I) Etat des lieux :

Le 25 février dernier, la chaine Arte a mis en lumière une problématique jusque là très peu, voire pas du tout, connue du public dans un reportage de Bob Coen, Eric Nadler et Nicolas Koutsikas (1) : les océans et les mers du monde ont servi, pour les deux guerres mondiales passées, de dépotoirs pour les armes chimiques qu’il fallait alors détruire. Il serait question de plusieurs millions de tonnes de ces armes. Trois raisons expliquent la levée du silence qui tournait autour de ce sujet : premièrement, le secret militaire qui planait jusqu’alors sur les documents relatifs à ces actions détenus par les autorités commence à arriver à son terme dans certains pays. Deuxièmement, le progrès scientifique permet, depuis quelques années maintenant, de mieux connaitre les fonds marins, notamment par la clarté des images qu’il est possible d’en tirer. Troisièmement, les témoignages des particuliers (notamment les pêcheurs) directement touchés par ce cimetière chimique, et l’apparition d’instances spécialisées dans le repêchage d’armes chimiques enfouies sous l’eau ne sont pas restés inaperçus très longtemps.
C’est d’ailleurs par le témoignage d’un pêcheur italien que débute ce reportage (appuyé par l’article d’Euronews du 21 février dernier (2)). Celui-ci, lors de la remontée de filet qu’il exécute comme à son habitude depuis des années, parle d’odeurs inconnues qui lui font tourner la tête, lui brûlent les yeux et les bras, et l’empêchent de respirer convenablement au bout de quelques minutes. Les pêcheurs sont, par ailleurs, désormais équipés de kits adaptés au contact de certains gaz, comme le gaz moutarde ou le gaz sarin, afin de pouvoir utiliser les produits adaptés aux soins à s’administrer dans ce genre de situation.

Il convient malgré tout d’évoquer le fait que certaines des substances contenues dans les armes chimiques sous marines perdent de leur toxicité au contact de l’eau, et ne présenteraient, par conséquent, ni de danger pour l’homme, ni pour la faune et la flore sous marine.
Mais il ne s’agit que d’une petite quantité de ces substances, ce qui signifie que le reste d’entre elles vont provoquer, sur le moyen et long terme, des dégâts sous marins colossaux d’un point de vue écologique, mais pas seulement : ces substances, si elles représentent un danger pour la nature, représentent également un danger pour l’homme sous plusieurs dimensions. Comme évoqué précédemment, la pêche en souffre dors et déjà, alors que les poissons et fruits de mer constituent une denrée consommée par les hommes. De plus, le loisir de la baignade devient une source de danger potentiel, ce qui constitue un handicap sur le plan touristique : certains espaces de mer ont été, depuis quelques temps, strictement interdits à la baignade pour l’unique raison de la présence de ces armes chimiques corrodées par l’eau et le sel marin. Enfin, cette problématique touche aussi tous les projets d’avancée sur l’eau avec la construction de plateformes pour gagner de l’espace. Dans une dimension semblable, les travaux de raccordements d’installations (éoliennes off shore par exemple) sont contraints d’emprunter des chemins tracés afin de contourner la route de ces armes.


II) Explications :

A la fin des deux guerres mondiales, les pays vainqueurs se sont retrouvés avec un stock d’armes, des pays vaincus mais aussi les leurs, à détruire, notamment à la suite de la conférence de Potsdam de 1945. Aucun pays ne voulant supporter la charge de la destruction de ces armes sur leurs terres, tant sur le plan de la responsabilité et de la sureté que sur le plan économique, des navires entiers ont déversé leur cargaison au large des côtes, un peu partout sur le globe. Mais les navires, ne voulant pas non plus courir le risque de voir leur équipage décimé, faisaient le choix de couler ces munitions avec le moins de temps de navigation possible, c'est-à-dire près de côtes. Il a même parfois été choisi d’abandonner ces munitions dans des lacs, comme en témoigne le reportage de Bob Coen, Eric Nadler, et Nicolas Koutsikas (1).
De plus, l’absence d’organisation internationale en charge de contrôler l’élimination de ces armes chimiques à l’époque n’a fait qu’encourager les pays à opter pour la solution la plus rapide et la moins couteuse. L’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques n’a, en effet, vu le jour qu’en 1997.

Et l’efficacité d’action de cette dernière semble être remise en cause au regard des récents événements concernant les armes chimiques utilisées en Syrie ces derniers mois. En effet, après l’adoption d’une résolution de l’ONU, Bachar al-Assad a été contraint de détruire ses « 700 tonnes de substances de priorité 1 » (3), c'est-à-dire les plus dangereuses, en un laps de temps très restreint. Seulement, une fois encore, aucun des pays parties à l’ONU n’a souhaité être chargé de cette mission, exception faite du Royaume Uni qui décontamine volontairement 150 tonnes de ce stock sur son territoire. Il a, par conséquent et comme l’on pouvait s’y attendre, été décidé de décontaminer le reste des armes sur un navire, en pleine mer, dans les eaux internationales de Méditerranée, un « no man’s land législatif » (3). L’opération s’effectuera sur un bateau de 36 ans, le Cape Ray, et selon le procédé « d’hydrolyse mobile » (3) qui est encore à l’essai et demeure donc un « procédé à haut risque » selon Olivier Lepick, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique spécialiste de l’armement chimique (3). Ces différents éléments poussent les associations à s’indigner des conditions dans lesquelles ce traitement des armes est prévu.

L’apparition de manifestations extérieures de la présence de ces substances chimiques, et l’actualité des événements syriens font de cette problématique une urgence dans sa résolution.


III) Solutions à envisager :

Cependant, bien que les obstacles soient nombreux (image publique, politiques, économiques, spatio-temporels, chimiques …) des solutions sont envisageables pour remédier à la dispersion des substances chimiques dans les fonds marins.

Bien que les technologies soient extrêmement couteuses et les risques d’incidents/accidents non négligeables, le fait de remonter ces armes chimiques pour un traitement encadré sur terre pourrait constituer une véritable aubaine économique, la création d’un marché de traitement des armes chimiques associé au domaine maritime, et même militaire. Cette idée est évoquée par un des intervenants du documentaire diffusé sur Arte (1).
Un autre élément constituerait une avancée vers le droit chemin de la décontamination de ce type de substances : l’accroissement des pouvoirs de l’OIAC, notamment pour ce qui est du contrôle des opérations menées. Une « police » de l’OIAC pourrait s’avérer être efficace.



(1) Armes chimiques sous la mer, Bob Coen, Eric Nadler, et Nicolas Koutsikas, diffusé le mardi 25 février 2014 à 20h50, Arte.
(2) Les mers européennes, dépotoirs pour les armes chimiques, Euronews, 21 février 2014.
(3) Les armes chimiques syriennes détruites en mer, Amélie Mougey, 5 mars 2014, site internet Terraeco.