Dans le domaine du droit de l'environnement, la démarche de droit comparé, c'est-à-dire « une étude comparative de deux ou plusieurs Droits émanant de souverainetés différentes » (1) peut être particulièrement intéressante.

En effet, ce droit répond à des problématiques qui se posent souvent à une échelle globale, au-delà des frontières étatiques. L'approche de droit comparé peut également être pertinente dans une optique de recherche d'efficacité, un souci de pragmatisme. En effet, l'étude de mécanismes déjà mis en place dans d'autres États, si possible depuis plusieurs années, permet d'évaluer leur réussite (par opposition à une législation récente), ainsi que leur capacité à résoudre les problèmes sur le long terme.

Si la réussite d'une législation à l'étranger n'est pas toujours un gage de son efficacité en France, cela offre tout de même des perspectives de réflexion pour le législateur. Et cela d'autant plus que depuis la loi organique du 15 avril 2009 (2), tout projet de loi doit être accompagné d'une étude d'impact réalisée par le Gouvernement. Dans le cadre de ces études d'impact, il est fréquent de trouver des références aux mécanismes similaires existant dans d'autres États, notamment membres de l'Union européenne (3).

On tentera donc de comparer la loi CERCLA à ce qui se fait en matière de législation sur les sols pollués en France, tout d'abord en présentant le fonctionnement de la loi CERCLA (1), et en identifiant ses points forts et ses limites (2). Suivra une présentation de la législation française (3).


1. Présentation de la loi CERCLA

Le Superfund a été créé dans le cadre du Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act de 1980 (CERCLA).

C'est souvent à la suite d'un scandale en matière environnementale que la législation change, et le Superfund n'y fait pas exception. Il a été adopté en réaction à des abus en matière de déchets toxiques, avec par exemple l'affaire du Love canal à New York, au milieu des années 1970 : la ville de Niagara Falls se développe, et des constructions, notamment deux écoles, sont érigées sur un ancien site de décharge de déchets toxiques, y compris des déchets nucléaires. Quelques années plus tard, la population de Niagara Falls développe des maladies graves, notamment chez les enfants. En 1978, le président Carter dut déclarer un état d'urgence et faire évacuer la ville, avec un scandale médiatique très important.

C'est ce qui a mis en évidence la nécessité de retenir la responsabilité des entreprises polluantes, ce qui a abouti à l'adoption de la loi CERCLA en 1980.

CERCLA fonctionne de la manière suivante : la législation met en place une taxe pour toutes les entreprises polluantes qu'elle désigne, et le produit de cette taxe est attribué à un « super fonds » (Superfund). Ce fonds peut être utilisé par l'EPA, l'agence de protection de l'environnement, qui est une agence indépendante fédérale. Il l'utilise pour dépolluer le sol de sites présentant des risques pour l'environnement et la santé humaine, qu'il identifie dans une liste.

CERCLA autorise deux types d'actions :
1. Les actions de court terme, qui correspondent à des situations d'urgence ou de dangerosité particulière, par exemple pour les risques très localisés, comme le retrait de quelques bidons abandonnés, ou la dépollution de sols présentant un risque particulièrement important pour la santé humaine ;
2. Les actions correctives, qui sont plutôt sur le long terme, et sans condition d'urgence : dans ce cas, le but est plutôt de chercher à réduire de manière permanente le risque posé par le rejet de substances. Il s'agit encore de mesures de prévention du déplacement de produits polluants, ou la neutralisation de substances toxiques. Ces actions ne peuvent être mises en œuvre que sur les terrains listés dans la Liste des priorités nationales (National Priorities List, NPL), établie par l'EPA.

Mais l'EPA ne supporte le coût de la dépollution que dans le cas où il est impossible de déterminer un responsable. Dans la plupart des cas, 70 % des coûts de dépollution au moins ont été pris en charge par :
le propriétaire ou exploitant actuel du site
le propriétaire ou exploitant du site au moment de la pollution
une personne qui a prévu de décharger une substance dangereuse ou polluante sur un site
et enfin le transporteur, si ce dernier avait prévu de décharger la substance en question sur le site.

Dans la pratique, le fonds ne contient souvent pas assez d'argent pour permettre en entier la dépollution du site, et c'est pourquoi l'EPA recherche donc systématiquement la responsabilité des personnes ou entreprises qui ont causé la pollution. Il s'agit alors de « potential responsible parties », des responsables potentiels, tels que décrits précédemment. L'EPA leur demande la plupart du temps de prendre en charge eux-mêmes la dépollution, à leurs frais.

Le fonds sera utilisé en complément, s'il est impossible d'identifier un responsable potentiel, ou s'il est insolvable.


2. Forces et faiblesses de CERCLA

Après un peu plus de trente ans, est-ce que la législation a été efficace ? Dans un premier temps, le fonds a permis de collecter 1,6 milliards de dollars, qui ont servi à la dépollution des sols dans les zones identifiées dans la liste des priorités nationales. Mais cette taxe n'est plus collectée depuis 1995, et le fonds a été épuisé en 2003. Désormais, quand on n'arrive pas à identifier le responsable, le coût de la dépollution est tiré du budget général adopté par le Congrès.

Mais il a quand même permis la dépollution de sites particulièrement dangereux pour la santé humaine, et il a permis de collecter une quantité importante d'informations, qui sont traitées par l'EPA, dans le cadre de la liste des sites les plus pollués : l'EPA a pu identifier un nombre important de sites à risque et mettre en place une surveillance régulière.

Le risque est celui d'un essoufflement, comme on a pu le voir avec CERCLA. Même si une loi a été adoptée en 1986 pour l'amender et réautoriser le prélèvement de la taxe, aujourd'hui, elle n'est plus collectée et on est revenu à un système où les dépenses additionnelles sont supportées par le budget général voté par le Congrès, c'est à dire par le contribuable plutôt que directement par les entreprises polluantes. Les événements médiatiques comme le naufrage de l'Erika ont pu permettre de faire changer les choses, mais il faut éviter que les mécanismes de réparation environnementale efficaces et contraignants ne soient progressivement oubliés lorsque ce type d'événements ne fait plus l'actualité.


3. Des enseignements à retenir en droit français ?

La taxe générale sur les activités polluantes, ou encore la taxe , qui pourrait être comparée par son objet à la taxe du Superfund, et qui pèse également sur les activités polluantes. Mais le produit des taxes environnementales qui existent aujourd'hui est comptabilisé au titre des recettes du budget général de l'Etat, selon le principe d'unicité des finances publiques. Ainsi, le principe pollueur-payeur, qui est appliqué de manière immédiate aux Etats-Unis dans la mesure où les fonds versés sont directement réutilisés pour des activités de dépollution, est appliqué de manière plus indirecte en droit français. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le rapport Jégouzo préconise un mécanisme de « fonds de réparation environnementale » très similaire au Superfund américain.

A ce titre, l'initiative française est intéressante dans le sens d'une comparaison avec le droit américain, d'autant plus que le rapport prévoit également la création d'une « haute autorité » qui aurait compétence, à égalité avec les collectivités et d'autres acteurs, pour mettre en œuvre la responsabilité et gérer le fonds. L'idée est très similaire à ce qui se trouve dans la loi CERCLA.

Plus récemment, les dispositions contenues dans la loi ALUR (5) en termes de sols pollués ont repris une partie des mécanismes de la loi CERCLA.



_________________________________

(1) Vocabulaire juridique, G. Cornu, 8e édition, éd. Puf

(2) Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009, relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

(3) Pour une illustration, le site de l'Assemblée nationale recense les projets de loi dont l'étude d'impact est ouverte à contribution http://etudesimpact.assemblee-nationale.fr/

(4) 42 U.S.C. §9601 et seq.

(5) LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové