En juillet 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, présentait en Conseil des ministres, un plan de soutien à la filière automobile, stratégique pour l’économie et l’emploi en France, axé notamment sur le développement des bonus écologiques pour les véhicules électriques ou hybrides.

Considéré pertinent mais insuffisant à produire les résultats escomptés, associations, consommateurs et industriels souhaitaient voir aboutir un texte leur permettant d’engager un véritable développement de la filière du véhicule électrique.

C’est désormais chose faite avec la proposition de loi visant à faciliter le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public, soutenu par le nouveau ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, et la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal.

Constituer un réseau efficace de bornes de recharges électriques permettrait à la France de se rapprocher de ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de 20% en 2020 et 40% d’ici 2040. Cela aiderait, en outre, à faire diminuer la consommation d’énergies fossiles, lesquelles s’avèrent majoritaires dans le secteur du transport, à un moment où il apparaît que la loi sur la transition énergétique ne pourra être adoptée avant la fin de l’année 2014, conformément à ce qui était prévu.

La proposition de loi du 25 février 2014 constitue, selon ses auteurs « un enjeu industriel, écologique et énergétique auquel la France doit répondre ». Industriel d’abord, dans le but de maintenir et accroître le développement de la filière automobile française, écologique ensuite, car le véhicule électrique permettra de réduire la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre, énergétique enfin, pour parvenir à limiter la consommation française d’énergies fossiles.

I – OBJECTIFS DE LA PROPOSITION DE LOI

Se plaçant sous l’angle du droit comparé, l’exposé des motifs de la proposition de loi révèle qu’aux Etats-Unis « la croissance des ventes des nouveaux modèles électriques dans leurs deux premières années de ventes est deux fois plus forte que celles des modèles hybrides à leur lancement ». A l’échelle européenne, les ventes ont été multipliées par 20 entre 2010 et 2012 (1).

Il existe donc un véritable marché dans le domaine du véhicule électrique, lequel peut être encouragé par la mise en place d’un réseau dense de bornes de recharges, qui supprimeront le frein principal à l’achat : la peur de « tomber en panne ». En effet, sur le territoire français, ERDF dénombrait 5 600 bornes seulement sur la voirie, à la fin 2013.

La constitution d’un maillage efficace, pour les projets de « dimension nationale » permettrait d’y remédier, et d’encourager l’achat, d’autant plus qu’aujourd’hui, la compétence de décider l’implantation de bornes de recharges sur le domaine public appartient aux seules collectivités ou aux EPCI lorsque cette compétence leur est transférée. L’Etat, en centralisant les moyens d’actions, permettra de coordonner plus aisément le développement du réseau, avec l’aide des collectivités territoriales et d’organismes privés.

Il ne s'agit en effet pas, selon le rapporteur du texte Mme Frédérique MASSAT, « d’encourager au développement de marchés publics en la matière, mais de favoriser le lancement d'initiatives privées » pour parvenir à la constitution d’un réseau dense et bien réparti.

II- PRÉSENTATION DE LA LETTRE DU TEXTE

La proposition de loi, constituée d’un unique article après son passage en session devant l’Assemblée Nationale puis devant le Sénat, dispose :

« I. - Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, l'État ou tout opérateur, y compris un opérateur au sein duquel une personne publique détient, seule ou conjointement, une participation directe ou indirecte, peut créer, entretenir et exploiter sur le domaine public de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs groupements un réseau d'infrastructures nécessaires à la recharge de véhicules électriques et de véhicules hybrides rechargeables sans être tenu au paiement d'une redevance, lorsque cette opération s'inscrit dans un projet de dimension nationale.

La dimension nationale du projet est caractérisée dès lors que celui-ci concerne le territoire d'au moins deux régions et que le nombre et la répartition des bornes à implanter assurent un aménagement équilibré des territoires concernés. Le projet est approuvé par les ministres chargés de l'industrie et de l'écologie au regard de ces critères.

Les modalités d'implantation des infrastructures mentionnées au premier alinéa du présent article font l'objet d'une concertation entre le porteur du projet, les collectivités territoriales et les personnes publiques gestionnaires du domaine public concerné, l'autorité ou les autorités organisatrices du réseau de distribution d'électricité, lorsqu'elles assurent la maîtrise d'ouvrage des travaux de développement des réseaux publics de distribution d'électricité, ainsi que les gestionnaires de réseau de distribution d'électricité compétents au titre de leur zone de desserte exclusive en application de l'article L. 322-8 du code de l'énergie ».

Notons que ce texte permet à l’État ou à un opérateur national d’implanter des bornes de recharge de véhicules électriques sur le domaine public d’une collectivité locale sans être tenu d’acquitter une redevance, lorsque cette implantation s’inscrit dans un projet de dimension nationale.

Cette exonération totale, controversée, a été justifiée par le ministre et le rapporteur du texte devant le Sénat comme nécessaire afin d’attirer les opérateurs privés, qui installeront ces bornes à leurs seuls frais, et leur garantir une certaine « stabilité » fiscale dans les dix ou vingt premières années d’installation. Le gouvernement n’exclut pas cependant de revenir sur cette exonération dans le futur, lorsque le principe de ce réseau sera ancré et la rentabilité des opérateurs y ayant participé atteinte.

L’article 2, présent dans la proposition de loi originaire, instaurait un dispositif visant à compenser la perte de recette pour les collectivités territoriales et l’Etat résultant de l'exonération de redevance d'occupation du domaine public accordée au futur opérateur.
Ce dispositif aujourd’hui supprimé, le gouvernement assure qu’il compensera la perte de recettes en résultant pour les collectivités territoriales, sans toutefois préciser d’où proviendront les fonds à cet effet.

L’absence de paiement d’une redevance, malgré l’occupation du domaine public (incessible, imprescriptible, inaliénable), aurait pu être analysée contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Toutefois l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, poursuivi en l’espèce, a déjà été reconnu par le Conseil Constitutionnel comme constituant un motif d’intérêt général (2).

Rappelons cependant que, si elle était adoptée, cette proposition de loi pourrait être déférée à la censure des neuf sages a posteriori, sur saisine de soixante députés de l’opposition par exemple, sur le fondement de l’article 61 de la Constitution.

En effet, la proposition de loi a fait l’objet, malgré son adoption, de critiques de l’opposition qui considère que laisser la main aux collectivités territoriales, plutôt que de confier à l’Etat le soin d’intervenir, aurait été plus approprié, à raison de la « connaissance du terrain » et de la proximité avec les administrés dont disposent ces dernières. Les députés de l’opposition indiquent en outre que « les projets de dimension nationale devront compléter le réseau des collectivités territoriales et non s’y substituer ou concurrencer l’action territoriale », car il est à craindre, dans cette hypothèse, que les collectivités territoriales, sachant que l’État pourra désormais intervenir dans ce domaine, choisissent de mettre en berne leurs propres projets de déploiement de bornes de recharge en se reposant entièrement sur ce dernier. Ils craignent enfin le risque d’un maillage peu dense, créateur de « zones blanches », dans les espaces principalement ruraux et donc peu rentables.

Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, respectivement le 6 mai et le 3 juin, le texte doit désormais être adopté en 2ème lecture afin d’aboutir à sa version définitive.


* Références :

(1) Agence européenne pour l’environnement
(2) Décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, considérant. n° 35

* Sources :

- Rapport de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale du 15 avril 2014,
- Assemblée nationale, Session ordinaire de 2013-2014, Compte rendu intégral des débats, Deuxième séance du mardi 06 mai 2014,
- Sénat, Session ordinaire de 2013-2014, Compte-rendu intégral des débats, Première lecture 3 juin 2014.