La problématique soulevée par le statut atypique des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) français n’est pas nouvelle. Et la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 3 avril dernier est d’autant moins surprenante qu’elle résulte d’une première décision de la Commission européenne de 2010 (2) à l’égard de La Poste, contre laquelle la France a demandé l’annulation devant le Tribunal de l’Union Européenne en septembre 2012 (3). Ce dernier ayant rejeté la demande l’Etat, l’affaire a été portée devant la CJUE qui a décidé de confirmer les deux prises de position précédentes.

Pour bien comprendre l’enjeu de ces décisions, il convient de rappeler qu’un EPIC détient le statut de personne morale de droit public, tout en étant indépendant de l’Etat, et bénéficie de l’autonomie financière et de compétences d’attribution spéciales. Mais un de leurs principaux avantages réside dans le fait de ne pas relever des procédures d’insolvabilité et de faillite de droit commun, et de recevoir des aides d’Etat au nom de l’exécution de missions de service public.
Les autres éléments pertinents ont été mis en avant par la Commission européenne. En effet, dans sa décision face à La Poste, celle-ci a constaté que l’Etat français permettait à l’EPIC de bénéficier d’une garantie illimitée assurant aux créanciers de l’établissement de toujours être remboursés. La Commission européenne a alors déduit que cette garantie constituait une aide d’Etat implicite (puisqu’ « aucune disposition normative précise n’est aujourd’hui applicable aux engagements implicites de l’Etat » (4)) incompatible avec le marché intérieur en ce qu’elle provoque une inégalité pour ses concurrents. La Poste assistait à une amélioration de sa situation financière puisque l’aide reçue ne soumettait pas à contrepartie, et qu’elle permettait une facilité d’obtention de prêts.
L’argument français selon lequel La Poste tirait avantage de son actionnariat puissant et stable (l’Etat), et non de son statut juridique, n’a pas suffit à convaincre le Tribunal de l’Union Européenne et la CJUE qui ont successivement confirmé la prise de position de la Commission.
La CJUE a particulièrement insisté sur le fait que la garantie de l’Etat est « présumée indéterminée dans son montant, son degré de couverture, et n’est pas rémunérée ». De surcroit, cette aide implicite couvre « à la fois les activités de service public » mais aussi « ses activités concurrentielles » (4). La CJUE va donc dans le sens de l’interdiction de cette aide, comme le souhaitait la Commission.

La prise de position de la Commission n’a finalement pas eu d’incidence sur le service postal, devenu société anonyme en mars 2010 pour remédier à cette situation inconfortable.
En revanche, la décision étant désormais définitive et s’attachant à des caractéristiques communes à tous les EPIC, la France doit s’alarmer et trouver des solutions à donner aux autres établissements publics de même nature, très présents dans certains domaines (ferroviaire/transports avec la SNCF ou la RATP, énergétique avec l’ADEME ou les éco organismes).
En effet, deux cas de figure sont identifiables :
- soit les EPIC n’interviennent que pour réaliser des missions de service public ou de régulation (ADEME, AFNOR, éco organismes) et n’entrent pas dans le champ concurrentiel pour lequel l’aide est problématique ;
- soit les EPIC interviennent dans les champs concurrentiels (SNCF, RATP) et devront sans doute être transformés en sociétés de capitaux à participation publique (sociétés d’économie mixte), solution qui semble la plus simple.

Cette décision européenne ne signe donc pas la mort des EPIC français mais impose d’en modifier certains avantages exorbitants. Toutefois, les établissements liés aux missions énergétiques (ADEME), normatives (AFNOR), et environnementales (éco organismes) semblent épargnés grâce à la nature non concurrentielle de leurs missions.



(1) CJUE, 3 avril 2014, France/Commission, affaire C-559/12 P.
(2) Décision 2010/605/UE de la Commission européenne du 26 janvier 2010 concernant l’aide d’Etat C 56/07 accordée par la France en faveur de La Poste.
(3) Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 20 septembre 2012, France/Commission, affaire T-154/10.
(4) Samuel Frédéric Servière, CJUE : Le statut juridique des EPIC dans le collimateur, 10 avril 2014.