De nos jours, l’employeur, personne morale, semble être tenu responsable quoi qu’il arrive et peu importe les mesures mises en œuvre par celui-ci. En cas d'accident du travail, l'employeur peut être jugé à la fois au regard de la responsabilité pénale du travail et de la responsabilité pénale générale.

Les infractions définies par le code du travail visent des manquements à une obligation édictée par le code du travail.

Les infractions définies par le code pénal sont les infractions d’atteintes involontaires aux personnes. La qualification de l’infraction (délit d’homicide involontaire, de blessures volontaires, contravention de blessures involontaires) dépend à la fois de la gravité des faits à l’origine des dommages mais également des conséquences de ces faits. Les peines prévues sont aggravées dans le cas d’un manquement délibéré aux règles de sécurité et de délit de mise en danger d’autrui.

En matière pénale, bien que le principe soit celui de la responsabilité personnelle au terme duquel « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait » (article 121-1 CP), celui-ci connait des exceptions. En effet, une personne morale peut-être responsable pénalement des infractions commises pour son compte, par ses organes ou ses représentants (art 121-2 CP). Les poursuites visent à faire sanctionner les atteintes à la sécurité des salariés (Code du travail) et à la vie et l’intégrité physique d’autrui (Code pénal). La responsabilité pèse ici au premier plan sur le chef d’entreprise (personne physique), dans la mesure où il est tenu de veiller personnellement à l’application des règles destinées à protéger la santé et la sécurité des travailleurs placés sous son autorité. Il s’agit d’une responsabilité « par représentation », l’entreprise personne morale devant nécessairement être incarnée par une personne physique.

Après s’être montrée peu exigeante, la tendance en matière de jurisprudence semble être plus rigoureuse dans son analyse depuis un récent revirement de jurisprudence (cf. Cass. Crim. 11 avril 2012, n°10-86974). Autrement dit, les décisions de condamnation de personnes morales ne devraient plus opérer de façon automatique et devraient être motivées précisément en justifiant en quoi par exemple les manquements relevés résultent de l’abstention fautive d’un des organes ou représentants de la société prévenue, et s’ils ont été commis pour le compte de cette personne morale (cf. Cass. Crim du 11 juin 2013, n°12-80551).

I. L’obligation de sécurité à la charge de l’employeur

L’obligation de sécurité de l’employeur est assez étendue (A) et sa responsabilité fluctue aux rythmes des décisions (B).

A. Le Champ d’application

Le chef d’entreprise est responsable tant des infractions liées au Code du travail et à la sécurité (1) qu’aux atteintes involontaires et risques causés à autrui, à savoir des salariés (2).

1. Les infractions liées au code du travail et à la sécurité

L’employeur doit d’une manière générale respecter les dispositions en matière de sécurité prévues par le Code du travail. A défaut, il s’engage à voir sa responsabilité pénale engagée (L4741-1 et L4741-9 du code du travail). De plus, l’employeur est débiteur auprès de ses salariés d’une obligation générale de sécurité (Cass. Soc., 30 novembre 2010) (1).

L'obligation patronale de sécurité ne se limite pas à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle est beaucoup plus étendue. Elle concerne tous les risques auxquels le salarié peut être exposé au travail, y compris les risques psychosociaux. Il s'agit d'une obligation de résultat, et non pas simplement d'une obligation de moyens.

2. Les atteintes involontaires et risques causés à autrui

Une atteinte involontaire réside dans le fait de causer à autrui un dommage physique par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Elle est constituée lorsqu’un manquement caractérisé conduit à un dommage.
Les chefs d’entreprise peuvent être poursuivis pour homicide ou blessures involontaires lorsqu’il peut leur être reproché de ne pas avoir respecté la réglementation applicable au sein de leur entreprise ou d’avoir manqué à leur obligation générale de sécurité (2).

Le risque causé à autrui réside dans l’existence d’un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (article L. 223-1 du code pénal).
En conséquence, le simple fait pour le chef d’une entreprise de permettre l’existence d’un risque immédiat de mort ou de blessures peut le conduire devant le juge pénal.

En matière de délit de blessures ou d’homicide par imprudence, l’article 121-3 du Code pénal impose au juge correctionnel de motiver sa décision en caractérisant le critère de causalité, de gravité et tout en tenant compte de l’obligation générale de sécurité.

Lorsque le chef d’entreprise (ou son délégataire) n’a pas causé directement le dommage mais a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qu’il n’a pas pris les mesures permettant de l'éviter, sa responsabilité pénale en tant qu’auteur indirect suppose que soit établi à son encontre une faute dite qualifiée.

Au regard du principe de légalité et d’interprétation stricte de la loi pénale, la violation de l’obligation générale de sécurité peut constituer une faute « caractérisée » en cas de manquement isolé mais suffisamment grave dans le contexte, ou bien, d’accumulation de fautes légères.


B. Actualité juridique

La responsabilité pénale de l’employeur (personne morale) est subordonnée à la recherche d’infractions commises pour son compte, par ses organes ou ses représentants (Article 121-2 du code pénal). Toutefois, selon la Doctrine, de nombreuses cours d'appel continuent à présumer la culpabilité de l'entreprise lorsqu'un accident mortel d'un de ses salariés résulte d'un manquement aux règles de sécurité commis pour son compte.

Depuis un arrêt de la chambre criminelle du 11 Avril 2012 (3), les décisions se sont succédées pour rappeler qu’une personne morale ne pouvait être condamnée qu’à la condition qu’il ait été démontré de l’existence d’une faute commise par un organe ou un représentant. Toutefois, des arrêts condamnant des personnes morales sans que cette identification soit opérée a prospéré (4).

Par trois arrêts en date du 6 mai 2014 (5), la chambre criminelle de la cour de cassation, réaffirme, en réponse à cette résistance, que les juges du fond doivent rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché a été commis pour son compte, en cassant les décisions rendues en appel retenant la responsabilité de sociétés.

Dans la première affaire (n° 13-41.406), à la suite d'un décès accidentel d'un salarié, écrasé par une presse à cartons dans un centre de tri de déchets, la société co-exploitante du site, chargée notamment de la mise à disposition des moyens techniques, a été poursuivie, en qualité de personne morale, du chef d'homicide involontaire.
Il lui était reproché d'avoir involontairement causé la mort du salarié en participant à la modification de la machine à l'origine du décès et en ne mettant pas en place de procédure de consignation et de déconsignation spécifique en cas d'opération de maintenance, alors que la machine présentait diverses non-conformités la rendant directement dangereuse pour la santé et la sécurité des employés intervenant sur elle. Mais cela ne suffit pas pour déclarer coupable la société dès lors qu'il n'est pas démontré que les manquements relevés résultent de l'abstention d'un des organes ou représentants de la société et qu'ils avaient été commis pour le compte de cette société.

Dans la seconde affaire (n° 13-82677), un travailleur intérimaire mis à la disposition d'une société utilisatrice pour effectuer des travaux de peinture, a été blessé après avoir chuté d'un escabeau et être entré en contact avec un produit chimique à haute température. Il est apparu que l'accident aurait pu être évité si un équipement muni d'une plate-forme plus large et de garde-corps sur 3 côtés avait été utilisé.

La société utilisatrice a été poursuivie pour blessures involontaires pour ne pas avoir fourni à la victime un équipement de travail approprié, l'utilisation d'un escabeau étant interdite, sauf impossibilité technique par l'article R4323-63 du code du travail.
Pour les juges d'appel, la société est responsable pénalement car tout manquement aux règles en matière de sécurité au travail constitue nécessairement une faute pénale commise pour le compte de la personne morale sur qui pèse l'obligation de sécurité, sans qu'il y ait lieu d'identifier la personne physique qui a pu s'en rendre coupable.

Selon l'article 121-2 du code pénal, pour qu'une infraction commise par une personne physique puisse engager la responsabilité de la personne morale, deux conditions sont requises. La personne physique doit être un organe (président, gérant, directeur) ou un représentant de la personne morale (salarié ayant reçu une délégation de pouvoir notamment) et elle doit avoir commis l'infraction pour le compte de celle-ci.

La cour reprend la lettre du texte et affirme que la culpabilité d'une société ne peut être prononcée « sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société ».

La haute juridiction recadre par ces trois arrêts davantage les possibilités de mise en jeu de la responsabilité pénale des entreprises en tant que personnes morales.

II. Les actions de prévention contre le risque pénal

La Loi impose au chef d’entreprise de prendre les mesures adéquates pour éviter les accidents du travail. L’employeur se doit de protéger ses salariés et, dans la mesure du possible, mettre en place des outils permettant d’éviter ou de prévenir les situations à risque qui pourraient conduire à la réalisation d’une infraction mettant sa responsabilité en jeu.
Il convient ainsi de planifier la sécurité (A), de former et informer les salariés sur les moyens mis en œuvre (B), d’adapter les postes de travail aux salariés et à l’évolution de la technique, de permettre la transmission d’un même « message sécurité » par les organes concernés (C).

A. Le Document Unique de Sécurité

Il s’agit du meilleur exemple de la mise en place d’une démarche de prévention dans l’entreprise. Il a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 transposant la directive européenne sur la prévention des risques professionnels.

Le document unique sera le document référence suite à un accident du travail. Celui-ci s’impose à l’employeur. Il est la transposition, par écrit, de l'évaluation des risques, imposée à tout employeur par le Code du Travail. Il permet de recenser, lister et hiérarchiser tous les risques potentiels au sein d'un établissement. L’absence ou une rédaction du document unique incomplète ou frauduleuse quant à la présence de risques, représentent les motifs les plus sérieux pour une qualification en circonstance aggravante ou en faute inexcusable de l’employeur.

Il est donc un élément de protection juridique.
Le DUERP doit être régulièrement mis à jour, et au minimum une fois par an. Il peut être consulté notamment par les salariés de l'entreprise, les représentants du personnel, le médecin du travail, et l'inspecteur du travail.

B. La Formation à la sécurité

Selon le Code du Travail, tout chef d'établissement, quelle que soit sa forme juridique, son activité ou sa taille, doit participer au financement de la formation professionnelle, est tenu d'organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité, aux nouveaux embauchés, à ceux qui changent de poste de travail ou de technique (Article L. 6313-1 du Code du travail).

La formation à la sécurité a pour objet d'instruire, de sensibiliser le salarié aux précautions à prendre pour assurer sa propre sécurité et, le cas échéant, celle des autres personnes occupées dans l'établissement.
De plus, les salariés sous contrat de travail à durée déterminée et les salariés sous contrat de travail temporaire affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, eu égard à la spécificité de leur contrat de travail, bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont occupés.

Lors de la formation à la sécurité au travail, le salarié doit être informé de la partie du règlement intérieur concernant les règles de sécurité, doit étudier les risques de son travail, l'utilisation du matériel ou des machines en sécurité, les équipements individuels de protection indispensables par le biais d'apports théoriques, d'exercices et de mises en application.

Il convient pour l’employeur de conserver les preuves de la réalisation des actions de formation : les enregistrements (feuilles d'attestation de suivi, de présence), supports de formation (modules pédagogiques), programmes clairement établis, les documents remis aux stagiaires.
Une entreprise peut organiser elle-même la formation de ses salariés ou faire appel à un prestataire extérieur.

C. Le Comité Hygiène Sécurité Conditions de Travail (CHSCT)

Constitué dans tous les établissements occupant au moins 50 salariés, le CHSCT a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail. Son rôle s’élargit au champ de la prévention des risques.

Le non respect des dispositions relatives aux CHSCT constitue un délit d’entrave (circonstance aggravante). L’employeur doit s’assurer que le CHSCT fonctionne correctement (réunions, comptes-rendus etc.) et que ses remarques sont prises en compte et traitées.

Il convient de l’associer dans toute démarche visant l’amélioration de l’hygiène et de la sécurité dans l’entreprise. Ainsi que celles de la médecine du travail, du contrôleur de la CRAM et l’Inspecteur du travail.


Pour conclure, développer la maîtrise des risques et la « culture sécurité » reste le meilleur rempart de l’employeur au plan de ses responsabilités.

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Sources :

(1) : Cass. Soc., 30 novembre 2010, n°08-70.390 Obligation de sécurité de résultat et obligation générale de prévention
(2) : Guide juridique, La responsabilité civile te pénale du chef d’entreprise, CCI Amiens Picardie, Edition 2013
(3) : Cass. Crim., 11 avril 2012, n° 10-86974
(4) : Cass. Crim., 18 juin 2013, n° 12-85.917
(5) : Cass. Crim., 6 mai 2014, n°13-82.677, n°12-88.354, n°13-81.406,

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