L’indemnisation du préjudice d’anxiété, tiré du risque de maladie lié à l’amiante, pour les salariés qui y sont exposés, est relativement récente puisqu’il a fallu attendre la décision de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 11 mai 2010 (1) pour qu’elle soit admise. Et c’est à ce même moment que la haute juridiction civile en a posé les conditions, au nombre de trois :
- « avoir travaillé dans un établissement listé par arrêté ministériel conformément à la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux en contenant » (2),
- démontrer l’existence d’une inquiétude permanente et du bouleversement des conditions d’existence à travers un suivi médical régulier (examens),
- et la faute de l’employeur qui n’a pas pris les mesures nécessaires à la protection de la santé et sécurité de ses salariés répondant à son obligation de sécurité de résultat.
Mais avant d’approfondir ce qui a été fait de ces trois conditions dans la décision du 2 avril 2014, trois précisions préliminaires sont à prendre en compte. Tout d’abord, il convient de préciser ce que contient la notion de préjudice d’anxiété. En effet, les différentes interventions de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans ce contexte ont permis d’en délimiter les contours en précisant que cette forme de préjudice indemnise les troubles psychologiques, ainsi que le bouleversement des conditions d’existence qui résultent de cette situation.
Ensuite, le préjudice d’anxiété est indépendant de la maladie susceptible de se déclencher, et du régime de cessation anticipée d’activité qu’est l’ACCATA : « il ne se confond pas avec elle, même si l’anxiété n’existe que par rapport à la maladie » (3). Par conséquent, le moyen, souvent avancé par les parties, selon lequel la juridiction prud’homale serait incompétente, n’est pas recevable puisque la juridiction de la sécurité sociale n’acquiert sa compétence qu’à partir du déclenchement de la pathologie, et uniquement pour ce qui a trait à cette dernière. La réparation du préjudice d’anxiété après survenance de la maladie est désormais acceptée, notamment au regard du principe de réparation intégrale.
Enfin, il semble opportun de souligner le fait que la décision de la Cour d’Appel de Lyon du 28 septembre 2012 est survenue avant l’arrêt de revirement de la Cour de Cassation du 4 décembre 2012 (4). Les juges d’Appel ne pouvaient, par conséquent, pas en faire application, mais leur positionnement laissait une plus grande marge de manœuvre dans le choix fait par les juges de Cassation.

Et face à cette opportunité de positionnement, les juges de la Chambre Sociale ont décidé de confirmer les éléments retenus lors de l’arrêt du 4 décembre 2012, en en approfondissant certains points. De cette façon, la solution adoptée le 4 décembre 2012 acquiert une solidité certaine qu’il sera à l’avenir difficile de contester. La Chambre Sociale, le 2 avril 2014, reprend alors clairement l’attendu de principe selon lequel les salariés d’une entreprise listée par l’arrêté ministériel correspondant, n’apportant pas de preuve (documents objectifs ou témoignages), ne sont pas pour autant privé de la réparation de leur préjudice d’anxiété. La Cour d’Appel de Lyon, ne pouvant pas statuer conformément au revirement du 4 décembre 2012, voit sa décision cassée.
Deux nouveautés sont à mettre en avant dans l’arrêt du 2 avril 2014 :
- La Cour de Cassation clôt l’opportunité laissée par la décision du 4 décembre 2012 de préciser d’autres modes de preuve du préjudice d’anxiété. Ne reste donc qu’une seule condition nécessaire à la preuve du préjudice d’anxiété lié à l’amiante, à savoir l’inscription de l’établissement sur la liste de ceux ouvrant droit à l’ACCATA. Cet élément laisse penser qu’il existe donc une présomption du préjudice d’anxiété dans ce domaine puisque sa situation est induite par l’exposition au risque lié à l’amiante. Cependant, rien n’empêche l’employeur d’en apporter la preuve contraire, ou de trouver une cause d’exonération à l’engagement de sa responsabilité pour faute découlant du manquement à son obligation de sécurité de résultat.
- « Une déclaration de maladie professionnelle liée à l’amiante ne prive pas le salarié du droit de demander à la juridiction prud’homale la réparation des conséquences du trouble psychologique subi avant la déclaration de la maladie » (5). Les juges confèrent, par cette prise de position, une possibilité d’action à caractère rétroactif pour ce qui est de la réparation du préjudice d’anxiété lié à l’amiante.

Au-delà du préjudice d’anxiété spécifique à l’amiante, cet arrêt soulève des questionnements relatifs à la prescription, ou encore au type de salariés pouvant prétendre bénéficier de ce régime. S’agit-il de tous les salariés de l’établissement listé, ou bien uniquement de ceux effectivement exposés à l’amiante ? En outre, cette appréciation des conditions de reconnaissance et de réparation du préjudice d’anxiété pourrait-elle être étendue à d’autres secteurs industriels, tels que les produits bitumineux, les engrais, ou les rayonnements ionisants ? Face aux différentes interrogations et problématiques que pose ce sujet, de nombreux projets et propositions de réformes voient le jour mais ne dépassent pas, pour le moment, le stade embryonnaire.
Témoignage de l’actualité et complexité de ces jurisprudences, les risques liés à l’amiante concernant l’industrie extractive ont été intégrés au Code du Travail par le décret du 16 juillet 2014, ce qui permet désormais d’appliquer directement les dispositions relatives à la santé et sécurité des travailleurs pour ce domaine particulier. Les professionnels – potentiellement – concernés se doivent donc d’être vigilants face aux évolutions et changements apportés à ce régime.



(1) Cass. Soc., 11 mai 2010, n°09-42.241 à 257.
(2) Cass. Soc., 2 avril 2014, n°12-29.825.
Cass. Soc., 2 avril 2014, M. B et A contre Société Garlock France.
(3) Christophe Willmann, Faciliter la réparation du préjudice d’anxiété des salariés exposés à l’amiante : une jurisprudence attendue, quoique critiquée, Recueil Dalloz p.1312, 2014.
(4) Cass. Soc., 4 décembre 2012, n°11-26.294.
(5) Dominique Asquinazi-Bailleux, Maladie liée à l’amiante : preuve du préjudice d’anxiété, La Semaine Juridique Sociale n°25, 24 juin 2014, 1271.

Autres sources :
- Pierre Emmanuel Bouchez, Les salariés exposés à l’amiante n’ont pas à prouver leur préjudice d’anxiété, Actu-environnement, 10 avril 2014.
- Joël Colonna & Virginie Renaux-Personnic, Préretraite amiante : le préjudice d’anxiété n’a pas à être prouvé, La Semaine Juridique édition générale n°24, 16 juin 2014, 686.