I/Vrai tournant pour la chimie Européenne

I.1-Procédure d’information plus transparente
La Culture du secret cultivée par la chimie pour des raisons plus ou moins valables (secret industriel et autres) se voit « dévoilée » : d’abord par le règlement REACH (1) fondé sur la mise à disposition systématique d’information sur la sécurité de 30 000 substances commercialisées en grand volume (au-delà d’une tonne par an par le producteur ou importateur).
En pratique, sur demande du consommateur par exemple, le fabriquant est tenu de fournir dans un délai raisonnable, la liste des « ingrédients » identifiés comme «extrêmement préoccupants » contenus dans son article.
Ensuite par le règlement CLP/SGH (2). qui prévoit une information ciblée sur les dangers visant les travailleurs et les consommateurs grâce entre autres à un système d’étiquetage harmonisé avec un descriptif plus détaillé (par rapport au système préexistant) des dangers notamment toxiques et concérigènes.
En outre, les Fiches de Données Sécurité (FDS) se veulent plus explicites notamment par le renseignement de l’adresse e-mail de la personne compétente, le n° d’enregistrement de la substance selon REACH et la valeur DNEL (3) relative aux scénarios d’exposition.
Le règlement CLP intègre 27 classes de dangers contre 15 seulement dans l’ancienne réglementation et introduit par rapport au SGH une classe de danger supplémentaire « Dangereux pour la couche d’Ozone ».
Ces classes de danger comprennent les dangers physiques (inspirés de la réglementation du transport des matières dangereuses »), et les dangers pour la santé et l’environnement.
Par ailleurs et afin de permettre le partage des données et la mutualisation des études concernant les substances, l’article 29 de REACH prévoit que les entreprises ayant préenregistrées leurs substances visées par le règlement avant Décembre 2008, pourront participer aux « Forums d’Echange d’Information sur les Substances » (FEIS).

I.2-Renversement de la charge de la preuve
Avant REACH, c’était à la victime de prouver la toxicité du produit chimique incriminé. REACH prévoit dans son article 1er que c’est au producteur ou l’importateur du produit chimique, avant sa mise sur le marché, de faire les études nécessaires pour prouver son innocuité, faute de quoi la production, la transformation et la mise sur le marché dans l’UE devront cesser. En parallèle, l’Union européenne peut prendre des mesures supplémentaires concernant des substances extrêmement dangereuses.

I.3-Processus d’autorisation pour les substances les plus dangereuses
Avant REACH : « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé », après REACH « Tout ce qui n’est pas autorisé est interdit ». Les substances dangereuses visées par cette autorisation de commercialisation (à ce jour) sont essentiellement : les « CMR » (Cancérigènes Mutagènes et toxiques pour la Reproduction) avec ou sans seuil, les « EDC » (Perturbateurs endocriniens) avec ou sans seuil, les « PBT (Substances Persistantes Bio-accumulables et Toxiques), ainsi que les « vPvB » (Très persistantes et très bioaccumulables). L’industriel devra prouver, pour pouvoir commercialiser l’une de ces substances, soit qu’il n’existe pas d’alternative plus sûre soit qu’il maîtrise les risques liés à cette molécule. On estime qu’entre 1500 à 2500 substances pourraient se voir interdire suite à ce processus.

II/Portée restreinte et « ardeur » des lobbys :

II.1 Champ d’application restreint :
Devant la difficulté pratique d’évaluer les 100 000 substances chimiques actuellement sur le marché, des critères d’exclusion ont été employés pour définir le champ d’application de REACH
D’abord un critère chronologique écartant les produits mis sur le marché avant 1981, peu importe leur nocivité !
Puis, un critère quantitatif qui exclut de l’enregistrement les produits chimiques en quantités inférieures à 1Tonne par an (Article 6), et de l’évaluation du risque chimique, les substances enregistrées produites ou importées en quantités inférieures à 10 Tonnes par an (Article 14).Le renoncement d’évaluer la totalité des produits chimiques n’est donc pas fondé sur les dangers et inconvénients de ces produits. D’autant plus que 60% des produits chimiques en circulation sur le marché Européen sont produits ou importés en quantités inférieures à 10 Tonnes par an.

Il faut noter aussi l’exonération élargie de produits à forts enjeux sanitaire et environnemental notamment : les substances et mélanges radioactifs, substances et mélanges faisant l’objet d’une réglementation spécifique : médicaments, cosmétiques, médicaments vétérinaires, dispositifs médicaux, additifs et arômes dans les denrées alimentaires, pesticides, alimentation animale…Ce règlement ne s’applique pas non plus aux substances et mélanges destinés à la recherche et au développement scientifique ou soumis au contrôle douanier, ni aux intermédiaires non isolés . Les déchets sont également en dehors du champ d’application car ils ne constituent pas des substances, ni des préparations ou des articles.

II.2 Obligation partielle de substitution
REACH garantit le principe de substitution (c'est-à-dire le remplacement systématique de la substance dangereuse) mais n’intègre malheureusement pas toutes les substances dangereuses citées plus haut (cf I.3). De plus ce principe s’applique si l’industriel définit de lui-même une alternative de remplacement ; sont visés par cette disposition tous les PBT et vPvB et seulement les CMR et EDC sans seuil. Les CMR et EDC avec seuil échappent donc à cette obligation. Pour ces molécules, l’autorisation reste valable si l’industriel prouve qu’il maîtrise les risques liés à ces substances. Il lui suffira donc par exemple de proposer un seuil en dessous duquel la molécule est considérée comme inoffensive.

II-3-Les lobbys économiques et politiques

Les industries chimiques pèsent lourd en Europe avec 613 Milliards d’€ en CA (31% du marché mondial) et 1,7 Millions de salariés.
Il faut avouer que des concessions ont été accordées aux Lobbys chimiques européens et internationaux, fragilisant ainsi cette réglementation chimique très ambitieuse au départ.
La dernière en date a été facilitée par la conjoncture économique actuelle qui a été utilisée par l’industrie chimique comme « Circonstance atténuante » pour freiner le « principe de substitution ».
En effet, dans le cadre de l’adoption de l’annexe XVII du règlement REACH (Annexe applicable à partir du 1er Juin 2009), 2 exemptions assorties de certaines conditions ont été adoptées.
-Une prolongation a été décidée, par un comité qui a réuni la Commission et les 27 États membres les 19 et 20 Février 2009, permettant à 6 entreprises chimiques européennes de continuer à utiliser l’amiante sous couvert de risque économique (notamment les usines de production de chlore utilisant des diaphragmes à amiante). 4 Etats membres sont concernés (Allemagne, Suède, Pologne et Bulgarie) (4).
-D’autre part, les Etats membres pourront se voir obtenir des dérogations similaires pour la mise sur le marché sur leurs territoires d’articles contenant de l’amiante et fabriqués avant 2005.
Il est à noter que la France s’est opposée à ces dérogations.
Rappelons que cette prolongation trouve ses origines dans la directive de 1999 interdisant l’utilisation de l’amiante dans l’UE. Cette même directive prévoyait une dérogation- sensée prendre fin le 1er Janvier 2008- pour les installations utilisant des cellules d’électrolyse. (Processus industriel très employé dans l’industrie du chlore).
L’enjeu stratégique est d’autant plus visible que la société américaine Dow Chemicals est le principal acteur industriel qui s’oppose à l’abandon des diaphragmes à amiante en Europe, alors que ce groupe envisage leur substitution dans ses usines situées aux Etats-Unis. (5)
Par ailleurs, ce compromis « régressif » intervient alors que les audiences du procès historique de l’usine Eternit ont commencé le 6 Avril dernier à Turin. Le producteur d’amiante-ciment est inculpé pour le décès de plus de 2000 personnes et la « souffrance » d’environ 700 autres atteintes de cancers.

Ces différents « lobbys toxiques » ne contribuent malheureusement qu’à rater une autre occasion de réformer les processus industriels actuels, les habitudes de consommation, et la promotion de l’innovation notamment dans le secteur de la chimie verte.

(1)REACH : Règlement (CE) n°1907/2006 du 18 Décembre 2006 concernant l’enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances Chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances.

(2)Règlement (CE) N° 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges publié au journal officiel européen du 31 décembre 2008, entré en vigueur le 20 janvier 2009. La date limite pour la classification des substances selon les nouvelles règles sera le 1er décembre 2010, et pour les mélanges le 1er Juin 2015. Après une période transitoire, le règlement CLP remplacera les règles actuellement utilisées pour la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances (Directive 67/548/EEC) et des préparations (Directive1999/45/EEC). Ce règlement CLP est une adaptation en Europe des recommandations internationales SGH (Système Global Harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques) développé par les Nations Unies.

(3) Derived No Effect Level : Equivaut à une VLEP (Valeur Limite d’Exposition Professionnelle) établie par le déclarant


(4)Selon Ton Van Lierop, porte-parole de la DG Entreprises de la Commission européenne

(5)Source: European Trade Union Institute (ETUI)