Le « péage de transit poids lourds » : Un projet déficitaire

Au 1er semestre 2012 la « transition énergétique » a été présentée à la fois comme une réponse aux enjeux environnementaux du Sommet de Rio et comme un élément de relance de l'Économie française via la « croissance verte ». L'engagement de la France vise à répondre à un défi climatique et énergétique, notamment en préparant l'« objectif 2050 » qui est de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre, tout en développant les énergies renouvelables et en recherchant toutes les formes d'efficience énergétique. Cet objectif a depuis été réaffirmé dans le cadre de la loi Grenelle 1.
Pour ce faire, la France décide de mettre en place le principe de l'écotaxe poids lourds qui consiste à un prélèvement fiscal opéré sur les poids lourds en raison des dommages qu’ils sont susceptibles d’occasionner à l’environnement. Mais face à l’émergence des opposants de l'écotaxe poids lourds, le Gouvernement a opté pour un « péage de transit ». Il s'agit d'une "solution à la fois équilibrée et de bon sens"(1), a justifié la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, sur l'antenne de France Inter le lundi 23 juin 2014. Le Gouvernement a toutefois du mal à convaincre la société du bien-fondé de cette solution intermédiaire.
Le « péage de transit poids lourds » met en œuvre les principes de l'utilisateur/payeur et du pollueur/payeur définit par l'article L110-1,II,3 du Code de l'environnement selon lequel: "les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur". Sur la base d’une tarification à la distance parcourue, chaque véhicule paiera en fonction de son usage réel du réseau retenu. L’objectif du « péage de transit poids lourds » est de faire participer au financement des infrastructures de transport, les professionnels qui en ont besoin et qui les utilisent régulièrement. Ce dispositif a pour but également de pousser les transporteurs à rationaliser leurs déplacements, tout en finançant des projets de transports soutenables. Malheureusement, ce dispositif fait naître de houleux débats au sein de la société et son avenir est promu à un échec.

I - Le dispositif initial proposé par le Gouvernement

Le « péage de transit poids lourds », dispositif initialement prévu par le Gouvernement, ne fait pas l'unanimité auprès de la société française.

A) Description du dispositif initialement prévu

Il s'agissait d'instaurer, après trois mois de marche à blanc, un « péage de transit » au 1er janvier 2015 qui n’aurait concerné que les poids lourds de plus de 3,5 tonnes conçus pour le transport de marchandises, définis par le décret n° 2013-678 du 11 juillet 2013 et circulant sur le réseau concerné. Les véhicules agricoles, les camions dédiés à la collecte du lait dans les fermes, les fourgons blindés, les véhicules de l’armée, ainsi que les véhicules forains et de cirque auraient du être exonérés.
Ce péage n’aurait concerné que 4.300 kilomètres de routes nationales, au lieu des 15.000 sur lesquels devait porter l'écotaxe. Il aurait ciblé les "itinéraires de grand transit, qui supportent un trafic supérieur à 2.500 poids lourds par jour"(1), a précisé une source proche de Matignon, rapporté par l'Agence France Presse. Devaient s’y ajouter 300 kilomètres de routes locales, comme par exemple le périphérique parisien. En revanche, auraient été exclues les autoroutes déjà soumises à un péage.
Mais ce projet a fait l'objet de nombreux débats au sein de la société et nous verrons par la suite qu'il n’a pas abouti.

B) Un dispositif créant des discordes

En Bretagne, principal lieu de contestation de l'écotaxe, seul l'axe Saint-Lô/Nantes aurait été concerné. Mais c'était encore trop pour Christian Troadec, porte-parole des bonnets rouges qui réclamait la gratuité totale des routes.
Le débat touchait également la société française Ecomouv' chargée de la collecte et de la gestion de la taxe poids lourds. Cette société privée a été créée pour répondre aux demandes de l'État concernant la conception, l'installation et la gestion de la taxe poids lourds sur tout le territoire français. Or, suite à l’abandon du projet d’écotaxe poids lourds, la société se sentait délaissée. Néanmoins, le Premier Ministre Manuel Valls avait tenu à rassurer les inquiétudes de la société : "Il sera fait appel à la société Ecomouv' dont l'infrastructure technique et opérationnelle existe déjà"(1), avait-il indiqué, précisant que l'Etat pourrait entrer dans son capital en vue d'assurer un meilleur contrôle. L'association Agir pour l'environnement dénonçait toutefois la menace juridique qui pesait sur l'Etat, Ecomouv' risquant de "réclamer une indemnisation pour compenser le préjudice subi"(1). Ecomouv’ a en effet installé des portiques sur plus de 15.000 kilomètres de routes. Aucune précision n'a été apportée par le Gouvernement sur le devenir de ces portiques. A défaut de décision ferme de l'Etat, les opposants peuvent être tentés de régler la question par eux-mêmes : un portique situé en Loire-Atlantique a été incendié en juin dernier, le troisième dégradé dans ce département depuis début 2014.
L’écotaxe, votée à l'unanimité par les parlementaires lors du Grenelle de l'environnement, avait pour ambition de favoriser le report du transport routier vers le ferroviaire et le fluvial. Elle devait également permettre le financement d'infrastructures de transport alternatif à la route. D'où la réaction de la Fondation Nicolas Hulot qui dénonçait "un coup d'arrêt pour le financement de plusieurs dizaines de projets de transport en commun ; à l'opposé de l'ambition affichée d'engager la France dans la transition énergétique"(1). Quelles seront les conséquences de ce dispositif sur l’engagement de la France dans la transition énergétique ?

II) Evolution de la mise en place de ce projet

L'expérimentation de ce dispositif basée sur des dispositions juridiques ne sera pas concluante.

A) L’expérimentation du dispositif

Un décret définissant le réseau routier national soumis à la taxe sur les véhicules de transport des marchandises de plus de 3,5 tonnes a été publié au Journal Officiel le 30 septembre 2014, la veille du début de l'expérimentation du dispositif. Signé par le Premier Ministre, les ministres de l'Ecologie et des Finances et les secrétaires d'État aux Transports et au Budget, le texte liste en annexe les 128 itinéraires nationaux soumis à la nouvelle taxe poids lourds, dont 65 autoroutes et 63 routes nationales. Le décret est accompagné d'un arrêté relatif au taux kilométrique de cette taxe et aux modulations qui lui sont appliquées pour 2015. Les véhicules les plus lourds et les plus anciens seront ainsi davantage taxés. Le taux ira de 8,8 centimes d'euros par kilomètre pour les véhicules de première catégorie, à 11,1 centimes d'euros par kilomètre pour les véhicules de deuxième catégorie et à 15,4 centimes d'euros par kilomètre pour les véhicules de troisième catégorie. Une minoration ou une majoration de taux est prévue en fonction de la classe de ses émissions polluantes.
La Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports (FNAUT) avait ainsi fait part de ses inquiétudes dans un communiqué. Elle demandait au gouvernement "d'accélérer la mise en place du péage de transit", de "mettre en place une fiscalité écologique sérieuse dans les transports routiers et aériens", et de "dégager rapidement les moyens nécessaires pour développer les transports collectifs urbains en site propre et moderniser le réseau ferré"(2). Le Conseil de Paris avait pour sa part approuvé le 30 septembre dernier, l'application du « péage de transit poids lourds » sur le boulevard périphérique. Le périphérique est, d'ores et déjà, équipé des portiques nécessaires pour le repérage des véhicules, cette voie ayant été incluse dès 2011 dans le dispositif "écotaxe", en raison des risques de report de trafic liés à la mise en place de la taxe sur l'A86 et la Francilienne.
Dès le mois d’octobre dernier, la mise en place de ce dispositif devenait de plus en plus concrète mais elle attisait les inquiétudes de nombreuses entités. Ce climat d'inquiétude et de manifestation à donc induit la suspension de ce projet.

B) La suspension du dispositif

Alors que la date du 1er janvier 2015 était programmée pour l'entrée en vigueur du « péage de transit », le gouvernement misait plutôt sur une facturation effective "dans les tous premiers mois de l'année"(3). Outre un report d'application, le secrétaire d'Etat aux transports, Alain Vidalies, annonçait également des modifications dans le mode de répercussion du coût sur les bénéficiaires de la prestation de transport.
Les évolutions apportées par le gouvernement n’ont pas suffit à apaiser la colère de certaines fédérations de transporteurs. La Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR), l’union des entreprises de Transports et de Logistique de France (TLF), l'Union Nationale des Organisations Syndicales des Transporteurs Routiers Automobiles (UNOSTRA) et la Chambre Syndicale du Déménagement (CSD) entendaient rappeler leur opposition totale à la mise en œuvre de ce projet. Suite à ces manifestations prévues le 13 octobre, la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal a décidé de suspendre cette initiative. Le problème qui se soulève alors est celui de la compensation du manque à gagner. En effet le projet de « l’écotaxe » initial devait rapporter plus de 800 millions d’euros, et le « péage de transit poids lourds » environ 500 millions d’euros. Face à l’abandon de ce dernier, la ministre de l’Ecologie soumet plusieurs solutions. Tout d’abord, la contribution les concessionnaires autoroutiers, puis plus récemment la contribution des poids lourds étrangers additionnée à une augmentation du prix du gazole de l’ordre de 4 centimes d’euros le litre. Ces dernières hypothèses font débat. L’autre problème majeur qui découle de cet abandon est l’indemnisation de la société Ecomouv’ qui a engagé plus de 800 millions d’euros dans l’installation d’infrastructures. Pour compliquer le tout, il était prévu que cette société bénéficie d’un dédommagement de 173 millions d’euros pour l'année 2014 sans activité. Le projet qui était censé être bénéfique se transforme en un fardeau financier.

En conclusion, il faudrait réussir à éduquer le public, faire évoluer les mentalités pour que les choix forcés d'aujourd'hui deviennent la norme librement acceptée de demain. La pollution a un prix, qu'il faut faire payer. « Pourquoi ne pas attribuer aux transporteurs routiers des quotas d'émission, comme aux industriels? » (4) comme le soumettent Claude Crampes et Thomas-Olivier Léautier, membres de l’Ecole d’Economie de Toulouse (TSE). D'abord gratuits, afin d'accoutumer les routiers à cette pratique, ces quotas deviendraient progressivement payants.

De nombreuses questions restent en suspens, et ce sujet nécessite la plus grande attention. Qu’adviendra t-il réellement ? La société Ecomouv’ attaquera-t-elle l’Etat devant le tribunal administratif pour non-respect du contrat ?

Il est regrettable que le gouvernement français soit incapable d'anticiper l'avenir, incapable de penser à long terme, à quelques mois d'un sommet crucial sur le climat à Paris; alors que nombre de nos voisins européens, comme l’Allemagne, se sont dotés de dispositifs similaires mettant à contribution les poids-lourds. La France prend encore du retard dans la transition énergétique.


(1) Laurent Radisson. Exit l'écotaxe poids lourds, place au péage de transit. (publié le 23/06/2014) Actu-environnement [en ligne] Disponible sur : http://www.actu-environnement.com/ae/news/ecotaxe-poids-lourds-peage-transit-21995.php4 (Page consultée le 3/10/2014)
(2) Anne Lenormand avec AFP. Péage de transit poids lourds : un décret définit le réseau concerné et un arrêté fixe le taux kilométrique. Locatis.info : le quotidien d’information en ligne des collectivités territoriales (publié le 30/09/2014) [en ligne] Disponible sur : http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250267787246&cid=1250267785011 (Page consultée le 5/10/2014)
(3) Florence Roussel. Péage de transit : une mise en marche "dans les tous premiers mois de l'année 2015". (publié le 26/09/2014) Actu-environnement [en ligne] Disponible sur : http://www.actu-environnement.com/ae/news/peage-transit-poids-lourds-taxe-22775.php4 (Page consultée le 3/10/2014)
(4) L’express. Ecotaxe suspendue : les sociétés d’autoroutes passent à la caisse. (publié le 09/10/2014) [en ligne] Disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ecotaxe-vers-une-taxation-des-societes-d-autoroute_1609879.html
(5) Ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie. Expérimentation du péage de transit poids lourds. (publié le 30/09/2014) [en ligne] Disponible sur : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Experimentation-du-peage-de,39914.html (Page consultée le 5/10/2014)
(6) Le Monde – Economie- Ecotaxe : faire payer les poids lourds étrangers ? (publié le 20/10/2014) [en ligne] Disponible sur : http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/10/20/ecotaxe-faire-payer-les-poids-lourds-etranger_4508762_3234.html
(7) Le Figaro – La suppression de l’écotaxe coûterait 173 millions d’euros, rien qu’en 2014. (publié le 26/10/2014) [en ligne] Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/societes/2014/10/25/20005-20141025ARTFIG00108-la-suppression-de-l-ecotaxe-couterait-173-millions-d-euros-rien-qu-en-2014.php

Références : Décret n° 2014-1099 du 29 septembre 2014 relatif à la consistance du réseau routier national soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, JO du 30 septembre 2014 ; Arrêté du 16 septembre 2014 relatif au taux kilométrique et aux modulations qui lui sont appliqués de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises pour 2015, JO du 30 septembre 2014.