Le sujet sur lequel s’est prononcé la Cour est emblématique des difficultés que peut rencontrer l’Agence de Protection de l’Environnement américaine (Environmental Protection Agency, ou EPA) en matière de régulation des pollutions atmosphériques : une complexité technique impressionnante, des dispositions législatives parfois peu explicites, et une réticence de la part des pollueurs à se voir appliquer des exigences plus strictes.

En l’espèce, il s’agissait de dispositions du Clean Air Act (CAA), la loi américaine sur la qualité de l’air, et plus spécifiquement aux pollutions transfrontières, qui sont causées par des installations présentes sur le territoire d’un Etat, mais qui migrent sous l’effet du vent pour polluer un Etat voisin. L’Etat émetteur fait donc supporter les conséquences négatives pour l’environnement et la santé humaine de ses pollutions à un autre Etat voisin.

Cela pose une difficulté, car les standards de qualité de l’air ambiant prévus dans le CAA sont envisagés à l’échelle de chaque Etat. En effet, l’EPA établit pour chaque Etat des standards de qualité de l’air ambiant (National Ambient Air Quality Standards, ou NAAQS). Pour parvenir à ces standards, chaque Etat est tenu de proposer à l’EPA un plan d’action (State Implementation Plan, ou SIP). Si le plan proposé par cet Etat est jugé insuffisant, l’EPA peut, à tout moment dans un délai de deux ans, lui imposer son propre plan (Federal Implementation Plan, ou FIP).
Cela revient donc pour l’Etat fédéral à imposer des règles en matière de pollution à l’Etat fédéré.

Les pollutions transfrontières sont également prises en compte dans le CAA, depuis 1990. En effet, la loi prévoit une « disposition de bon voisinage » (Good Neighbor Provisions, 42 U.S.C. §7410(a)(2)(D)(i)). Ces dispositions législatives ont nécessité une interprétation de la part de l’EPA, autorité administrative disposant d’un pouvoir réglementaire. Cette interprétation a pris la forme d’une « Règle de transport » (Transport Rule). Selon cette règle, l’EPA calcule selon une méthode « coûts-efficacité » un budget d’émissions, qui correspond à l’argent nécessaire pour limiter les émissions d’un Etat se répercutant sur ses voisins.

En pratique, l’EPA calcule les émissions provenant d’un Etat, et si elles sont responsables de plus de 1% de la pollution atmosphérique dans un Etat voisin, l’EPA procède ensuite à une identification des mesures nécessaires (par exemple, l’installation de filtres sur les cheminées des usines) au meilleur rapport coût/efficacité.

Toutefois, le calcul du budget d’émissions est tellement complexe que seule l’EPA est capable de l’évaluer de manière précise. Dans les faits, plusieurs Etats ont proposé des SIP sans disposer de l’information suffisante pour se conformer aux exigences de la Règle de transport, et ne pouvant proposer de nouveau SIP suffisamment complet avant l’EPA, ils se voient appliquer la loi fédérale, sous la forme des FIP. Ils considèrent que leur manque de marge de manœuvre dans la gestion des budgets d’émissions est injustifiée.

C’est donc dans ce contexte nébuleux que la Cour Suprême a été amenée à se positionner sur la validité de l’interprétation faite par l’EPA des dispositions de bon voisinage du CAA, dans un arrêt EPA v. EME Homer City Generation et al., rendu le 29 avril 2014. Deux questions se posaient :

- D’une part, est-ce que le CAA donnait compétence à l’EPA pour interpréter les dispositions de bon voisinage et imposer la Règle de transport ?
- D’autre part, est-ce que l’interprétation faite par l’EPA des dispositions législatives est raisonnable ?

Ces deux questions sont classiques dans l’appréciation par le juge de la validité de l’interprétation de la loi par une agence administrative : tout d’abord, est-ce qu’elle est compétente pour le faire, et ensuite, est-ce qu’elle l’a fait correctement ?

La décision majoritaire a été rendue par Justice Ginsberg, à six voix contre deux, en faveur de l’EPA. L’opinion dissidente a été rendue par Justice Scalia, qui de manière peu surprenante s’est positionné en faveur de la compétence des Etats fédérés plutôt que d’une autorité fédérale.

La Cour de district de D.C. avait considéré que l’EPA était en tort. En effet, elle estimait d’une part que les Etats qui se voyaient refuser leur SIP devraient avoir une seconde chance de proposer un nouveau plan, dans le délai de deux ans prévu par le CAA, avant que l’EPA ne leur impose son propre FIP. De plus, la méthode de calcul des budgets d’émissions était considérée comme injuste dans la mesure où elle pouvait amener certains Etats à dépenser de l’argent pour remédier à plus de pollutions que ce qu’ils émettent réellement. Une méthode de calcul « par proportion » semble plus juste à la Cour de district.

La Cour Suprême n’est toutefois pas de cet avis. Tout d’abord, elle considère que la rédaction du CAA est claire sur le point de la compétence de l’EPA pour adopter la clause de transport, et dans la mesure où il n’est mentionné nulle part dans la loi que l’EPA doit donner un délai supplémentaire ou une seconde chance aux Etats pour leur SIP, une telle option doit être écartée, car la loi s’interprète en principe strictement.

Sur le point du caractère raisonnable de l’interprétation de l’EPA, la Cour s’appuie sur un précédent dégagé dans l’arrêt Chevron v. NRDC en 1984 : si le texte de la loi est ambigu, l’interprétation qu’en fait l’autorité administrative est celle qui prime, à moins qu’elle ne soit arbitraire (« arbitrary and capricious »).

En l’espèce, la Cour considère que la Règle de transport, même si elle n’est pas exempte de défauts, n’est pas arbitraire, et que l’EPA peut donc l’appliquer. En effet, la méthode « par proportion » est encore plus complexe à mettre en œuvre, au point qu’elle serait techniquement impossible à appliquer, ou alors à des coûts astronomiques. Par comparaison, la méthode « coûts-efficacité » est plus simple à mettre en œuvre et ne contredit pas la lettre des dispositions de bon voisinage, lesquelles n’excluent pas de prendre en considération les coûts et l’efficacité attendue des mesures nécessaires à la limitation des pollutions transfrontières.

Pour ces raisons, la Cour Suprême renverse l’arrêt rendu par la Cour de district et confirme la légalité de l’interprétation faite par l’EPA des dispositions de bon voisinage du CAA, telles que mises en œuvre dans la Règle de transport.