D’une volonté économique de protection des ravages liés à l’agriculture, à l’autorisation de produits phytosanitaires d’une dangerosité avérée impactant les aliments et la qualité des cours d’eaux, sans oublier l’augmentation du taux de prématurés, le chlordécone est un produit toxique dont l’autorisation en France n’aurait jamais dû voir le jour et pour lequel la population antillaise paie un lourd tribu.

Il convient avant tout de savoir que La protection des plantes contre certaines maladies, contre certains champignons et insectes se fait par l’usage de produit phytosanitaire. Ces produits phytosanitaires, (des pesticides) sont de ce fait soumis à l’homologation des autorités pour leur utilisation.


Le chlordécone, un de ces dits produits de cette famille de pesticides a été utilisé en France dans les plantations de bananes des Antilles Françaises dans le but de lutter contre les charançons.

Polluant organique persistant breveté en 1952, il a été interdit aux Etats-Unis dès 1976 tandis que son interdiction officielle en France est intervenue en 1979. Il a cependant été utilisé par voie dérogatoire jusqu’en 1993 aux Antilles.

Ces dérogations ont toutefois eu pour revers de favoriser durablement la pollution des sols et cours d’eau, mais aussi de porter atteinte à la santé des populations se trouvant sur ces sites pollués ou ayant consommé des aliments contaminés par ce pesticide.

En plus, de la croissance du nombre de cancers dans la population (prostate par exemple) liée selon certaines études (Karuprostate) à la contamination par ces pesticides, de nombreuses études scientifiques et communications démontrent une relation étroite entre l’augmentation du nombre des naissances prématurées et la présence de pesticides organochlorés dans le sang des mères de ces enfants.

Suite à ces diverses répercutions, les populations ont dû ester en justice pour dénoncer la responsabilité de l’Etat dans la survenance de ces atteintes afin d’en obtenir réparation.

C’est ainsi qu’il nous semble important de faire un rapide état des lieux de l’utilisation et des conséquences de ce pesticide aux Antilles. C’est ce que nous découvrirons au travers de quatre axes :
- Une autorisation très controversée
- Un impact environnemental très grave
- De graves répercussions sanitaires sur les populations contaminées.
- L’état responsable ?






1. Une autorisation très controversée



L’autorisation de mise en circulation de ce pesticide qu’est le chlordécone a longtemps été repoussée en raison de sa toxicité et des risques d’atteintes pour l’environnement en résultant.

C’est au cours d’une séance de 1968 que le Comité d’Etudes des Produits Antiparasitaires à usage Agricole a examiné une première demande de mise en circulation du Mirex appelé chlordécone faite par la SOPHA, une société basée en Martinique en vue de lutter contre la fourmi-manioc.

L’intervention de la Commission des Toxiques et une étude seront ainsi ordonnées. Deux demandes distinctes d’autorisations seront alors formulées : l’une concernant la lutte contre les fourmi-manioc (un des principaux insectes envahissants), et l’autre ayant trait à la lutte contre les charançons qui ravagent les plantations de banane.

Il convient de rappeler à cet effet que l’enjeu économique était particulièrement important eu égard à la primauté des exportations de l’industrie de bananes sur les îles de la Guadeloupe et de la Martinique (plus de 35 000 personnes en vivraient en Martinique).

Il faut savoir qu’en 1969, que la commission des toxiques rejettera les demandes d’homologation de ce produit à cause du risque pour l’environnement. De nombreuses hésitations verront le jour quant à la répercussion de l’usage de ce pesticide. La Commission des Toxiques soulignant déjà les possibles liens entre l’admission quotidienne de doses de pesticides aussi infimes soient-elles et l’apparition de cancers du foie.


Entre 1969 et 1972, peu convaincu des résultats obtenus sur les animaux, et dans l’attente de preuve épidémiologique chez l’homme, l’interdiction générale de l’usage de cette substance sera assouplie permettant sa mise sur le marché.
Des organochlorées (comprenez par-là, des toxines neurotropes qui altèrent le fonctionnement des canaux sodium indispensables à la transmission de l'influx) comme le Kepone, le Mocap et le nemacur (produits phytosanitaires comprenant du chlordécone) seront déclassés par la Commission, du tableau des substances vénéneuses (du tableau A au tableau C), leur permettant ainsi d’être utilisé comme produit phytosanitaire.

Le Mirex 450 (qui est un organochloré dont la structure chimique est très proche de celle du chlordécone), sera aussi autorisé provisoirement par la Commission en 1970 puis renouvelée en 1972.

Utilisé en grande quantité à partir de 1972, le Képone sera interdit à la production et à la vente par l’EPA en 1976 mais sa nocivité sur les ouvriers agricoles de Martinique avait déjà été une triste réalité. En témoigne en 1974 cette femme enceinte de 4 mois qui faillit perdre la vie après la mort de son enfant qui se décomposait déjà en son sein.

Notons enfin qu’en 1977, le rapport SNEGAROFF démontrera que de graves pollutions des sols des bananeraies et de milieux aquatiques provoquées par le chlordécone étaient établies en Martinique.

Le chlordécone sera alors classé en 1979 comme cancérogène par le centre international de rechercher sur le cancer (CIRC).

Mais tel un serpent de mer il réapparaitra. En effet, suite au passage des cyclones David (1979) et Allen (1980) en Martinique, la situation des agriculteurs est critique, les charançons en plein développement. L’arrivée de l’autorisation de la commercialisation du Curlone qui est un nouveau produit à base de chlordécone leur permettra de passer cette crise et de se servir de nouveau de ce profitable poison.

L’interdiction du chlordécone sera ensuite préconisée par le ministère de l’agriculture en 1989. L’interdiction effective de cette molécule n’aura lieu cependant qu’en février 1990.

Cette interdiction sera cependant à géométrie variable car un jeu de dérogation spécifique à la Martinique et à la Guadeloupe permettra de poursuivre son utilisation.

Il semble en fait que la pression du lobby de la banane et les intérêts financiers aient souvent pris le pas sur la sauvegarde de l’environnement, au détriment de la santé de monsieur tout le monde.

Suite à sa large utilisation et à cause de la persistance du chlordécone dans de nombreux sols plantés en bananes, aujourd’hui l’heure est au bilan, à la mise en place d’études sanitaires et de cartographies sur l’état de pollution des sols et des eaux.

Chacun le conçoit, il semble tout aussi déterminant de vérifier le taux de contamination de certaines denrées végétales ou animales couramment consommées par l’homme.



2. Un impact environnemental très grave



La question de la pollution des eaux de surface et des eaux de sous-sol contaminées est primordiale pour les populations car lorsqu’un environnement naturel est touché, il impacte aussi un tissu social et économique.

Il faut savoir que 2651 exploitations agricoles en Martinique soit 1400 hectares sont concernées par cette pollution. Sur les 1313 parcelles qui ont été examinées 42,3% ont été contaminées par du chlordécone ou une molécule proche. De plus, 18% des végétaux portent des traces de cette contamination, parmi eux de nombreux légumes forts appréciés de la population comme les ignames, les patates douces, les dachines.

Actuellement il semble que les eaux douces et les eaux de littoral fassent aussi l’objet d’une grande attention pour éviter que d’autres aliments ne soient contaminés.

Il faut savoir aussi qu’un arrêté préfectoral du 7 octobre 2007 a dû être pris pour réglementer la pêche et la mise sur le marché d’espèces de la faune marine dans certaines zones maritimes de la Martinique liées avec les bassins contaminés par la chlordécone.

On ne peut passer non plus sous silence une étude d’août 2012 réalisée par l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation en Mer (IFREMER) qui a fait état d’une contamination très forte des langoustes au-dessus des seuils réglementaires de 20 µg/kg de chlordécone.

Une nouvelle zone d’interdiction de la pêche à la langouste a dû aussi être prise par un arrêté préfectoral du 20 novembre 2012, en raison de la forte accumulation du taux de chlordécone par les deux espèces présentes dans cette zone (la blanche (Panulirus argus) et la brésilienne (Panulirus guttatus).

On le voit un produit utilisé sans prendre en compte sa nocivité réelle peut détruire la vie, toutes les formes de vie.


3. De graves répercussions sanitaires sur les populations contaminées


Il est régulièrement démontré les atteintes subies par l’homme suite à son exposition au chlordécone. En effet, la liste semble s’allonger au fil des études qui sont menées sur la population. Comme pour la plupart des toxiques un impact sur le système nerveux a été démontré, en plus d’une atteinte au foie, le ralentissement du développement du fœtus et du nourrisson a été observé, et plus récemment le risque de prématurité de certains enfants a été révélé par une étude française.

Le chercheur Luc Multigner va publier pour sa part en 2003 les résultats d'une étude relative à l'impact des pesticides sur la fertilité des ouvriers des bananeraies. Cette étude permettra d’observer une altération du sperme ou du niveau des hormones pour les ouvriers qui ont appliqué plus de quatorze ans ces pesticides.

Par la suite l'étude épidémiologique sur les cancers de la prostate, lancée en 2005 a démontré que toute la population antillaise a été contaminée, par voie alimentaire. Si 90% des hommes, femmes et bébés présentaient des niveaux détectables de chlordécone dans le sang, cette étude a permis d’observer les valeurs les plus élevées chez les ouvriers de la banane.

Le rapport du cancérologue Dominique Belpomme publié quant à lui en 2007 établit un lien entre certains pesticides dont le chordécone et le fort taux de cancer de la prostate, de même que les malformations congénitales et les cas de stérilité.

Malgré tous ces indices révélateurs, l’institut de veille sanitaire estime qu’il n’est démontré aucun lien entre le taux élevé de certains de ces cancers et l’exposition aux pesticides dans les Antilles. Toutefois ce même institut n’exclut pas la possibilité qu’il existe des risques pour la santé en cas d’exposition à long terme avec des organochlorés comme le chlordécone.


On peut néanmoins dire sans se tromper que l’étau se resserre petit à petit sur le chlordécone ; ainsi la direction régionale de la concurrence et de la consommation des fraudes (DCCRF) a mis en évidence que 12,5% des légumes racines analysés étaient contaminés par cet organochloré et que même des légumes aériens comme le concombre l’étaient aussi.

A l’initiative de différents services de l’état des analyses se multiplient et un arrêté préfectoral impose aux agriculteurs des analyses préventives des sols avant la mise en culture de certains légumes racines.




4. L’Etat responsable ou pas ?



L’utilisation du chlordécone aux Antilles pose de nombreuses questions quant aux conditions qui ont mené les autorités de l’époque à mettre en circulation ce produit. Les nombreux rapports faisant état de la dangerosité de ce produit établis par des agences régionales, nationales et internationales principalement américaines de l’époque interpellent et ne permettent pas de comprendre pourquoi une telle autorisation a été accordée.

Avant même que les demandes de mise en circulation de produits composés de chlordécone ne parviennent aux autorités françaises mais aussi lors de son utilisation, la connaissance d’importants risques étaient connus grâce à des études comme celles réalisées par les laboratoires américains de chimie et de toxicologie dès la fin des années 1950, ou les rapports Kermarrec et Snegaroff de la fin des années 1970 en France.

Le cancérologue Dominique Belpomme a comparé l’affaire relative au chlordécone à celle du sang contaminé dans laquelle les pouvoirs publics ont agi avec un laxisme tel qu’il a permis la contamination de nombreuses personnes. Suite à ces déclarations de 2007 et à la plainte contre X ayant pour chef d’accusation la « mise en danger de la vie d’autrui et l’administration de substances nuisibles », l’affaire qui avait été déboutée a fait l’objet d’une première avancée en 2009 avec la désignation d’un expert. Cette expertise avait pour but d’éclairer madame le magistrat Bamberger sur l’état de connaissance du chlordécone lors de son introduction par les autorités, mais aussi sur les conséquences sanitaires et l’établissement d’un lien entre l’exposition au pesticide et les pathologies.

La plainte déposée conjointement en 2006 par l’Union des producteurs de la Guadeloupe (UPG), par l’Union régionale des consommateurs de la Guadeloupe (URC), mais aussi par des associations martiniquaises, et par la Confédération paysanne, devrait permettre l’établissement de la responsabilité des autorités dans l’introduction de ce pesticide. Maître Harry Durimel, un des avocats des plaignants, a pu déclarer que ces derniers espéraient obtenir la responsabilité des autorités pour avoir « fait primer des intérêts économiques sur la protection des personnes. »

Il est à noter que les expertises réalisées dans le cadre judiciaire ont une plus grande importance que les études menées par des experts indépendants, même si ces dernières peuvent se révéler être des éléments probants et importants.

Il ne faut surtout pas oublier que l’aspect financier représente des sommes faramineuses dans cette affaire, car en plus de la nécessité de réaliser des études et expertises complémentaires, le montant des indemnisations serait particulièrement élevé puisqu’il devrait couvrir la remise en état des hectares pollués, le reclassement professionnels de certains agriculteurs, l’indemnisation des professionnels de la pêche ou encore le traitement médical des personnes atteintes.

Les mêmes causes dit-on souvent produisent les mêmes effets.
Certains en Martinique ayant constaté que l’esclavage avait été reconnu comme crime contre l’humanité demandent en vain que les victimes (descendants d’esclaves) en soient dédommagées.

Auront-ils plus de chance aujourd’hui dans leur démarche avec la pollution au chlordécone pour cibler les responsabilités, quand on sait que ce sont les mêmes profiteurs avec les mêmes soutiens de l’état qui ont fauté par le passé et qui causent aujourd’hui ces dévastateurs impacts « chlordéconés » ?




Sources :



http://www.senat.fr/rap/r08-487/r08-48721.html
http://www.actu-environnement.com/
http://coordination-maree-noire.eu/spip.php?article18465&lang=pl
http://www.martinique.franceantilles.fr/
http://www.guadeloupe.franceantilles.fr/
http://www.anses.fr/
http://www.lemonde.fr/
http://sante.lefigaro.fr/
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Chlordecone.html
http://www.martinique.pref.gouv.fr/
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2430.asp
http://www.observatoire-pesticides.gouv.fr/index.php?pageid=579
http://www.lemarin.fr/articles/detail/items/guadeloupe-un-nouveau-zonage-des-interdictions-de-peche-en-raison-du-chlordecone.html
http://www.reporterre.net/
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&ved=0CFkQFjAE&url=http%3A%2F%2Fwww.martinique.pref.gouv.fr%2Flayout%2Fset%2Fprint%2Fcontent%2Fdownload%2F2625%2F15053%2Ffile%2FDP%2520Langoustes-chlord%25C3%25A9cone.pdf&ei=iwNFU7O6JsW70QWjhIHgCg&usg=AFQjCNFj9NhZAKo8lM0Ek8W_U6h0L1QrfA&sig2=R5yd4WrfV1m1YIJmI7Eekg&bvm=bv.64507335,d.Yms