A. Le choix de l'urbanisation extensive au détriment de la protection de l'environnement

Depuis 1995, année de l’explosion de la construction et de l’urbanisme, le littoral espagnol de Barcelone à Cadix est victime d’une urbanisation incessante et sans limite. Le quotidien El mundo chiffrait en 2007 qu’il s’était construit sur le littoral l’équivalent de trois terrains de football par jour.

Cette urbanisation s’effectue au détriment des paysages et bien souvent en infraction totale avec les réglementations d’urbanisme et de protection de l’environnement.

La loi Littoral (Ley de Costas) de 1988 interdit toute construction à moins de 100 mètres de la mer, cependant il est régulièrement contrevenu à cette réglementation. La commune de Carboneras (Almeria) a en effet concédé en 2003 un permis de construire au promoteur Azata del Sol pour construire l’hôtel El Algarrobico, un énorme complexe de 20 étages et de 411 chambres, à 50 mètres de la mer méditerranée et en plein milieu du Parc naturel protégé et candidat à l’entrée en zone Natura 2000 de Cabo de Gata. Le projet final était l’édification de sept hôtels, 1 500 appartements et un terrain de golf.


B. La bataille judiciaire incertaine

La construction a été dénoncée par de nombreux écologistes et en février 2006, alors que l’hôtel était presque achevé, le tribunal d’Almeria a suspendu les travaux pour entrave à la loi Littoral et pour travaux dans une zone non constructible. D’autres décisions judiciaires en 2007 et 2008 ont ensuite ordonné la démolition du bâtiment litigieux et l’annulation du permis de construire.

La validité de ces décisions judiciaires a été contestée aux motifs que le projet de construction préexistait à la décision ayant inclue la zone litigieuse dans le parc naturel de Cabo de Gata, en 1994, et que le projet a été régulièrement accepté en 2003, comme le démontre l’octroi du permis de construire. La mairie de Carboneras et le promoteur immobilier ont fait appel de la décision.

Les défenseurs du projet ont également dans leur camp la population locale. En effet, le litige a lieu en Andalousie, l’une des régions espagnoles les plus touchées par la crise connaissant un taux de chômage extrêmement élevé. Or, la seule construction de l’hôtel a créé 200 emplois parmi les ouvriers du village pendant trois ans.

Suite à ces décisions de cessation du projet, la destruction de l’hôtel n’a finalement jamais été mise en œuvre. La question de la validité du permis de construire est restée en suspens – une décision de la plus haute juridiction espagnole (el Tribunal Supremo) ayant toutefois décidé en 2012 que l’hôtel empiétait partiellement sur la propriété publique, maritime et terrestre - jusqu’à la décision du 30 juillet 2014 de la Cour d’Appel d’Andalousie (Tribunal Superior de Justicia de Andalucia). La juridiction a tranché en faveur de la légalité du permis de construire concédé en 2003. Selon les juges, le permis a été octroyé conformément au plan d’urbanisme en vigueur, et ne viole ni la loi littoral, ni la réglementation de protection de la réserve naturelle de Cabo de Gata. Cette décision n’est pas susceptible de pourvoi en cassation par les parties privées. Plusieurs associations écologistes envisagent cependant un recours devant le Conseil Constitutionnel espagnol et un pourvoi en cassation pour violation de la loi va être exercé par le Conseil Régional Andalou, fermement opposé à la mise en œuvre du projet considéré comme un « attentat contre l’environnement ».

Il reste par ailleurs aux juges à statuer sur la constructibilité ou non du terrain sur lequel a été édifié l’hôtel.

Le sort du projet semble toutefois avoir été scellé par la décision du Conseil régional d’Andalousie d’acquérir le fonds – le promoteur en demande 70 millions d’euros - afin de procéder à la destruction de l’hôtel. Le transfert devrait avoir lieu le 12 septembre prochain, sous réserve que le promoteur immobilier accepte de s’y résoudre et que la vente ne soit pas annulée a posteriori par une décision judiciaire.


C. Le symbole de la lutte contre l'urbanisation extensive

Le cas de l’hôtel Algarrobico, qui n’est pourtant qu’un parmi de nombreux autres projets d’ouvrage touristique sur les plages espagnoles voyant le jour chaque année, a été choisi comme le symbole de la lutte contre ce phénomène par les écologistes ; les militants de Greenpeace ont occupé l’hôtel en novembre 2005, et la prise de partie par les pouvoirs publics ont amplifié le phénomène. L’opposition entre la municipalité et le Conseil régional met en lumière le choix auquel doit faire face le pays, à savoir favoriser l’économie en difficulté et la promotion du tourisme ou la nécessaire protection de l’environnement.
L’Union européenne n’est pas restée indifférente à l’affaire. Suite à un grand nombre de pétitions reçues, le 20 février 2009 le Parlement européen a publié un rapport concernant l’impact de l’urbanisation extensive en Espagne sur les droits individuels des citoyens européens, l’environnement et l’application du droit communautaire (1). Ce dernier appelle notamment les institutions européennes à « conseiller et soutenir les autorités espagnoles afin de leur donner les moyens de surmonter réellement l’impact désastreux de l’urbanisation massive sur la vie des citoyens » et rappelle que l’article 91 du règlement CE n° 1083/2006 (2) autorise la Commission à interrompre un financement structurel et que l’article 92 l’autorise à suspendre ou à corriger un financement vis-à-vis d’un Etat membre pour les financements pour lesquels il apparait ultérieurement qu’ils n’ont pas entièrement respecté les règles régissant l’application de la législation communautaire en la matière.

(1) Rapport n° 2008/2248(INI)
(2) portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion