Le projet de loi pour l'accès au logement et à l'urbanisme rénové, déposé par la ministre de l’égalité des territoires et du logement à l'été 2013, ambitionne d'apporter une réponse à la crise du logement (1). Il s’agit de permettre un meilleur accès à l’immobilier, notamment pour les personnes défavorisées, en régulant le marché privé de l’immobilier et en simplifiant les procédures pour l’accès au logement social (2). Par ailleurs, le projet de loi joue sur l’offre en encourageant la construction d’immeubles neufs satisfaisant aux exigences environnementales issues du Grenelle, et cherche à lutter contre l’étalement urbain dans son volet de modernisation de l’urbanisme.

Lors de sa première lecture au Sénat en septembre 2013, le texte s'est également enrichi d'un volet environnemental relatif aux sols pollués et à leur remise en état au terme de l’exploitation d’une installation classée. L’article 84 bis du projet de loi est envisagé comme un complément aux dispositions relatives au droit de l’urbanisme, dans la mesure où il cherche à lutter contre les friches industrielles et les sites orphelins, qui empêchent la redensification de l’espace urbain (3).

Mais en seconde lecture devant l'Assemblée nationale, l’article 84 bis est rejeté dans son ensemble. En effet, les députés estimaient qu’au vu des enjeux, notamment économiques, ces dispositions auraient du faire l’objet d’une loi séparée, ou tout du moins d’une étude de leur impact sur les acteurs économiques et le droit de l’urbanisme (4).

Ces dispositions auraient pu en rester là, et tomber dans les limbes du calendrier parlementaire en attendant leur examen dans une nouvelle loi spécifiquement consacrée aux sols pollués. C’était sans compter leur rétablissement par le Sénat en seconde lecture du texte (5), par la suite confirmé en commission mixte paritaire le 11 février 2014 (6). En attendant le vote du texte, ces dispositions semblent acquises. Quel est leur contenu ?

L’article 84 bis prend en compte les sols pollués sous le prisme des outils d’urbanisme, avec la création de « zones de vigilance ». Il s’intéresse également à la remise en état d’une exploitation classée, en établissant une hiérarchie des responsables et en ouvrant la possibilité à un tiers demandeur de prendre en charge la remise en état.

1. La création de zones de vigilance

Le projet de loi remplace les dispositions à l’origine peu explicites de l’article L. 125-6 du code de l’environnement, qui prévoyait à la charge de l’Etat une publicité de l’information relative aux risques de pollution des sols. Issue du Grenelle, cette obligation ne pouvait être effective en l’absence de décret d’application.

Un projet de décret avait été élaboré en 2011, mais n’avait pas vu le jour (7). Il préconisait notamment la création de zones de vigilance, et l’utilisation d’outils d’urbanisme pour leur délimitation et leur prise en compte à l’échelle des communes. Les grandes lignes du projet de décret ont donc été reprises dans la loi ALUR, qui prévoit l’élaboration par l’Etat d’une carte des « zones de vigilance », où la connaissance de l’état de pollution des sols présente des risques, et justifie des études et mesures de gestion. Par ailleurs, un document graphique inventoriant ces zones de vigilance est annexé au plan local d’urbanisme ou à la carte communale.

Si un terrain se trouve dans une de ces zones de vigilance, le propriétaire est tenu d’une obligation d’information au profit de l’acquéreur ou du locataire, à peine de résolution du contrat ou de restitution d’une partie du prix de vente. Le mécanisme rappelle à ce titre l’obligation d’information pesant sur le propriétaire d’un terrain situé dans le champ d’un plan de prévention des risques (8).

2. La possibilité d'une remise en état par un tiers intéressé

Un autre apport de l’article 84 bis réside dans la possibilité pour le dernier exploitant d’une installation classée de confier la remise en état à un « tiers intéressé ». Prévue à l’article L. 512-21 du code de l’environnement, cette possibilité est toutefois encadrée. En effet, elle ne peut se faire sans l’accord préalable de l’administration, et le tiers est soumis aux mêmes contraintes, notamment en termes de garanties financières et de responsabilité administrative, que le dernier exploitant.

Toutefois, l’ouverture de cette possibilité nouvelle pourrait faciliter la remise en état du site, en la confiant à un tiers dont les compétences techniques (et parfois aussi la plus grande solvabilité) lui permettraient de procéder de manière plus efficace et moins coûteuse (9).

De plus, dans une logique de plus grande effectivité de la dépollution, l’article L. 556-1 du code de l’environnement permettrait, dans le projet de loi, une intervention de l’ADEME pour dépolluer davantage le site ayant déjà fait l’objet d’une remise en état. En effet, cette remise en état se fait au regard de l’usage futur du site. Si le maître d’ouvrage à l’initiative d’un changement d’usage du site le juge utile, il peut faire appel à l’ADEME pour mettre en conformité le site avec le nouvel usage envisagé. Toutefois, il n’est pas précisé qui prend en charge le coût de cette dépollution supplémentaire, dont les modalités seront probablement laissées à l’appréciation du futur décret d’application.

3. Une hiérarchisation des responsables

Enfin, le projet de loi prévoit l’ajout d’un article L. 556-3 au code de l’environnement, qui dans son II. identifie un responsable supportant le coût de la dépollution, sur lequel l’administration peut exercer son pouvoir de police. Conformément à la législation sur les installations classées, le premier responsable est le dernier exploitant de l’installation classée à l’origine de la pollution des sols. En l’absence d’installation classée, c’est le producteur ou le détenteur des déchets qui sont responsables.

De manière subsidiaire, le propriétaire peut également voir sa responsabilité engagée, s’il a fait preuve de négligence ou s’il n’est « pas étranger » à la pollution constatée sur son terrain.

Si ces dispositions apportent une consécration législative bienvenue à une solution dégagée par la jurisprudence administrative (10) et civile (11), on peut regretter que la notion de négligence n’ait pas été davantage explicitée dans la loi. En effet, le juge administratif avait caractérisé la négligence pour un propriétaire dont le comportement confinait à la faute, sans pour autant apporter une définition générale de la notion (12). En l’absence d’une délimitation claire des obligations du propriétaire, on peut penser que le contentieux en la matière se poursuivra.

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(1) Exposé des motifs du projet de loi, présenté devant l’Assemblée nationale par Mme Cécile DUFLOT, ministre de l’égalité des territoires et du logement, le 26 juin 2013
http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1179.asp

(2) Pour un panorama des apports de la loi ALUR en matière de logement (en particulier de logement social), voir le Dossier « Projet de loi ALUR : gestion immobilière » AJDI 2013, n°9, p. 561

(3) Texte adopté par le Sénat en première lecture le 26 octobre 2013 : http://www.senat.fr/leg/tas13-025.html

(4) Compte-rendu des débats de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, rejetant l’article 84 bis
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-eco/13-14/c1314046.asp

(5) Examen du texte en seconde lecture par le Sénat le 31 janvier 2014 (compte-rendu intégral des débats), extrait des débats relatifs à l’article 84 bis
http://www.senat.fr/seances/s201401/s20140131/s20140131008.html

(6) Texte élaboré par la commission mixte paritaire, déposé le 11 février 2014 : http://www.senat.fr/leg/pjl13-356.html

(7) Lancement d’une consultation sur le décret d’application des articles L. 125-6 et L. 125-7 du code de l’environnement, 4 novembre 2011 (mis à jour le 6 septembre 2012)
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Lancement-d-une-consultation-sur,24946.html

(8) Article 125-5 du code de l’environnement

(9) Le contrat, un instrument de l’ordre public environnemental ? M. Boutonnet, D. 2013. 2528

(10) CE 26 juill. 2011, req. n° 328651, Lebon T. ; AJCT 2011. 572, obs. M. Moliner-Dubost ; AJDA 2011. 1528 ; D. 2011. 2694, obs. F. G. Trébulle ; AJDI 2012., obs. B. Wertenschlag et T. Geib

(11) Civ. 3e 11 juillet 2012, n° 11-10.478, AJDA 2012. 1436, obs. R. Grand ; D. 2012. 2208, note M. Boutonnet

(12) CE 25 septembre 2013, société G., c/ commune de Palais-sur-Vienne, n° 358923, AJDA 2013 1887