L’article 27 de la Loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, codifiée à l’article L.512-17 du Code de l’environnement, a créé une procédure de fixation de l’usage futur d’un ancien site industriel. Suite à une cessation d’activité, il incombe à l’exploitant de « remettre le site en état », mais en état de quoi ?

L’exploitant souhaite toujours, ou presque, effectuer une remise en état qui permettra un usage industriel : pour des raisons pécuniaires – tel que l’inexistence de technique disponible à des coûts raisonnables – mais pas seulement, puisque les industries lourdes peuvent grever des sols, ce qui nécessite de leur apposer des servitudes qui en limitent les usages possibles. Au contraire, les collectivités locales souhaiteront obtenir les terrains les plus « propres » possible à moindre frais, afin de mettre en œuvre leur politique d’aménagement urbain.

De l’un à l’autre, il y a un gouffre, celui des frais de dépollution : qui prend en charge le surcoût de dépollution du site, c'est-à-dire la différence de prix entre une réhabilitation destinée à accueillir des habitations en lieu et place d’industries ?

Les collectivités locales soulèvent le principe du « pollueur payeur » : pourquoi devraient-elles assumer financièrement une pollution dont elles ne sont pas responsables ? De même, les exploitants ont bien souvent acquis ces sites en vue d’un usage industriel, donc ils les réhabilitent en vue de ce même usage ; pourquoi devraient-ils aller au-delà ? Comment pouvaient-ils prévoir, et donc provisionner, les dépenses induites par des dépollutions supplémentaires ? Les enjeux financiers sont importants, et dépassent parfois la valeur vénale du site.

Les parlementaires ont pesé le poids de chaque mot afin de parvenir à ce compromis. Selon le premier alinéa de l’article L.512-17, la négociation entre l’exploitant et l’autorité compétente en matière d’urbanisme est la règle – la mise en œuvre de cette procédure est détaillée par l’article R.512-75, re-numéroté, issu du décret du 13 septembre 2005 (1). A défaut d’accord, le deuxième alinéa précise que l’usage retenu sera « un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation ». Ainsi le partage des coûts est fixé : l’ancien exploitant remet en état en vue d’un usage industriel ; le nouvel acquéreur prend en charge le changement de destination du site et les coûts induits.

Mais l’article L.512-17, s’est vu attribuer deux cas d’exception lors de sa dernière rédaction. Son quatrième alinéa prévoit que les arrêtés d’autorisations fixeront l’usage futur du site lors de sa cessation d’activité. Une fois que toutes les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) autorisées avant le 1er février 2004 auront cessé leur activité, il n’y aura, a priori, plus de « contentieux » sur la détermination de l’usage dans la mesure où celui-ci aura été établit dés les premiers pas de l’installation.

Le point d’achoppement de ce texte est son troisième alinéa dans la deuxième exception qu’il introduit, que nous appellerons « l’exception d’urbanisme ». Elle concerne directement les ICPE dont l’usage futur n’a pas été défini par leur arrêté d’exploitation. En cas de désaccord entre les parties, les autorités compétentes en matière d’urbanisme et le préfet ont la faculté de soulever « l’incompatibilité manifeste » de l’usage futur retenu par l’exploitant – le plus souvent un usage industriel – avec les documents d’urbanisme, et « l'utilisation des terrains situés au voisinage ». L’article R.512-75 énonce que « le préfet se prononce sur l'éventuelle incompatibilité manifeste ».

Cette exception donne un large pouvoir d’interférence aux collectivités locales, qui ont saisi cette opportunité. Une modification adéquate des documents d’urbanisme, tel que le Plan Local d’Urbanisme, peut aboutir à requalifier une zone à usage industriel (UG) en zone à urbaniser (2AU). Dès lors, une fois que l’exploitant cesse son activité, l’usage futur du site qu’il proposera sera examiné à l’aune des documents d’urbanisme en vigueur au moment de la cessation – qui auront été préalablement modifiés – ainsi la non-conformité sera avérée, puisque recherchée. De ce fait, les collectivités locales peuvent espérer récupérer des terrains aptes à recevoir des habitations, sans avoir à en assumer les frais de dépollution.

Avant la création de l’article L.512-17, la Cour Administrative d’Appel de Douai (2) avait pu confirmer un arrêté préfectoral (3) qui intimait à un ancien exploitant de « rendre compatible l’état du site avec les projets envisagés sur celui-ci ». Après avoir exproprié l’exploitant, la commune de Saint-André-lez-Lille a modifié le Plan d’Occupation des Sols en changeant la destination du site. L’exploitant n’était pas à l’origine de ce changement de destination, qui est intervenu postérieurement à l’acquisition, et pourtant il a été condamné à dépolluer le site afin qu’il puisse recevoir des habitations Haute Qualité Environnementale. Les arguments soulevés par la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, qui prônait une remise en état en vue d’un usage industriel conformément à la circulaire du 3 décembre 1993 relative à la politique de réhabilitation et de traitement des sites et sols pollués, ont été rejetés.

Bien que les faits se soient déroulés en 1996, il est probable qu’une telle appréciation puisse être maintenue. En effet, la modification des documents d’urbanisme par l’autorité compétente et la décision unilatérale du préfet de rendre un site conforme à son usage, rendent la situation similaire à celle où la négociation entre l’autorité compétente en matière d’urbanisme – qui a préalablement modifié ses documents d’urbanisme – n’aboutit pas, et où le préfet est saisi – ou se saisit – de l’incompatibilité manifeste d’un futur usage industriel avec une zone destinée à être urbanisée, jusqu’à contraindre l’ancien exploitant à dépolluer afin de permettre cette urbanisation.

En l’espèce la solution paraît sujette à caution. L’exploitant exproprié est contraint de respecter un usage futur qui a été modifié postérieurement à l’acquisition du terrain par le nouveau propriétaire – ce qui va à l’encontre du nouvel article R.512-78 crée par le décret du 13 septembre 2005. En respectant ces exigences qui vont bien au-delà de la législation ICPE, l’exploitant « finance » les projets des collectivités locales.

Les sites industriels, autrefois éloignés des habitations, ont été rattrapés par l’urbanisation. Des collectivités locales sont confrontées à la pénurie de logements et de terrains à bâtir, elles fondent de grands espoirs sur des friches industrielles, bien situées, qui pourraient accueillir leurs projets immobiliers. Mais elles ont rarement les fonds nécessaires pour en assumer le passif environnemental. La réglementation leur donne la possibilité de faire dépolluer ces terrains à moindre frais.

S’il est compréhensible que les collectivités locales se saisissent de cette « faiblesse » de l’article, nous pouvons nous interroger sur les conséquences pour les exploitants. Cela revient à admettre que les autorités compétentes en matière d’urbanisme peuvent créer, à dessein, de l’insécurité juridique à leur égard, selon leur projet d’urbanisation. Si tel est le cas, les exploitants d’ICPE doivent d’ores et déjà prévoir, et donc provisionner, une « éventuelle » dépollution qui irait bien au-delà d’un usage industriel.

Ainsi le rapporteur du projet de loi au sénat pour la commission des affaires économiques évoquait lors des débats, le risque de nuisance pour « l’attractivité du territoire » et « le cours des titres des sociétés françaises ». Il estimait que « prévoir que l'usage est défini conjointement par l'exploitant et la collectivité et que, en cas de désaccord, c'est le préfet qui tranche, créerait une incertitude juridique pour les entreprises, ce qui serait nuisible au développement industriel de notre pays » (4). Mais toutes ces précautions d’équilibre au sujet des responsabilités de chacun ont été délaissées lors de la dernière version de L.512-17 qui introduit « l’exception d’urbanisme ».

M. Patrick OLLIER, l’auteur de cette version de l’article L.512-17, explique au sujet de « l’exception d’urbanisme », que « le critère prévu permet au préfet d'apprécier, et, à partir de là, bien entendu, de mettre en place un dispositif, qui équilibre les responsabilités des uns et des autres » (5). Ce qui va a l’encontre de l’interprétation des collectivités locales, et de la trop rare jurisprudence, celles-ci estiment qu’il est de la responsabilité de l’exploitant de prendre en charge « sa pollution », quelles que soient les conséquences matérielles résultant de la fixation de l’usage futur du site, qui échappe complètement au contrôle de l’exploitant.

La pratique semble consacrer une large application de « l’exception d’urbanisme », ce qui nous paraît contrevenir à la volonté du législateur qui prônait un partage des responsabilités. Les exploitants ont tout intérêt à demeurer excessivement vigilants face aux modifications des documents d’urbanisme, à titre d’exemple le délai de contestation des PLU est de deux mois.

Tout le débat, et sans doute le contentieux, se fixera sur l’interprétation des notions « d’usage manifestement incompatible », et « d'utilisation des terrains situés au voisinage ». La jurisprudence est encore muette à ce sujet, et la doctrine n’a pas suffisamment éclairé le sujet (6). Le sort des projets d’urbanisme des collectivités locales et des exploitants est suspendu à l’arbitrage des préfets.

Astreindre des exploitants à remettre en état des sites afin qu’ils puissent recevoir des logements, et par là même, financer indirectement la politique d’urbanisation des collectivités locales, ne nous semble pas « équilibré ». Il nous reste à découvrir ce que la jurisprudence en pensera.




(1) Décret n°2005-1170 du 13 septembre 2005 modifiant le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.

(2) Cour Administrative d’Appel de Douai, 31 mai 2001, n°98DA00772.

(3) Arrêté préfectoral du 22 novembre 1996 de la région Nord/Pas-de-Calais, article 3.

(4) Compte rendu intégral des débats du Sénat, séance du 15 mai 2003, 2è lecture du projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

(5) Compte rendu intégral des débats de l’Assemblée nationale, séance du 15 juillet 2003, 2è lecture du projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

(6) François BRAUD et Alexandre MOUSTARDIER, Réflexions sur la réforme de la remise en état en matière d’installations classées par le décret du 13 septembre 2005, Gazette du Palais 24/11/2005 p. 3.
Marie-Pierre MAITRE et Elena MITEVA, Réhabilitation des sites et sols pollués : qui, quand, comment ?, Gazette du Palais 22/12/2007 p. 23.
Jean-Pierre BOIVIN et Jacques RICOUR, Sites et sols pollués, Le Moniteur, janvier 2001.