La criminalité environnementale semble se répandre à l'échelle internationale. Certains appellent à la reconnaissance d'un crime contre l'environnement : l'écocide.


"Le terme d'écocide doit être réservé aux cas les plus graves d'atteintes à l'environnement, car il renvoie à l'homicide et au génocide", indique Laurent Neyret, professeur de droit privé à l'Université d'Artois, lors d'une conférence à l'Assemblée nationale consacrée au droit de l'excellence environnementale. L'écocide relèverait selon lui d'une criminalité "extraordinaire", laquelle serait en pleine expansion à l'échelle internationale. Le professeur évoque notamment l'agent orange utilisé par l'armée américaine au Vietnam, tout en précisant que l'écocide ne doit pas être limité aux temps de guerre.

Peuvent alors être rappelées l'affaire du Probo Koala, ce cargo qui a déversé des déchets dangereux à Abidjan, ou encore l'affaire Chevron, dans le cadre de laquelle la société américaine exploitante de pétrole a été condamnée à une amende de 8 milliards de dollars par un tribunal équatorien. La question de la responsabilité pénale des entreprises transnationales est ainsi posée. Le crime d'écocide serait alors pour Laurent Neyret l'occasion d'étendre aux personnes morales la possibilité d'être poursuivies devant la Cour pénale internationale (CPI).

Une idée que soutient Mireille Delmas Marty, professeur de droit, considérant que la soft law et la hard law doivent se combiner. Si la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) est utile, elle ne sera efficace que si elle est entendue dans le sens de "rendre des comptes" et d'être sanctionné faute de l'avoir fait. Pour William Bourdon, avocat au barreau de Paris et président de l'association Sherpa, "l'excellence environnementale suppose que la soft law se convertisse de gré ou de force en hard law".

Garantir la sûreté de la planète

La mafia environnementale est déjà réprimée aux Etats-Unis où l'Agence environnementale américaine publie des "wanted" à l'encontre des auteurs de crimes contre l'environnement, rappelle Laurent Neyret, qui souhaiterait la création d'une juridiction spécialisée au sein de la CPI afin de juger ces atteintes graves à l'environnement. Un point sur lequel William Bourdon affiche un certain scepticisme. Il rappelle le temps qu'il a fallu pour institutionnaliser la CPI, encore boycottée par les Etats les plus puissants. De la même façon, l'idée d'une Organisation mondiale de l'environnement (OME) reste contestée.

Mais de nombreuses initiatives émergent en pratique dans le sens de la reconnaissance de l'écocide. L'idée figurait notamment dans les travaux précurseurs du statut de la CPI, et plus particulièrement dans le projet de code de crime contre la paix et la sécurité de l'humanité. "Si cela a été consacré comme suffisamment sérieux à l'époque, il est donc désormais grand temps de s'y consacrer", plaide Laurent Neyret. Selon lui, deux voies seraient envisageables. La première viserait à inscrire le crime d'écocide dans le droit interne d'un pays et créer une convention internationale pour permettre une coordination et une cohérence entre ces droits. La seconde serait d'inscrire le crime d'écocide dans le droit international afin qu'il soit poursuivi indépendamment des dispositions de droit interne. La violence écologique serait ainsi sanctionnée pour garantir le principe de sûreté de la planète (développé par le professeur Delmas Marty), à l'image de la répression des crimes contre l'humanité qui vise à préserver la dignité humaine.

Répression pénale insuffisante

Mais, pour Mireille Delmas Marty, il faut avant tout "responsabiliser les acteurs" car "la division en Etat souverains contredit l'impératif de solidarité planétaire". Le principe de souveraineté des Etats est en effet un obstacle à la reconnaissance de l'écocide selon Laurent Neyret, puisque chaque Etat est libre quant à l'établissement de sa politique criminelle. Or, créer une compétence universelle pour la sanction de l'écocide supposerait que tous les pays puissent poursuivre cette infraction, ce qui entraînerait un "vaste chaos judiciaire", affirme Mireille Delmas Marty. On peut néanmoins douter de la coopération des Etats corrompus, souligne William Bourdon. Sur ce point, Eva Joly, députée européenne écologiste, est catégorique : il faut avant tout éradiquer la corruption qui commande ces crimes contre l'environnement.

"Si les mafias font une certaine transhumance du crime habituel, notamment de la criminalité en matière de stupéfiants vers la criminalité environnementale, c'est parce que le risque pénal en la matière est particulièrement réduit", souligne Laurent Neyret, démontrant la nécessité de la reconnaissance de l'écocide. Elle donnerait les moyens aux pays émergents de poursuivre l'auteur et de faire appliquer une sanction effective, confirme Mireille Delmas Marty, dénonçant l'inapplication de la sanction prononcée par le tribunal équatorien à l'encontre de la société américaine Chevron.