Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, le 5 mai 2014, a rendu un arrêt attendu dans le secteur automobile. Cette affaire permet de déterminer dans quelle mesure les autorités nationales peuvent s’opposer à l’immatriculation de véhicules sur des fondements sécuritaires et de protection de l’environnement, dans la lignée des dispositions communautaires relatives à la lutte contre le réchauffement climatique.

** Présentation des éléments factuels :

La société Daimler AG, constructeur du groupe automobile Mercedes-Benz-France, a demandé la réception de véhicules modèles de type 230 et 245G auprès du ministère afin que ces derniers soient immatriculés et vendus sur le marché français. Ces deux modèles sont équipés d’un système de climatisation utilisant l’ancien gaz réfrigérant « R134a ». Cependant, l’emploi de ce gaz est prohibé dans la mesure où il dépasse le « potentiel de réchauffement planétaire » (PRP) [1] règlementaire, estimé à 1300 contre une limite du PRP fixée à 150.

Dans un premier temps, l’Organisme technique central (OTC) et les services du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (ci-après MEDDE) ont refusé de communiquer les codes nationaux d’identification pour les modèles de type 230 et 245G par une décision des 19 juin et 2 juillet 2013. Puis, dans un second temps, le MEDDE, par une décision du 26 juillet 2013, a refusé l’immatriculation des véhicules du constructeur Daimler AG pour ces mêmes modèles de véhicules.

** Les textes nationaux et européens encadrant les systèmes de gaz de climatisation et l’utilisation des gaz réfrigérants [2] :

D’abord, la directive 2006/40/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006, dite directive « MAC » (Mobile Air Conditioning System) concernant les émissions provenant des systèmes de climatisation des véhicules à moteur, vise à interdire progressivement l’utilisation du gaz réfrigérant R123a dans des conditions économiquement acceptables.

Puis, l’arrêté du 21 décembre 2007, pris en application de la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 « établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules », établi qu’à compter du 1er janvier 2011, la réception CE ou nationale des nouveaux types de véhicules peut être interdite par les autorités compétentes [4] en cas d’installation de systèmes de climatisation pouvant contenir des gaz à effet de serre fluorés dont le potentiel de réchauffement planétaire est supérieur à 150.

L’article 29 de la directive 2007/46 a fait l’objet d’une transposition dans l’article R321-14 du Code de la route qui instaure une clause de sauvegarde. « S'il est établi que des véhicules, systèmes ou équipements d'un type ayant fait l'objet d'une réception CE compromettent gravement la sécurité routière ou nuisent gravement à l'environnement ou à la santé publique alors qu'ils sont accompagnés d'un certificat de conformité en cours de validité ou qu'ils portent une marque de réception valide, le ministre chargé des transports peut, pour une durée de six mois au maximum, refuser d'immatriculer ces véhicules ou interdire la vente ou la mise en service de ces véhicules, systèmes ou équipements.» Pour faire application de cette clause de sauvegarde, il revient alors à l’autorité compétente de prouver une nuisance grave à l’environnement ou à la santé publique. Ce critère de « gravité », comme nous le verrons, fera défaut à l’application de la clause de sauvegarde dans cette affaire.

** Les fondements du ministère pour justifier le refus d’accorder les codes d’immatriculation :

Pour fonder leur refus, les autorités se sont basées sur l’article R321-14 du code de la route, instaurant une clause de sauvegarde en cas de véhicules « ayant fait l'objet d'une réception CE [3] compromettent gravement la sécurité routière ou nuisent gravement à l'environnement ou à la santé publique ». Cette clause de sauvegarde permet au ministère chargé des transports de refuser l’immatriculation de véhicules pour une durée maximum de six mois, conformément à l’article 29 de la directive 2007/46 ici transposée.

Puis, le ministère a invoqué, toujours sur la base de la clause de sauvegarde, la violation de l’article 5 de la directive 2006/40/CE permettant aux Etats membres de refuser la réception CE d’un type de véhicule équipé d’un système de climatisation conçu pour contenir des gaz à effet de serre fluorés dont le potentiel de réchauffement planétaire est supérieur à 150. Le ministère entendait alors prévenir la distorsion de concurrence entre les constructeurs automobiles présents sur le marché européen. L’utilisation, pour le système de climatisation des véhicules, du gaz R134a, s’avérait en effet moins coûteux que le gaz R1234yf.

** Les fondements de la société Daimler AG (Mercedes-Benz-France) justifiant le recours à des systèmes de climatisation permettant l’emploi du gaz R134a

Le groupe Mercedes-Benz-France, soit le constructeur Daimler AG, a déposé, en juillet et en août 2013, deux demandes d’annulation des décisions mentionnées. L’affaire, initialement portée devant le tribunal administratif de Versailles, a été renvoyée devant le Conseil d’Etat [4].

Le constructeur Daimler AG a pu évoquer plusieurs moyens afin de justifier l’emploi du gaz R134a. La directive 2007/46, déjà évoquée, permet principalement d’assurer à tous les usagers de la route un niveau de sécurité le plus élevé possible par le biais d’un contrôle permanent de la conformité de la production. Les constructeurs doivent recourir à des gaz réfrigérants dont « le PRP » n’excède pas 150 comme c’est le cas du gaz réfrigérant R1234yf. Pourtant, suite à plusieurs essais, Daimler AG a pu démontrer que le gaz règlementaire R1234yf pouvait s’avérer dangereux, dans certaines circonstances, pour l’usager. Et fait alors primer le critère sécuritaire sur le critère environnemental. D’ailleurs, le « Kraftfahrt-Bundesamt » (KBA), une autorité allemande compétente en matière de réception des véhicules automobiles pour certains types de véhicules, a autorisé, pour cette condition de sécurité, l’utilisation de l’ancien gaz R134a, avec un PRP de 1300.

** Le ministère de l’environnement pouvait-il faire prévaloir la clause de sauvegarde afin d’interdire l’immatriculation de ces modèles ?

Deux considérations s’opposent. D’une part, les autorités publiques tentent de faire application des dispositions qui émanent des textes européens, transposés en droit français afin d’interdire l’utilisation d’un gaz présentant un taux de pollution atmosphérique prohibé. Et, d’autre part, le constructeur Daimler met en évidence des considérations sécuritaires homologuées par l’autorité allemande.

Cependant, les autorités françaises était-elles fondées à se prévaloir de la clause de sauvegarde afin d’interdire l’immatriculation de ces modèles ?

Le Conseil d’Etat a estimé, par une décision du 5 mai 2014, qu’aucun des motifs avancés par le ministre pour justifier sa décision ne permettait de s’opposer à l’immatriculation des différents modèles. Aussi bien sur la base de la procédure de réception CE prévue par la directive 2007/46/CE ; que de la directive « MAC » 2006/40/CE ; ou encore, dans son souhait de prévenir la distorsion de concurrence entre les constructeurs automobiles présents sur le marché européen pouvant résulter de l’utilisation par Daimler d’un gaz R134a peu coûteux. Aucun de ces motifs n’étaient au nombre de ceux qui sont prévus par l’article R. 321-14 du code de la route pour justifier une mesure de sauvegarde.

Par ailleurs, le ministre ne démontrait pas que le fonctionnement des véhicules en cause, qui, ne représentent qu’une très faible part du parc automobile français, porterait une atteinte grave à l’environnement et justifierait légalement sa décision. A cet effet, le ministère aurait commis une erreur d’appréciation.

Cette dernière considération du Conseil d’État est particulièrement intéressante car elle démontre la difficulté d’application des différentes directives sur les systèmes de climatisation, alors que la France est alors dans son devoir de faire respecter les différents textes européens. La clause de sauvegarde ne peut pas être invoquée si une atteinte grave à l’environnement ou à la santé humaine n’est pas relevée. En ce sens, un petit constructeur, ne représentant qu’une infime part de marché pourra-t-il utiliser ce gaz de façon permanente pour seul motif qu’il ne porte pas une atteinte grave ? La Commission européenne tente également, de son côté, de régulariser la situation.

** La tentative de la Commission européenne de remédier à la non-conformité des autorités allemandes

Le réfrigérant R1234yf est le réfrigérant choisi par l'industrie pour se conformer aux règles établies par les différentes directives européennes. La Commission doit veiller à ce que la législation européenne soit respectée dans l'Union européenne, « elle ne prescrit l'utilisation d'aucun réfrigérant spécifique pour respecter cette obligation. Ce choix relève de la seule responsabilité des constructeurs de véhicules ».

L’interdiction générale du gaz R134a est, quant à elle, prévue pour le 1er janvier 2017. « L'unique obligation juridiquement contraignante imposée aux constructeurs est de respecter l'interdiction progressive du réfrigérant au PRP élevé actuellement utilisé, le R134a ».

Suite à un autre conflit qui oppose les autorités bruxelloises au constructeur Daimler AG, la Commission européenne a rendu une conclusion qui « blanchit le fluide de climatisation R1234yf », qui n’est pas considéré comme dangereux contrairement à ce qui est allégué par le l’autorité allemande « Kraftfahrt-Bundesamt ». Dans le même sens, au sein du SAE International (une organisation mondiale composée de scientifiques, d'ingénieurs et de professionnels de l'automobile, NDLR), des tests ont été menés durant plus de trois ans et ont conclus que « les risques associés à l'utilisation du nouveau gaz sont connus de longue date et que des mesures techniques peuvent être prises pour les atténuer, comme c'est le cas pour d'autres substances inflammables et toxiques utilisées dans les véhicules ».

Le 23 janvier 2014, la Commission a mis en demeure l’Allemagne de présenter ses observations afin de justifier la situation. L’Allemagne dispose de deux mois pour répondre à la lettre de mise en demeure conformément à la procédure de manquement de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Dernièrement, un rapport scientifique a été rendu le 23 mai 2014 selon lequel il n’existe pas de risque sérieux de matière de sécurité s’opposant à l’utilisation du gaz R1234yf.
Ainsi, l’affaire est bel et bien close sur le plan du droit français, mais reste tout de même à suivre sur le plan européen.

*****
NOTES DE BAS DE PAGE
*****

[1] Le Potentiel de Réchauffement Planétaire ou Global (PRG) est une unité de mesure permettant d'évaluer le réchauffement potentiel d’un gaz à effet de serre en fonction de sa durée de vie dans l’atmosphère et de sa capacité à absorber les rayons infrarouges. Par convention, le PRG du CO2 est de 1, et celui du méthane de 25 (IPCC Four Assessment Report, 2007), définition tirée du site « Actu-Environnement », >http://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/potentiel_de_rechauffement_global_prg.php4<

[2] Précision : les textes de loi visent à encadrer la construction du véhicule, dont le système de climatisation permet d’accueillir des gaz réfrigérants répondants à certains critères, ainsi, selon les textes, il s’agit soit d’interdire l’implantation sur le marché de véhicules non conformes, ou encore, à limiter l’utilisation de ces gaz.

[3] La réception d’un véhicule est l’acte par lequel une autorité administrative d’un Etat, atteste de la conformité du véhicule aux réglementations concernant les exigences techniques applicables pour la sécurité et les émissions de véhicules. Pour plus de détails sur le site du Ministère de l’environnement, >http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-reception-des-vehicules.html<

[4] La requête étant portée sur deux décisions, dont l’une portait sur un refus du Ministère de l’environnement, le tribunal administratif de Versailles a formé une ordonnance de renvoi devant le Conseil d’Etat, compétent pour les demandes relatives aux actes règlementaires de Ministre et les autorités régulatrices >http://www.conseil-etat.fr/fr/repartition-des-competences-au-sein-de-la/<.

*****
SOURCES :
*****

TEXTES EUROPEENS ET NATIONAUX :

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, 2008, C115/47.

Directive 2006/40/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006, dite directive « MAC » (Mobile Air Conditioning System), concernant les émissions provenant des systèmes de climatisation des véhicules à moteur.

Directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 « établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules ».

Article R321-14 du Code de la route.

Arrêté du 21 décembre 2007 relatif à la réception des véhicules automobiles en ce qui concerne les systèmes de climatisation, NOR: DEVS0772798A.

SITES INTERNET :

www.legifrance-gouv.fr

RAPPORTS :

"Réfrigérants utilisés dans les systèmes de climatisation mobiles (SCM)
Questions & Réponses, 23 janvier 2014" > http://europa.eu/geninfo/query/resultaction.jsp?SMODE=2&ResultCount=10&Collection=EuropaFull&Collection=EuropaSL&Collection=EuropaPR&ResultMaxDocs=200&qtype=simple&DefaultLG=fr&ResultTemplate=%2Fresult_fr.jsp&page=1&QueryText=R1234yf&y=0&x=0<

"Note to DG ENTR, JRC technical and scientific support to the research on
safety aspects of the use of refrigerant R1234yf on MAC systems", >http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCsQFjAA&url=http%3A%2F%2Fec.europa.eu%2FDocsRoom%2Fdocuments%2F4651%2Fattachments%2F1%2Ftranslations%2Fen%2Frenditions%2Fnative&ei=Yt2VU7rbMIml0QW2yoCABg&usg=AFQjCNHxO5921SR0SJJbVwVlDZS3-vfS9A&sig2=rG98PufkExDLKEeTE65WCg&bvm=bv.68445247,d.d2k<

ARTICLES:

« La Commission européenne blanchit le fluide de climatisation R1234yf », par Mohamed Aredjal le 10 mars 2014, > http://www.decisionatelier.com/La-Commission-europeenne-blanchit-le-fluide-de-climatisation-R1234yf,5498<