

Le procès Xynthia s'est ouvert le 15 septembre dernier devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne. La question qui s'est posée était de savoir quelle était l'étendue des responsabilités dans ce drame.

I - L'issue du procès

Après cinq semaines de procès, des peines allant jusqu'à trois ans de prison ferme ont été retenues pour cinq prévenus.

A) La responsabilité incontestable de l'ancien maire de La Faute-sur-Mer, René Marratier

Le mercredi 15 octobre 2014, le procureur de la République Gilbert Lafaye, a requis quatre ans d'emprisonnement dont trois ferme et 30 000 euros d'amende contre l'ancien maire de la commune de La Faute-sur-Mer, René Marratier. On lui reproche de ne pas avoir informé la population des risques de la tempête qu’il connaissait, d’avoir délivré des permis de construire dans des zones inondables et d'avoir ralenti la mise en place des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI). "Quand on exerce depuis quatre mandats, on ne peut pas s'abriter derrière son incompétence et son ignorance du risque", a lancé le procureur à René Marratier. "La Faute-sur-Mer n'est pas une petite commune avec des petits moyens", a-t-il poursuivi, en dénonçant la "catastrophe annoncée" que représentait "la frénésie immobilière" de la commune. De ces manquements, le procureur Lafaye a demandé au tribunal de tirer la conséquence juridique, en considérant que René Marratier est coupable d'une faute "personnelle" et non pas d'une faute de service, ce qui le rend responsable des dommages et intérêts qui seront alloués aux parties civiles (3).

L'étendue des responsabilités est beaucoup plus importante puisque quatre autres personnes, en lien avec le dommage, vont également être tenues responsables.

B) La responsabilité de quatre autres prévenus

Le procureur de la République s'est montré tout aussi sévère à l'égard de l'ex-adjointe à l'urbanisme de la commune, Françoise Babin, à laquelle il est notamment reproché d'avoir signé des permis de construire illégaux pour des lotissements qui ont été submergés la nuit de la tempête. Il a affirmé que Françoise Babin ne pouvait ignorer que les permis attribués méconnaissaient la "cote de référence" – qui fixait à près de 4 mètres de hauteur le seuil minimum du niveau habitable – puisque celle-ci avait été débattue à l'occasion des négociations du PPRI (3). Elle est poursuivie de trois ans de prison, dont deux ans ferme, et 50 000 euros d'amende. Le fils de cette dernière, Philippe Babin, directeur d'une agence immobilière est également présumé responsable de la construction de ces résidences et encourt une peine d'un an de prison ferme. Patrick Maslin, gérant de sociétés de construction et conseiller municipal, ainsi que ses deux entreprises sont présumés en tant que personnes morales. Enfin, Alain Jacobsoone, alors directeur départemental adjoint des territoires et de la mer au moment des faits, est soupçonné de négligences dans l'alerte qu'il était censé donner au maire sur les dangers de la tempête qui s'approchait. Il encourt une peine de prison avec sursis. Tous sont poursuivis pour homicides involontaires aggravés et mise en danger de la vie d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité et de prudence (4).

La question qui subsiste suite à ces condamnations était de savoir si ces cinq prévenus étaient les seuls responsables. Hormis la présence d'Alain Jacobsoone à la barre, l'Etat n'a fait l'objet d'aucune discussion alors qu'il tient une place considérable dans l'élaboration des PPRI, tel que le souligne l'article L.562-1 et suivants du Code de l'environnement.

II - L'Etat exclu du procès

Dans cette situation, l'Etat est représenté par l'ancien préfet de Vendée, Thierry Lataste, et par la direction départementale de l’équipement (DDE). Leur absence sur le banc des prévenus agite les débats et leur responsabilité est discutée.

A) L'absence de l'Etat soulevée par les défenseurs des prévenus

Maître Didier Seban, avocat de René Marratier, a dénoncé l’absence de l’Etat sur le banc des prévenus. "Il y a un grand absent parce qu’il y avait une institution qui était responsable du plan de prévention des risques inondations ; c’était le préfet qui ne l’a pas mis en place" a-t-il déclaré. Avant d’ajouter, "venir reprocher au maire d’une commune les responsabilités qui relèvent de l’Etat, c’est se tromper". Selon lui, la responsabilité du PPRI incombait à l'Etat et cette responsabilité est confirmée par l'article L.562-1 et suivants du Code de l'environnement: "L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations". Or, il n'y en avait pas à La Faute-sur-Mer, d'où le raisonnement de Maître Seban: "Si l'État était conscient du risque, il s'agit d'une faute impardonnable. Sinon, il ne peut pas être reproché au maire de ne pas l'être" (5). Concernant la délivrance des permis de construire, toutes les décisions des maires sont soumises au contrôle de légalité en préfecture tel que l'indique les articles L 3132-1 à L 3132-4 du Code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 3131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission". Or, l’État n’en a rien fait (6). Par ailleurs, la question relative à la "cote de référence" imposée par la DDE pour les hauteurs de construction attise également les débats puisque sa valeur n'apparaît nulle part. Une grave omission selon l'avocat, qui crée "une clause inapplicable" au moment de délivrer les permis de construire (7).

La faute de l'Etat est donc considérable, néanmoins elle n'a pas été retenue devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne. Face à ces accusations, l'Etat se défend de manière fébrile.

B) La faible défense de l'Etat

Thierry Lataste, préfet de Vendée au moment de la catastrophe, a tenu à se justifier face à ces accusations. Il soulève le déni du maire envers l'application des PPRI: "Le comportement de déni du maire de la Faute-sur-Mer était tout à fait caractérisé. C'est ce que j'ai rencontré de plus difficile à faire bouger dans toute ma carrière" (8). Des propos qui font bondir Maître Didier Seban, avocat de René Marratier : "Il n’a pas pu bloquer le PPRI puisque ce n’est pas lui qui décide, mais le préfet ! Il n’a fait aucun recours, il a simplement été consulté ! "(6). Thierry Lataste va plus loin dans sa défense en évoquant la circulaire signée du ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo en juillet 2007 sur "l'élaboration concertée" des plans de prévention des risques entre l'Etat et les communes. "Les services de l'Etat qui étaient engagés dans des négociations difficiles avec les communes se sont sentis affaiblis par cette circulaire", affirme-t-il (8). La DDE a également sa part de responsabilité dans la rédaction des permis de construire qui lui était confiée par le maire. Mais, elle a avoué qu’elle instruisait ces permis sans connaître la valeur de la cote de référence, censée définir la hauteur des habitations dans ces zones inondables. Des maisons de plain-pied ont donc été construites dans la cuvette de La Faute-sur-Mer, soit en dessous du niveau de la mer.

Face à ces dires, les débats font rage et la responsabilité de chacun semble difficile à définir. Le sénateur Alain Anziani a évoqué une "chaîne d’irresponsabilités " (9), selon lui la responsabilité est partagée mais ce n'est visiblement pas l'avis du tribunal. Le jugement sera rendu le 12 décembre prochain et devra faire œuvre de pédagogie pour éviter de réitérer les erreurs du passé. La bataille est toutefois loin d'être gagnée.

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Sources:

(1) Anziani Alain, sénateur (Juillet 2010), rapport d ́information n°647 fait au nom de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia (227 pages)

(2) Le nouvel Observateur. "Tempête Xynthia : pourquoi le maire de La Faute-sur-mer sera jugé" publié le 28 août 2013 [en ligne]. Disponible sur: http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20130828.OBS4565/tempete-xynthia-pourquoi-le-maire-de-la-faute-sur-mer-sera-juge.html (consulté le 16 novembre 2014)

(3) Le Monde, Chroniques judiciaires "Xynthia : le procureur accable le maire de la Faute-sur-Mer" de Pascale Robert-Diard, publié le 15 octobre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2014/10/15/xynthia-le-procureur-accable-le-maire-de-la-faute-sur-mer/ (consulté le 16 novembre 2014)

(4) Actu-Environnement. "Xynthia : le procès de l'urbanisation en zone inondable" de Laurent Radisson publié le 15 septembre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http://www.actu-environnement.com/ae/news/Xynthia-tempete-proces-urbanisation-inondation-responsabilites-22661.php4 (consulté le 16 novembre 2014)

(5) Francetvinfo. Vidéo "Fin du procès Xynthia, la défense accuse l’Etat" publiée le 19 octobre 2014 sur le 19/20 de France 3 [en ligne]. Disponible sur: http://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-3/19-20/video-fin-du-proces-xynthia-la-defense-accuse-letat_722581.html (visionnée le 17 novembre 2014)

(6) L'Humanité.fr. " L’État est-il le grand absent du procès Xynthia ?" de Marie Barbier, publié le 9 Octobre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http: //www.humanite.fr/letat-est-il-le-grand-absent-du-proces-xynthia-554216 (consulté le 21 novembre 2014)

(7) Le Figaro. " La plaidoirie de la défense réveille le dernier jour du procès Xynthia" de Stéphane Durand-Souffland publié le 17 octobre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/10/17/01016-20141017ARTFIG00290-une-plaidoirie-remarquable-de-plus-d-une-heure-cloture-le-proces-xynthia.php (consulté le 16 novembre 2014)

(8) Le Monde, Chroniques judiciaires " Procès Xynthia: le risque, l’Etat, les élus et la schizophrénie nationale" de Pascale Robert-Diard, publié le 30 septembre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2014/09/30/proces-xynthia-le-risque-letat-les-elus-et-la-schizophrenie-nationale/ (consulté le 16 novembre 2014)

(9) Libération Terre. " Tempête Xynthia : faire face aux risques futurs" de Valentin Przyluski publié le 29 octobre 2014 [en ligne]. Disponible sur: http://www.liberation.fr/terre/2014/10/29/tempete-xynthia-faire-face-aux-risques-futurs_1132110 (consulté le 16 novembre 2014)

Références:

Article L.562-1 et suivants du Code de l'environnement
Les articles L 3132-1 à L 3132-4 du Code général des collectivités territoriales
Circulaire du 3 juillet 2007 relative à la consultation des acteurs, la concertation avec la population et l’association des collectivités territoriales dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), non publié au JO