
Succès et limites de l'Endangered Species Act
Par Natacha GUEGHEROUNI
Juriste stagiaire droit de l'environnement
FIDAL
Posté le: 12/05/2014 10:56
La protection des espèces animales et végétales ainsi que de leurs habitats naturels n’est pas un enjeu prioritaire pour tout le monde. Mais on ne peut pas nier que ces espèces et leurs habitats nous rendent des services dont la valeur monétaire est parfois inestimable. Par exemple, l’importance des zones humides pour la qualité de la ressource en eau est largement démontrée. De manière plus terre à terre, l’attrait touristique du public pour les espaces naturels spectaculaires et sa fascination pour certaines espèces animales emblématiques explique largement le succès des grands parcs nationaux américains.
Mais la protection de ces espèces et de leurs habitats a un prix, celui d’empêcher le développement de projets au poids économique certain, notamment pour des populations rurales en mal d’emploi, et d’imposer des restrictions contraignantes qui déplaisent à certains amateurs de grands espaces.
L’ESA, lors de son adoption par le Congrès pendant la présidence de Richard Nixon, cherchait à assurer une protection efficace aux espèces menacées de disparition en sanctionnant toute atteinte pouvant être portée à celles-ci et à leur habitat. Il s’agissait dans un premier de temps de prévenir la disparition totale de l’espèce, puis de lui permettre de revenir à un niveau de population garantissant sa continuité. Bénéficiant d’un large soutien chez les écologistes, elle était (et est toujours) vivement critiquée par d’autres.
Pour dresser un tableau général de l’ESA, de sa création à aujourd’hui, on détaillera tout d’abord son fonctionnement, le contenu de ses dispositions (I). Puis il s’agira d’évaluer ses forces et faiblesses (II), pour dresser un bilan global de l’efficacité de cette loi en matière de protection de la biodiversité aux Etats-Unis.
I – Fonctionnement de l’ESA
L’Endangered Species Act fonctionne, pour simplifier, selon le mécanisme suivant : tout d’abord, des listes d’espèces menacées sont établies par deux agences administratives fédérales, le Fish and Wildlife Service (FWS) et la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). NOAA s’occupe de toutes les espèces marines, et le FWS s’occupe des autres espèces. Les espèces qui vivent dans les deux milieux sont gérées conjointement.
Une fois l’espèce mise sur la liste, toute une série de dispositions protectrices s’appliquent pour lui permettre de se reproduire et d’augmenter sa population.
Cet enjeu de repopulation est particulièrement important, car un nombre trop faible d’individus entraîne la consanguinité, et pose des problèmes significatifs pour la continuité de l’espèce. C’est notamment ce qui se passe avec la panthère de Floride, dont la population était descendue à une vingtaine d’individus dans les années 1970.
Une fois l’espèce « hors de danger », elle est retirée de la liste.
La liste de l’ESA prévoit plusieurs catégories : Endangered (en voie de disparition), Threatened (menacé), Candidate (candidat à la liste). Cela permet une gradation des protections apportées à chaque espèce en fonction du risque de disparition. Certaines espèces sont listées S/A, c’est-à-dire que leur apparence est tellement similaire à celle d’une autre espèce menacée qu’elles sont protégées aussi.
Pour pouvoir figurer sur la liste, une espèce doit se conformer à plusieurs critères justifiant qu’elle est menacée de disparition. La proposition de lister l’espèce peut émaner soit directement de l’agence administrative, ou à la demande de toute personne intéressée. Le FWS ou NOAA ont ensuite 90 jours pour décider, en prenant en compte la meilleure information scientifique disponible, si la proposition est justifiée ou non. Si elle est justifiée, l’administration a un délai de deux ans pour adopter des mesures permettant la protection de l’espèce et de son habitat.
La délimitation d’un habitat suffisamment grand pour permettre la repopulation est un élément d’une grande importance, et souvent le plus complexe à mettre en œuvre. La prise en compte d’éléments économiques dans la délimitation de cet espace a fait l’objet de plusieurs amendements par le Congrès, en 1979 et 1982. Une fois cet espace délimité, toutes les agences fédérales ont l’interdiction de porter atteinte à cet habitat, ce qui inclut toutes les activités soumises à la délivrance d’un permis (par exemple, les projets miniers).
L’ESA inclut des sanctions fortes pour toute atteinte à une espèce protégée : le fait de blesser, tuer, capturer, etc., une espèce listée peut être puni d’amendes civiles et pénales allant jusqu’à 50 000 dollars, avec des peines de prison jusqu’à un an. Il existe une exemption si la personne peut prouver qu’elle se défendait contre une attaque de l’espèce en question, et les peines de prison ne sont pas applicables si l’atteinte est accidentelle.
II – Forces et faiblesses de l’ESA
L’ESA a indéniablement permis de sauver certaines espèces emblématiques, notamment des grands prédateurs (grizzly, loup gris) et des rapaces (faucon pèlerin), et de préserver les habitats uniques nécessaires à la survie de ces espèces.
De plus, parmi les grandes lois environnementales adoptées à la même période (NEPA, le Clean Air Act, le Clean Water Act, etc.), c’est celle qui est le plus axée sur des sanctions fortes et directes. Elle laisse également une large marge de manœuvre à la société civile pour s’exprimer devant la justice. Enfin, c’est une loi qui, des années plus tard, s’applique toujours, malgré une forte volonté de réduire son effectivité.
Mais l’ESA souffre également de certaines faiblesses. La plus importante est celle liée aux lenteurs dans l’inclusion de nouvelles espèces sur les listes ; l’ours polaire, par exemple, présent en Alaska, n’a été listé qu’en 2009, preuve que quand il s’agit de faire admettre les effets du dérèglement climatique sous une présidence républicaine, même être la mascotte de Coca-Cola ne suffit pas. Cette lenteur est certes attribuable aux efforts de l’administration Bush pour limiter au maximum l’inclusion de nouvelles espèces dans la liste, mais aussi à la lourdeur de la tâche qui nécessite une quantité conséquente d’informations sur les populations, leur reproduction, la délimitation et l’état de leur habitat critique.
Ensuite, se pose le problème de la protection de l’espèce une fois qu’elle est retirée de la liste. L’exemple le plus emblématique est celui des loups en Idaho : après des années d’efforts pour ramener la population de loups à un niveau garantissant leur pérennité, ils ont été retirés de la liste de l’ESA, et ne bénéficient donc plus des protections de niveau fédéral. L’Etat de l’Idaho n’a pris que des mesures peu contraignantes de son côté (des permis de chasse distribués généreusement), et les chasseurs ont donc pu tuer des animaux dont la réimplantation avait coûté des milliers de dollars à l’Etat fédéral.
En conclusion, le bilan de l’ESA est le même que pour beaucoup d’autres grandes lois environnementales américaines : si cette loi n’existait pas, la situation serait dramatique, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est satisfaisante. Cette loi n’a pas été réformée depuis les années 1990, alors qu’elle gagnerait à être modernisée. En février 2014, le parti Républicain avait proposé de réformer l’ESA devant le Congrès, mais cela n’a jamais abouti, car une telle réforme n’est pas du tout prioritaire pour les élus, et l’absence d’accord commun entre les deux partis mène systématiquement à un blocage.
En un sens, cette situation bénéficie à l’ESA, en lui évitant d’être réformé dans le sens d’une totale inefficacité, comme le souhaiteraient certains Républicains. Mais elle empêche également toute avancée dans le sens d’une protection plus effective des espèces et de leurs habitats, ce qui est regrettable au vu de la richesse et de la diversité des espaces naturels et des espèces animales et végétales uniques présentes sur le territoire des Etats-Unis.