Le 1er avril 2009, des milliers de litres d’acide sulfurique s’échappent des tuyaux de l’usine de traitement de nickel de la Société Vale, se rependent dans un cours d’eau, puis se déversent dans le lagon de Nouvelle-Calédonie à la biodiversité exceptionnelle, tuant des centaines de poissons.

Cinq associations de protection de l’environnement demandent réparation du préjudice écologique pur et la réparation de leur préjudice moral. Elles obtiennent aux termes d’un arrêt de la Cour d’appel de Nouméa du 25 février 2014 (n°11/00187) la condamnation de la société Vale.

Si depuis l’arrêt Erika (Crim. 25 septembre 2012, n°10-82.938) plusieurs juridictions de fond ont intégré le principe de la réparation du préjudice écologique pur, le présent arrêt présente l’intérêt d’apporter une véritable définition de ce préjudice et de le distinguer clairement des préjudices causés à l’homme en reprenant la Nomenclature des préjudices environnementaux (L.Neyret et G. J. Martin, LGDJ, 2012).


1) Sur la réparation du préjudice écologique pur
La société Vale soutient qu’il n’existe aucun effet immédiat, grave et durable de la fuite d’acide sur l’environnement susceptible de donner lieu à réparation au titre du préjudice écologique pur. Selon elle, la fuite n’aurait pas eu d’impact grave sur la flore rivulaire du creek de la Baie Nord, les mangroves côtières à l’embouchure du creek, pas plus que sur le faune marine et les coraux. Qu’enfin, la fuite n’a pas nécessité d’opérations de dépollution, l’acide sulfurique s’étant rapidement décomposé au contact de l’eau.

La Cour rappelle la notion de préjudice écologique qui doit s’entendre comme « l’ensemble des atteintes causées aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures et/ou leur fonctionnement ; que ces préjudices se manifestent par une atteinte aux éléments et/ou aux fonctions des écosystèmes, au-delà et indépendamment de leurs répercussions sur les intérêts humains ». De plus, elle précise que l’atteinte est préjudiciable lorsqu’elle peut être qualifiée, comme en l’espèce, de grave.

C’est ainsi qu’elle constate qu’en l’espèce, la pollution a porté une atteinte aux eaux, aux milieux aquatiques et à leurs fonctions, de façon massive, même si elle a été passagère selon la défenderesse. Selon la Cour d’appel, il résulte des pièces produites la preuve d’une atteinte grave affectant les eaux et milieux aquatiques, leur état et leur potentiel écologique, leurs qualités et leurs fonction écologiques, et que ces atteintes ont nécessairement pris la forme de perturbations biologiques, physiques ou chimiques, certes limitée dans le temps, la pollution ayant eu un impact ponctuel.

Par ailleurs, la Cour d’appel relève que la pollution a détruit dans la zone de la Baie nord toute vie aquatique, bien que selon la défenderesse, cette vie aquatique s’est reconstituée. Il n’en demeure pas moins, qu’il en est résulté une destruction des espèces vivantes et la dégradation d’un habitat et même d’un « écosystème », c’est-à-dire des complexes dynamiques formés de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment des unités fonctionnelles.

Elle en déduit donc qu’il y a bien eu une atteinte aux fonctions écologiques, et par conséquent qu’il existe bien un préjudice écologique pur limité dans le temps et dans l’espace, mais qui n’en est pas moins indemnisable. La Cour condamne alors la société Vale à verser 10 millions de Francs CFP au titre de la réparation du préjudice écologique pur.

Il convient de noter que la Cour retient une évaluation du préjudice avec un montant global et non un montant de préjudice pour chaque poste de préjudice identifié, elle considère que le préjudice écologique a été causé globalement à un écosystème et à ses fonctions.


2) Sur la réparation des préjudices causés à l’homme.

Les associations, de défense de l’environnement et de la biodiversité, se prévalent d’un préjudice collectif personnel et direct en invoquant explicitement un préjudice moral qu’elles subissent du fait que leur objet social se trouve lésé par la pollution.

La Cour d’appel précise que les préjudices causés à l’homme s’entendent de l’ensemble des préjudices collectifs et individuels résultant pour l’homme d’un dommage environnemental ou de la menace imminente d’un dommage environnemental. Entrent alors dans cette catégorie, les atteintes aux services écologiques ou encore les atteintes à la mission de protection de l’environnement des associations. Ce dernier préjudice se caractérise par l’anéantissement des efforts que ces personnes ont déployés pour accomplir leur mission, en présence d’un dommage ou d’une menace imminente de dommage environnemental.

A ce titre la Cour d’appel considère que ce préjudice est d’autant plus vivement ressenti que l’on se situe dans un milieu naturel d’exception avec un lagon classé au patrimoine mondial de l’humanité en 2008, et que la Nouvelle-Calédonie est un lieu essentiel pour la protection de la biodiversité mondiale. L’un des six sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco se trouve à proximité de la zone impactée par la pollution.

De plus, la Cour d’appel souligne le comportement désinvolte de l’industriel qui n’a manifestement rien fait dans l’immédiat pour tenter de limiter les effets de cette pollution.

Ainsi, la Cour considère que les associations peuvent, pour l’appréciation de leur préjudice personnel, se prévaloir de l’impact sur l’ensemble du milieu naturel concerné. Elle condamne alors la société Vale à verser la somme de six millions de Francs CFP, à chacune des cinq associations partie civiles, au titre de la réparation des atteintes à la mission de protection de l’environnement, improprement qualifié de préjudice moral écologique par les associations.

Enfin, comme le font remarquer L. Neyret et G. J. Martin (Recueil Dalloz 2014 p669), le présent arrêt de la Cour d’appel ne précise rien quant à l’affectation des sommes allouées par l’industriel aux associations de protection de l’environnement.



Sources :

Préjudice écologique : première application de l’Eco-nomenclature ; L. Neyret et G. J. Martin, Recueil Dalloz 2014 p669.

Reconnaissance d’un préjudice causé à l’environnement ; Blog Huglo-lepage, article publié le 26 mars 2014.