La France, ainsi que la plupart des pays de l'Union européenne, ont mis en place des stations d'épuration dans le cadre de la préservation de la qualité des eaux naturelles. Celles-ci génèrent, toutefois, un sous-produit inévitable qui sont les boues d'épuration et dont l'élimination fait partie des problèmes environnementaux actuels.

L’accroissement régulier du volume des boues générées par le traitement des eaux, lié à la fois au développement démographique et à l’extension urbaine représente des contraintes de plus en plus fortes pour les municipalités. La valorisation organique des boues de stations d'épuration urbaines (STEP) constitue ainsi une solution intéressante pour les collectivités.

Les prescriptions réglementaires encadrant l’utilisation des boues sont basées sur le principe de précaution et de traçabilité.
Cette pratique de l’épandage est très ancienne et a un double objectif qui est celui de « mettre à profit les capacités biologiques naturelles des sols pour « digérer » les boues et en réintroduire les éléments dans les cycles naturels et de valoriser les propriétés fertilisantes des boues pour les cultures agricoles ».

Il fait intervenir toute une chaîne de professionnels, depuis le producteur de boues, le transporteur, l'entreprise qui réalise l'épandage jusqu'à l'agriculteur.
Il ne peut être réalisé sans la mise en place, localement, d'un plan d'épandage ainsi que de moyens d'analyse, de prévision et de contrôle du respect des bonnes pratiques agricoles.

Il convient ainsi de s’intéresser au statut juridique des boues d’épuration (I) avant d’en constater les enjeux (II).

I. Le statut juridique des boues d’épuration

Longtemps définie comme un déchet (A), la boue d’épuration dispose d’un nouveau statut qui la consacre aujourd’hui comme un produit (B). L’épandage de ces matières sur des parcelles agricoles ou forestières est soumis à un encadrement réglementaire très strict (C).

A. Les boues considérées comme des déchets

La reconnaissance du statut de déchets aux boues issues du traitement des eaux usées est affirmée tant au plan européen (1) que national (2).

1. La réglementation européenne

Les « boues» issues du traitement des eaux usées domestiques ont un statut de déchet selon la Commission européenne, y compris lorsqu'elles sont mélangées à d'autres déchets ou produits.

La Directive européenne n° 91-271 du conseil du 21/05/91 relative au traitement des eaux résiduaires urbaines impose ainsi en son article 14 d’assurer une bonne gestion des boues d’épuration et affirme que « les boues d'épuration sont réutilisées lorsque cela s'avère approprié. Les itinéraires d'évacuation doivent réduire au maximum les effets négatifs sur l'environnement. ».

2. La réglementation nationale

Les articles R. 211-25 à R. 211-47 du Code de l’Environnement et l’arrêté du 8 janvier 1998 pris en application de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 viennent clarifier la réglementation française en matière d’épandage des boues issues du traitement des eaux usées urbaines. Les boues issues du traitement des eaux usées domestiques relèvent de la nomenclature « déchets ». A ce titre, elles relèvent soit de la législation sur l'eau soit de celle des installations classées.

Au titre de la législation sur l'eau, les boues, pour être utilisées, doivent présenter un intérêt pour le sol ou pour la nutrition des cultures et des plantations. Elles doivent avoir fait l'objet d'un traitement visant à la réduction de leur pouvoir fermentescible et des risques sanitaires liés à leur utilisation.

Au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), des dispositions spécifiques aux stations d'épuration, aux installations de compostage ou de méthanisation peuvent soumettre ces activités, considérées pour certains comme ayant un impact sur l'environnement, à un régime d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration.
La qualification de déchet des boues d'épuration n'est cependant pas définitive. Celles-ci peuvent dans certains cas relever du statut de produit.

B. Les boues considérées comme des produits

Les boues d'épuration peuvent être qualifiées de produits si elles sont homologuées ou autorisées par arrêté ou conformes à une norme. Elles pourront ainsi être homologuées ou autorisées dès lors qu'elles se révèlent sans effet sur l'homme et l'environnement et que leur efficacité est prouvée.

Les boues d'épuration peuvent aussi répondre à des normes AFNOR lorsqu’elle entre dans la composition de composts répondant à la norme NFU 44-095 par exemple. Si elles ne respectent pas cette norme, cette boue reste déchet et sera éliminée par incinération ou enfouissement.

C. Une activité reglementée et encadrée

La réglementation impose dans tous les cas une étude préalable systématique quelle que soit la quantité de boues mise en jeu. Cette étude doit préciser les caractéristiques des boues, analyser les contraintes liées aux milieux récepteurs, caractériser les sols et les systèmes de culture récepteurs et définir les conditions d'épandage dans le respect de la réglementation. Les parcelles réceptrices doivent être identifiées de manière prévisionnelle avec accord de l'exploitant agricole récepteur.

Les producteurs doivent, de plus, tenir à jour un registre indiquant la provenance et les caractéristiques des boues, les dates d’épandage, les quantités épandues, etc., afin d’assurer la traçabilité des épandages. Les producteurs de boues doivent assurer la surveillance de la qualité des boues et des sols.

Des organismes indépendants du producteur des boues peuvent être chargés du suivi général des épandages.

Par ailleurs, l’enregistrement des pratiques d’épandage (parcelles épandues, caractéristiques des boues, des sols …) dans le « Registre d’épandage » dont une synthèse doit être transmise au préfet tous les ans, qui est chargé d’en assurer le contrôle, et l’original conservé par le producteur de boues pendant 10 ans.

En France, l’épandage est interdit selon les saisons notamment en hiver en présence de gel ou de neige.

II. Les enjeux de la valorisation des boues d’épuration

Le recours à des boues traitées bien que permettant la valorisation des déchets présentent des enjeux environnementaux et sanitaires (A), pouvant entrainer la responsabilité du producteur de boue (B).

A. Les enjeux environnementaux de la réutilisation des bouées traitées

Bien que les boues d'épuration possèdent des propriétés fertilisantes, leur épandage est suspecté d'entraîner des risques pour la santé humaine et l'environnement. En effet, le compostage ne peut éliminer les métaux lourds (exemple du mercure) ni les polluants organiques ou organométalliques faiblement biodégradables (dioxines, PCB, certains pesticides, etc.).
Ils persistent dans le compost notamment si ce dernier est réalisé à partir de matières polluées ou souillées. Le risque est a priori plus élevé là où des rejets médicaux, artisanaux et industriels sont rejetés sans contrôle dans les réseaux d’assainissement collectif. Par exemple en France, la seule collecte des amalgames dentaires a beaucoup fait diminuer le taux de mercure dans les boues urbaines.

Toutefois, les boues sont souvent chaulées, ce qui limite, dans une certaine mesure, la biodisponibilité des métaux.

En France, une cellule de veille sanitaire vétérinaire sur les épandages de boues d’épuration a été créée en 1997, cofinancée et animée par l’ADEME avec l'École nationale vétérinaire de Lyon. L'évaluation du danger potentiel de l'épandage agricole des boues est difficile.

II importe également de veiller au danger de contamination des ressources en eau. Ce risque concerne surtout les eaux superficielles exposées au ruissellement.

Pour sécuriser ou mieux valoriser la production de boues, diverses alternatives sont testées ou autorisées tels que la gazéification, le pyrolyse, la méthanisation, l’oxydation par voie humide, le séchage solaire, le brûlage en cimenterie, l’incorporation et l’inertage dans des matériaux de construction.

B. La responsabilité du producteur en présence de pollution des sols

La responsabilité du producteur de boues diffère selon le statut de la boue épandue. En effet concernant la boue disposant du statut juridique de « produit », la responsabilité du producteur de boue s'étend jusqu'à sa mise sur le marché de celle-ci.

Quant à la boue disposant du statut juridique de « déchet », la responsabilité du producteur de boue s'étend jusqu'à l'épandage. L'article L 541-2 du Code de l'environnement dispose en effet que le producteur de déchets est responsable de leur gestion jusqu'à leur élimination ou valorisation finale.

La responsabilité de l'exploitant agricole peut cependant être recherchée sur le fondement du droit commun à savoir les articles 1382 et 1384 du Code civil, voire sur le fondement du droit spécial (droit applicable dans une situation précise) des troubles anormaux de voisinage.

A ce jour, et sous réserve de modifications apportées par la loi d'avenir pour l’agriculture votée le 24 juillet 2014, le propriétaire bailleur ne peut insérer dans le bail des clauses interdisant l'épandage de boues ou soumettant leur épandage à autorisation du propriétaire. Des litiges peuvent ainsi naître entre bailleurs et preneurs et/ou entre acheteurs et vendeurs.

Pour permettre l'indemnisation des risques liés à l'épandage agricole des boues d'épuration, le législateur a toutefois créé un fonds de garantie alimenté par une taxe assise sur la quantité de matière sèche de boues produites.

Pour conclure, il serait ainsi souhaitable que cette valorisation des boues des stations d’épuration soit accompagnée d'études complémentaires sur le terrain, afin de vérifier d'une part que les valeurs maximales fixées garantissent effectivement la sécurité alimentaire, et d'autre part que l'épandage n'a pas impact négatif sur la fertilité des sols.


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Références:

1. Directive n° 2008/98 parue le 19/11/08
2. Bilan d’activité de la cellule de veille sanitaire vétérinaire, janvier 2006 à janvier 2008, disponible sur le site de l’ADEME.
3. Proposition du 30 avril 2003 d’une directive du Parlement européen et du Conseil concernant l’épandage des boues sur les terres,
4. Communication obligatoire au préfet de la synthèse du registre d’épandage (R 211-34 § II du CE), du programme prévisionnel d’épandage et du bilan agronomique (R 211- 39 du CE)
5. Le décret n° 2009-550 du 18 mai 2009 (art. 2) relatif à l'indemnisation des risques liés à l’épandage des boues d’épuration urbaines ou industrielles impose aux producteurs de boues de transmette des informations statistiques à l’autorité administrative sous format électronique (art. R 211-34 §V du CE). Un arrêté ministériel précisera les données à transmettre et les modalités de transmission. Ces données seront traitées par la police de l'eau
6. Actu-environnement, Les boues d'épuration étaient des déchets soumis à la TGAP
7. http://www7.inra.fr/
8. http://www.ademe.fr/
9. http://www.developpement-durable.gouv.fr/
10. http://www.centre-antipoison-environnemental.com/ Les boues d’épuration
11. Loi d’avenir agricole adoptée le 24 Juillet 2014