Les unités de biodiversité sont un outil de compensation écologique qui répond au souci de réparation du dommage causé à l’environnement, mais à un type particulier de réparation : la réparation par compensation en nature. Ce système trouve ses origines dans le mécanisme américain des mitigation banks qui s’appuie à préserver, renforcer, remettre en état, ou créer des espèces ou habitats. Les unités de biodiversité ont d’abord été mise en place dans la loi sur la responsabilité environnementale du 1er août 2008, avant d’être développées sous forme de marché par des privés. Il s’agit d’une démarche à part qui s’apparente aux quotas d’émission de gaz à effet de serre (GES) en ce qu’elle crée un nouveau marché indépendant amené à se développer au regard de la conjoncture actuelle. Pour le moment, l’organisme qui en a le monopole est CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des Dépôts et Conciliations.
Philippe Billet(1) décrit de façon simple et précise l’articulation du système appliqué aux zones humides : « des sociétés spécialisées créent ou protègent des zones humides et vendent ensuite des crédits « zones humides » aux aménageurs, garantissant ainsi la réalisation des objectifs environnementaux sans perte de la valeur totale et entrainant dans le même temps une concurrence entre les entreprises. »

Bien que cette initiative constitue des avantages, notamment au regard de l’adéquation du mode de réparation au dommage écologique, elle présente également de forts inconvénients, comme en témoignent les problématiques soulevées récemment par le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.


I) Avantages

Le premier avantage perceptible des unités de biodiversité est le fait qu’elles constituent une compensation en nature qui semble a priori bien plus adéquate que la compensation par équivalent monétaire. Alexandra Langlais(2) parle même d’ « équité environnementale » qu’il serait possible d’atteindre. Christian Huglo(3) avait, quant à lui, avancé cette méthode de compensation dans le cadre de la réparation du préjudice écologique lors de l’affaire de l’Erika.
De plus, le contrôle et l’accord pour ce système de réparation sera effectué par l’Etat, entité publique que l’on peut supposer indépendante des marchés concernés.
En outre, ce mécanisme de réparation est accessible aussi bien aux personnes publiques qu’aux personnes privées.
Mais le point qui semble le plus lourd de conséquences s’attache à la responsabilité du pollueur dans ce cadre. En effet, même s’il est procédé à une délégation de la société responsable du dommage pour la mise en œuvre des actions de réparation à l’organisme compétent, sa responsabilité n’est pas transférée, aussi bien pour le dommage causé que pour les actions de réparation et ses conséquences.


II) Inconvénients

En revanche, le système d’unités de biodiversité et la création d’un marché dédié présente de nombreux aspects négatifs. Tout d’abord, cette façon de fonctionner implique d’attribuer un prix à certains éléments et services de la nature, et de leur attribuer un propriétaire disposant de droits dessus. Or, dans une interview donnée à Actu Environnement le 3 avril dernier(4), Vincent Hulin, chef de projet à la mission Economie de la biodiversité chez CDC, affirmait que « la biodiversité ne peut pas fonctionner comme le marché carbone [parce qu’]on ne trouvera pas une évaluation monétaire de la biodiversité. » Il affirme qu’ « il ne faut pas monétariser la nature » et que « même d’un point de vue économique cela ne peut pas tenir ». De plus, attribuer un propriétaire aux éléments de la nature irait à l’encontre de l’idée selon laquelle cette dernière est un bien commun, collectif, le bien de tous et de chacun.
Il parait important de noter que cette forme de réparation est limitée dans son application en ce qu’elle est restreinte aux dommages résiduels, et dans sa durée en ce que « l’aire de compensation ne serait affectée à cette fonction pour un projet donné que pour une durée limitée »(1). Ce n’est donc pas une solution qui permette de compenser la perte environnementale sur le long terme.
Se pose également le souci d’équivalence entre les milieux endommagés et ceux destinés à la réparation. En effet, les milieux en question doivent se correspondre sur plusieurs points mais ne peuvent pas nécessairement s’équivaloir en termes de caractéristiques naturelles et d’emplacements géographiques. Philippe Billet parle ainsi de « fongibilité […] qui tendrait à considérer qu’un espace ou une espèce donnée peuvent être remplacés par un autre espace ou une autre espèce, niant ainsi les spécificités »(1). De la même façon, les unités de biodiversité remettent en cause l’efficacité des corridors écologiques mis en place pour contraindre les maitres d’ouvrages à modifier la trajectoire de leurs projets dans le but de préserver certains espaces naturels particuliers.
Alexandra Langlais(2) affirme, en outre, que ce système pourrait ouvrir à des « permis de détruire », comme les quotas d’émission de GES ont ouvert la voie à des permis de polluer. Elle ajoute que cette démarche possède une dimension préventive et réparatrice en affirmant que « l’atteinte n’est […] pas prévue mais organisée ». De cette façon, l’aspect dissuasif qui peut exister à travers les autres formes de réparations du préjudice écologique ne passe alors que par le coût de ces unités de biodiversité et de leur gestion. A contrario, Agathe Van Lang soutient que la compensation écologique curative « doit rester subsidiaire par rapport aux mesures préventives » telles que « l’évitement et la réduction des impacts »(5).
Dernièrement, une avancée importante a eu lieu dans la mise en place de ce marché compensatoire d’unités de biodiversité : le 9 avril 2014 sera signée une convention de partenariat entre la CDC et la Fédération des Parcs Naturels Régionaux de France(6). Cette dernière veut faire des services écosystémiques et de la biodiversité un axe fort de développement économique des territoires en passant notamment par le développement du marché des unités de biodiversité. Cette démarche, inscrite dans la continuité du projet de la nouvelle stratégie nationale de transition énergétique vers un développement durable (SNTEDD) de 2014 à 2020 serait alors validée au plan national.


III) Application concrète et actuelle : les zones humides du projet de Notre-Dame-des-Landes

Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pose de nombreuses problématiques quant à l’application du système de compensation en nature par les unités de biodiversité en ce qui concerne les zones humides présentes sur le vaste terrain du projet.
Pour bien comprendre quels sont les enjeux soulevés par cette affaire, il convient de revenir sur le statut des zones humides, notamment à travers l’article d’Agathe Van Lang(5), fondé sur les conclusions des experts désignés pour l’analyse de ce projet. Ces zones humides sont protégées par différents textes européens, législatifs et règlementaires. C’est le cas de la directive cadre sur l’eau n°2000/60/CE du 23 octobre 2000 qui affirme le rôle majeur des zones humides pour atteindre le bon état écologique de l’eau et des milieux aquatiques d’ici 2015.
Les experts mettent également en avant le SDAGE Loire Bretagne qui concerne ce projet, adopté en 2009 pour la période 2010-2015, et qui expose que la préservation, la restauration et la recréation, là où elles s’imposent, des zones humides, sont des enjeux majeurs. Ce même SDAGE a définit les dispositions à respecter pour la mise en place de cette compensation par le maitre d’ouvrage (« dans le même bassin versant, recréation ou restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et qualitatif de la biodiversité, ou égale à au moins 200% de la surface supprimée le cas échéant) et dispose d’une réelle portée juridique.
Mais c’est le Code de l’environnement qui fournit les textes les plus strictes. En effet, pour certaines zones humides présentant un « intérêt environnemental particulier », toute destruction même partielle est interdite. Les différents textes posent donc un « principe de protection des zones humides ».
Sur le fondement de ces textes, le collège d’experts démontre dans ses conclusions du 9 avril 2013 de nombreuses insuffisances en matière de compensation environnementale(7). En voici une liste :
- La méthode proposée par le maitre d’ouvrage est contraire aux dispositions du SDAGE précité ;
- Cette méthode est trop complexe pour que les citoyens puissent la comprendre ;
- Elle ne prend pas en compte le risque d’échec ;
- Il n’est fait référence qu’à des obligations de moyens ;
- La faisabilité de la restauration de certains habitats n’est pas démontrée ;
- La compensation à l’identique des milieux détruits est quasiment impossible.
C’est pourquoi plusieurs recours ont été formés par les diverses associations actives dans le but de faire annuler les arrêtés autorisant les travaux (nouveaux recours déposés le 3 février dernier), au motif que les mesures prévues sont insuffisantes. Les requérants s’appuient pour cela sur les conclusions précitées des trois commissions nommées par le gouvernement. Dans son article(5), Agathe Van Lang souligne malheureusement que les différents recours qui avaient été menés jusqu’à lors n’ont pas conduit à invalider le projet parce que le juge estime que « les mesures pour limiter et compenser les nuisances environnementales ne sont pas insuffisantes ».

Le sort des zones humides de l’espace concerné par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes repose désormais sur les décisions futures des juridictions qui auront, par la même occasion, de lourdes conséquences sur le développement et la mise en valeur de tout le système de marché d’unités de biodiversité jusque là en essor.



Références :
(1) Philippe Billet, « La nature n’a pas de prix. Vendons-la ! » A propos des unités de biodiversité, Environnement et Développement Durable, juin 2008.
(2) Alexandra Langlais, Le droit de la biodiversité à l’aune du développement durable ou l’ouverture à de nouvelles formes d’équité environnementale ? L’exemple controversé de la compensation écologique, in Agnès Michelot, Equité et environnement : Quel(s) modèle(s) de justice environnementale ?, édition Larcier, 1ère édition, juillet 2012.
(3) Christian Huglo, La question du dommage écologique en voie de solution, Environnement et Développement Durable, juin 2010.
(4) http://www.actu-environnement.com/ae/news/vincent-hulin-cdc-biodiversite-paiement-services-ecosystemiques-21263.php4#xtor=ES-6
(5) Agathe Van Lang, Le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes à l’épreuve de la compensation écologique – et inversement, Droit Administratif, novembre 2013.
(6) http://www.actu-environnement.com/ae/news/economie-biodiversite-convention-partenariat-caisse-depots-parcs-naturels-regionaux-21212.php4
(7) http://www.actu-environnement.com/ae/news/aeroport-notre-dame-des-landes-compensation-ecologique-18249.php4