I. La résistance aux antibiotiques : un véritable enjeu de santé publique

A. L’antibiorésistance en questions

Qu’est-ce que la résistance aux antibiotiques ? Selon l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies), le phénomène d’antibiorésistance apparait lorsque les antibiotiques spécifiques ne sont plus en mesure d’inhiber la croissance des bactéries ou de les tuer. Certaines bactéries sont naturellement résistantes à certains antibiotiques : c’est la résistance intrinsèque ou résistance inhérente. Par ailleurs, certaines bactéries normalement sensibles aux antibiotiques deviennent résistantes en raison de modifications génétiques : c’est la résistance acquise. Les bactéries survivent malgré la présence des antibiotiques et continuent à se multiplier.

La résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel dû à des mutations au niveau des gènes des bactéries. Cependant, le recours abusif et inapproprié aux antibiotiques accélère l’émergence et la propagation des bactéries résistantes.

L’association UFC-Que Choisir donne deux causes à l’amplification du phénomène : D’abord la baisse considérable de la recherche de nouvelles molécules en raison de son coût et de sa mauvaise rentabilité. En conséquence, on ne découvre plus de nouvelles familles d’antibiotiques, on est donc démuni lorsqu’une molécule devient résistante. Ensuite et surtout, c’est l’utilisation massive des antibiotiques, à la fois en médecine humaine et en élevage qui a favorisé la résistance de nombre de bactéries.
Les conséquences, ne touchant à l'origine que les hôpitaux, s’étendent désormais à l’ensemble de la population, pour des pathologies de plus en plus banales comme des infections urinaires.
En Europe, la résistance est désormais considérée comme un véritable enjeu de santé publique croissant dans les collectivités et les hôpitaux européens.

B. L'intervention des pouvoirs publics

En réaction à ce phénomène, le Conseil de l’Union Européenne a émis une recommandation en 2001 demandant aux Etats Membres de mettre en place des incitations à la prudence en matière d’utilisation des antibiotiques (1). En réponse, certains pays ont lancé des plans nationaux. La France a émis un plan pluriannuel 2001-2005 prolongé par le plan 2007-2010. Les objectifs de ces plans gouvernementaux sont d’arriver à la maitrise et à une prescription rationalisée des antibiotiques pour en préserver l’efficacité. Enfin, dans la continuité de ces deux plans nationaux, le plan national d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016 a pour objectif de lutter contre le développement des résistances aux antibiotiques et contre le nombre croissant de situations d’impasse thérapeutique rencontrées. L’association UFC-Que Choisir pointe du doigt le défaut d’effet contraignant de ces différents plans et recommandations.

En matière d’élevage, a été élaboré le plan EcoAntibio (2) concernant l’usage vétérinaire. Il s’agit d’un plan pluriannuel mis en place par le ministère en charge de l’agriculture qui prévoit à l’horizon 2017 un usage prudent et raisonné des antibiotiques, se traduisant par des objectifs qualitatifs et quantitatifs de réduction de 25 % en 5 ans de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire, avec un effort particulier de réduction des antibiotiques d’importance critique, qui sont les médicaments de dernier recours en cas de pathologies graves. Le rapport publié par l’association soulève son défaut d’effet contraignant, mais surtout le flou entretenu sur la manière de mesurer l’objectif de réduction qui laisse la possibilité de le calculer sur le volume d’antibiotique et non sur l’exposition des animaux. Si les antibiotiques utilisés sont plus puissants, ils respecteront l’objectif de réduction de volume mais les bêtes seront tout autant exposées à l’antibiorésistance.

II. Le problème spécifique de l'élevage

A. Une mauvaise utilisation des antibiotiques

L’article, paru en mars 2014, met en lumière un point clé dans le phénomène de la résistance aux antibiotiques : l’utilisation excessive et inadaptée de ces médicaments en élevage, milieu qui représente une part essentielle de la consommation. Ces résidus de médicaments, accompagnés de bactéries résistantes sont donc retrouvés dans les produits animaliers consommés par la population et dans l’environnement, par le biais des effluents d’élevage.

Les utilisations médicamenteuses dans l’élevage sont mesurées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anses) depuis 1999, et le niveau d’exposition aux antibiotiques aujourd’hui reste très proche de celui mesuré il y a 15 ans et ce en dépit des mesures du plan EcoAntibio qui prévoit une réduction de 25 % de la consommation.

Cette réduction semble paralysée par des pratiques en la matière qui doivent être totalement remises en cause. D’abord, concernant l’élevage intensif. La prescription d’antibiotiques aux animaux y est plus forte qu’ailleurs, car les animaux y sont en plus grands nombres, donc plus sujets aux risques, mais aussi car leurs conditions d’élevage dans un objectif de croissance rapide les rend plus fragiles.

Par ailleurs, c’est également le système de distribution de ces médicaments qui est remis en cause. En effet, ce sont les mêmes vétérinaires qui les prescrivent et qui les vendent. Et ce marché peut représenter jusqu’à 60 % du chiffre d’affaires d’un vétérinaire rural. De plus, les laboratoires pharmaceutiques qui les fournissent leur accordent des remises plus ou moins importantes selon les quantités d’antibiotiques commandées. Dans ces conditions, les pratiques ne changeront pas, c’est pourquoi une intervention rapide du législateur se fait attendre.

B. L’intervention du législateur

L’Union européenne a interdit en le 1er janvier 2006 l’utilisation des quatre derniers antibiotiques autorisés comme facteurs de croissance dans les aliments pour animaux (3). Il s’agissait de la dernière étape du processus d’élimination progressive de l’utilisation des antibiotiques à des fins non thérapeutique, dans une finalité de lutte contre l’antibiorésistance.

Toutefois, cette pratique est toujours permise dans d’autres Etats, et notamment aux Etats-Unis, où le phénomène de résistance aux antibiotiques est encore plus critique qu’en Europe et prolifère de manière très rapide.

Or, est actuellement en cours de négociation un traité de libre-échange négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis (T.T.I.P) (4), ce dernier ayant pour objectif une uniformisation des normes sur de nombreux secteurs, et notamment l’alimentaire. Les normes américaines concernant la sécurité alimentaire sont beaucoup moins lourdes qu’en Europe. Il est donc essentiel, selon l’association de consommateurs, que l’Europe s’oppose à tout allégement règlementaire dans le domaine alimentaire et en matière d’antibiorésistance.
Enfin, en Droit interne, la loi d’avenir pour l’agriculture est en cours d’adoption (5). Si le découplage entre prescription et vente d’antibiotiques avait été évoqué lors de la préparation du projet de loi, ce qui aurait laissé la vente des médicaments aux seuls pharmaciens, au détriment des vétérinaires, il semble que cette mesure ait finalement été abandonnée. Le projet prévoit toutefois l’interdiction des remises accordées par les laboratoires, un suivi renforcé de la vente de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques et la limitation à moins de 15 % de la marge du vétérinaire pour les antibiotiques critiques.



(1) Recommandation du Conseil du 15 nov. 2001 relative à l’utilisation prudente des antimicrobiens en médecine humaine [2002/77/CE]
(2)  Plan pluriannuel 2012-2017 mis en place par le ministère en charge de l’agriculture
(3) Comm. CE, IP/05/1687 ; 22 déc. 2005
(4)  Transatlantic Trade and Investment Partnership
(5)  Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, en cours de 2e lecture par l’AN