L’évaluation des risques est l’élément fondamental de l’approche européenne de prévention des risques professionnels. En effet, l’évaluation des risques constitue le début de l’approche de gestion de la santé et la sécurité, si elle n’est pas effectuée correctement, il est alors peu probable que des mesures de prévention appropriées soient identifiées et mises en place.

De manière générale, l’évaluation des risques est un processus dynamique permettant aux entreprises de tous types et de toutes tailles et aux organisations de mettre en place une politique proactive de gestion des risques sur le lieu de travail.

Cette obligation d’évaluer a priori les risques professionnels est une création de la directive-cadre 89/391 et a souvent été transposée en droit interne en deux étapes, une seconde règlementation spécifique à l’évaluation des risques venant souvent préciser ou compléter une première loi très générale sur la prévention des risques professionnels.

Si l’influence de la réglementation européenne permet d’orienter les Etats membres vers l’adoption d’étapes clés communes pour évaluer les risques professionnels, les approches de la démarche ne sont pas pour autant identiques.


a. Les différentes approches de l'évaluation des risques

Le législateur français a intégré l’obligation d’évaluer les risques professionnels par le biais des articles L4121-1 à L4122-2 du code du travail. Le dispositif réglementaire a été renforcé par le décret n°2001-1016 du 5 novembre 2001 portant création d’un document unique et complété par une circulaire d’application datée du 18 avril 2002.

Selon l’Institut national de Recherche et de Sécurité (INRS) (1), différentes approches d’analyse des risques a priori existent, il s’agit notamment :
- Approches de type « normative » reposant sur l’utilisation d’un référentiel. Il s’agit alors de porter un jugement de conformité ;
- Approches de type ergonomique par l’analyse des postes de travail. Elles se fondent sur l’observation, des entretiens et des mesures ;
- Approches de type « sûreté », essentiellement appliquées à des systèmes techniques complexes.

L’évaluation a priori, faite par l’employeur au niveau de l’entreprise, consiste à identifier les dangers et à analyser les conditions d’exposition à ces dangers. L’idée étant vraiment d’évaluer le risque avant que se produise l’accident, l’évaluation doit conduire à éviter et/ou réduire les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

L’Espagne et l’Allemagne ont une démarche d’évaluation des risques semblable à celle adoptée par la France avec une volonté d’évaluer tous les risques identifiés dans l’entreprise afin de choisir des actions préventives appropriées pour préserver la santé et la sécurité des salariés. On est vraiment dans une démarche d’évaluation des risques dynamique et évolutive.

A titre de précision concernant la réglementation espagnole (2), L’évaluation des risques s’intègre dans un plan de prévention des risques professionnels en tant qu’outil du système général de gestion de l’entreprise. Ce plan de prévention contribue à éviter la survenance des risques professionnels, à évaluer les risques, à combattre les risques dès leurs origines, à adapter le travail à la personne et à tenir compte de l’évolution des techniques. L’employeur engage sa responsabilité en mettant en place ce plan de prévention et en veillant à son application réelle à toutes les activités de l’entreprise et à tous les niveaux hiérarchiques. La démarche de prévention des risques professionnels sera mise en œuvre dans les unités de travail pour lesquels des risques ont été identifiés suite à une évaluation des risques. Cette évaluation doit prendre en compte, d’une part les risques liés aux conditions de travail (caractéristiques des postes de travail, de l’environnement de travail, des équipements, des procédures, etc.) et d’autres part, ceux liés aux travailleurs eux-mêmes, c’est-à-dire en fonction de leurs caractéristiques personnelles et de leurs connaissances.

C’est surtout la démarche d’évaluation des risques dans les entreprises britanniques qui se différencie par une approche « coûts/bénéfices », conséquence de la conception juridique de l’obligation de sécurité de l’employeur (3). Le principe « so far as is reasonably practicable » (SFAIRP) s’applique à l’évaluation des risques professionnels et implique alors la prise en considération des coûts financiers des mesures de prévention qui résulteraient de l’évaluation.

Concrètement, selon le principe SFAIRP, il y a trois niveaux de risques (4) :
- La zone de risque intolérable : le risque est inacceptable, et quel que soit le niveau de bénéfice apporté par l’activité, le risque doit être réduit ;
- La zone de risque tolérable : le risque est indésirable et des mesures de réduction doivent être mises en œuvre sauf s’il est possible de démontrer que le coût de la réduction du risque est disproportionné par rapport à l’amélioration possible ;
- La zone de risque globalement acceptable : le risque est accepté et aucune mesure de réduction n’est envisagée, il y a seulement une mise en œuvre des moyens éventuellement disponibles dans l’entreprise pour le réduire.
On remarque donc que c’est dans la zone de risque tolérable que le principe SFAIRP prend tout son sens.

Enfin, concernant le défaut d’évaluation des risques, seuls l’Espagne et la France ont prévu des sanctions en cas de manquement à l’obligation d’évaluation des risques professionnels dans leurs réglementations. Ainsi, en Espagne, la loi sur la prévention des risques professionnels du 8 novembre 1995 dispose à l’article 47 que le défaut d’évaluation ou de formalisation constitue une faute grave punissable d’une amende de 1500 à 3000 euros. En France, depuis le décret du 5 novembre 2001, des sanctions pénales peuvent être infligées aux employeurs qui ne respectent pas leur obligation d’évaluation des risques, une amende de 1500 euros est prévue et « appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs directement exposés à une situation dangereuse » (R4741-2 du code du travail). De plus, une amende maximale de 1500 euros peut être prononcée à l’égard de l’employeur en cas de non-respect de son obligation de formaliser l’évaluation des risques dans le document unique.


b. Les étapes clés
L’évaluation des risques professionnels se déroule en une série d’étapes logiques mettant en œuvre divers outils.

La réglementation française ne détaille pas précisément le déroulement d’une évaluation des risques, mais à partir des expériences menées par les organismes de la Sécurité sociale, l’INRS propose d’aborder l’évaluation des risques par une démarche en quatre étapes :
- La préparation de l’évaluation par la constitution d’un groupe de travail. Ce dernier aura pour mission de définir le champ d’intervention, l’organisation, la méthode d’évaluation appropriée à l’entreprise ainsi que le mode de diffusion des résultats.
- L’identification des risques, soit repérer les dangers et se prononcer sur l’exposition à ces dangers.
- La classification des risques selon deux objectifs principaux : dégager des priorités et proposer une planification.
- La proposition d’actions de prévention à partir du classement des risques.

A l’instar de l’INRS, le Health and Safety Executive au Royaume-Uni préconise différentes étapes pour mener à bien une évaluation des risques :
- L’identification des risques ;
- Déterminer les salariés concernés par ces risques et la manière dont ils sont impactés ;
- Evaluer les risques et décider des actions de préventions à mettre en place ;
- Enregistrer les résultats de l’évaluation des risques.

Bien que l’on retrouve la même intention de prévention, on peut noter l’absence de classification des risques dans la démarche d’évaluation britannique. Il en est de même en Allemagne, bien que la réglementation (5) ne précise pas les différentes étapes de l’évaluation des risques, la pratique reprend dans l’ensemble les mêmes principes, dont l’identification et des risques et la mise en place d’action de prévention.

La particularité de l’Espagne est l’intégration de l’évaluation des risques dans un plan de prévention. Ainsi, selon la loi de prévention des risques professionnels de 1995, les principales étapes du plan de prévention sont :
- Analyse générale des caractéristiques globales de l’entreprise, comprenant notamment les procédés de production, le nombre de salariés et leurs conditions de travail ou encore le système de management mis place ;
- Le système de prévention des risques professionnels mis en place. Il s’agit aussi de décrire la corrélation des différentes unités de l’entreprise associées à la prévention des risques en matière de santé et sécurité au travail, et le rôle de chacune. C’est dans cette partie que s’intègre l’évaluation des risques mais aussi les actions de prévention.
- La mise en œuvre du plan de prévention.

Il est important de souligner que l’ensemble des réglementations ont en commun une étape : celle de la mise à jour régulière de l’évaluation des risques, notamment en cas d’aménagements importants modifiant les conditions de travail comme l’introduction de nouveaux procédés, de nouveaux équipements ou encore lorsqu’un incident ou accident se produit ou est évité. Les guides du Health and Safety executive préconisent de planifier une révision de l’évaluation à intervalles réguliers.

Quelque soient les approches mises en œuvre pour l’évaluation des risques, l’Agence européenne (6) pour la sécurité et la santé au travail a déterminé des facteurs de réussite de base pour une évaluation efficace :
- Une évaluation des risques détaillée ;
- Une grande motivation de la part d’un groupe important et puissant (tel qu’un service ou encore l’employeur)
- Un soutien de l’encadrement supérieur afin d’assurer la mobilisation des ressources nécessaires ;
- L’implication des acteurs pertinents, notamment les travailleurs eux-mêmes, les ressources humaines, le service financier ou encore les praticiens de la santé et la sécurité au travail. Il s’agit d’une implication, non seulement dans l’analyse du risque mais aussi au cours du processus d’identification et de mise en œuvre des solutions possibles ;
- Une bonne analyse et connaissance des solutions potentielles efficaces, des meilleures pratiques et innovations scientifiques et technologiques disponibles ;
- Une atmosphère de confiance et de coopération parmi les acteurs clés impliqués dans le processus d’évaluation des risques ;
- L’absence d’obstacles majeurs à l’adoption de mesures de prévention ou de protection.



Références :
(1) Publication INRS: ED 5018 - L’évaluation des risques professionnels, 2ème édition, juillet 2012
(2) Article 2 de la loi de prévention des risques professionnels du 8 novembre 1995; Article 2 du règlement relatif aux services de prévention du 19 mai 2006
(3) Health and Safety act Work Act 1974
(4) Analyse des risques des systèmes de production industriels et de services, J-M FLAUSS. Ed 2013, p39 et suivantes
(5) Arbeitsschutzgesetz (ArbSchB) du 7 août 1996.
(6) Rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : Evaluation, élimination et réduction significative des risques professionnels